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Hauts-de-Seine

Musique et musiciens d’Église dans le département des HAUTS-DE-SEINE autour de 1790

Sommaire

Liste des musiciens des Hauts-de-Seine

Url pérenne : http://philidor.cmbv.fr/musefrem/hauts-de-seine

   

Le département des Hauts-de-Seine est l’un des plus récents de France. Créé par la loi du 10 juillet 1964 qui réorganise le découpage départemental de l’Île-de-France, il regroupe 28 communes de l’ancien département de la Seine (issues de l’ancien district de Saint-Denis au nord, de celui de Bourg-la-Reine au sud) et 9 communes de la Seine-et-Oise, de l’ancien district de Versailles (tout le canton de Sèvres et Rueil-Malmaison, détachée du canton de Marly), au centre. Les trois arrondissements actuels de Nanterre, Boulogne et Antony reprennent à peu près ces trois éléments. Ce territoire a été affecté par deux transformations majeures : l’annexion par Paris d’une partie des communes limitrophes en 1860 (Boulogne y gagne le quartier Billancourt, arraché à Auteuil, mais Montrouge perd l’essentiel de son territoire) et la création de cinq nouvelles communes entre 1866 (Levallois-Perret, aux dépens de Clichy et de Neuilly) et 1929 (Villeneuve-la-Garenne prise sur la partie nord de Gennevilliers, dans la boucle de la Seine).

Cette histoire morcelée entraîne, comme dans les autres départements des alentours de Paris, une division des archives. Si la plupart ont été regroupées à Nanterre, lors de la création du dépôt départemental, les Archives nationales conservent néanmoins de nombreux documents des anciennes paroisses de la Seine (comptes de fabrique en particulier). La série G des Archives départementales des Hauts-de-Seine est par conséquent peu fournie, de même que la série L qui, malgré quelques dévolutions de documents venus de la Seine ou de la Seine-et-Oise, doit assez largement être explorée aux Archives départementales des Yvelines, avec la série Q, ou, dans une moindre mesure, aux Archives de Paris (section départementale).
Enfin, l’absence de cathédrale ou de collégiale explique que les suppliques de musiciens soient inexistantes pour les Hauts-de-Seine. On y rencontre presque exclusivement des chantres paroissiaux qui tirent l’essentiel de leur revenu d’une autre activité, le plus souvent liée au travail de la terre.

1 circonscriptions administratives en 1790

Carte des circonscriptions de l’actuel département des Hauts-de-Seine en 1790 (© Régine Dupuy, sur les indications de Patrick Chamouard)

I – Un territoire rural à l’ombre de Paris

L’essentiel des 31 paroisses qui composent le futur département dépendent pour la justice de la prévôté et vicomté de Paris (ce qu’on nomme communément le Châtelet de Paris, par métonymie avec le siège de ce tribunal). Seules Meudon, Chaville et Clamart dépendent du bailliage secondaire de Meudon, tandis que Sèvres et Ville d’Avray ressortissent au bailliage secondaire de Versailles. Cette proximité incite Louis XV à faire construire des casernes pour loger ses gardes suisses, à Rueil et à Courbevoie, à partir de 1754. Ces soldats, qui logeaient auparavant chez l’habitant, pouvaient ainsi facilement prendre leur service à Paris, à Saint-Germain-en-Laye ou à Versailles.
La moitié septentrionale du département se love presque entièrement dans un méandre de la Seine qui est franchie en quatre points par un pont. À l’ouest, il est possible de quitter Rueil par le pont de Chatou, tandis que les ponts de Sèvres (en bois) et de Saint-Cloud (en pierre) accueillent les deux branches de la route qui vient de Paris, l’une longeant le fleuve et l’autre traversant le bois de Boulogne. « Presque sur le bord de la Seine, à l’entrée d’une gorge, qui, entre deux montagnes, conduit à Versailles, & au fond de laquelle coule le ruisseau de Sèvre, autrement Marinel, venant des environs de Montreuil et de Chaville, & qui se jette en ce lieu dans la Seine » (Hurtaut et Magny 1779, IV, p. 640), Sèvres tire l’essentiel de son animation de la présence du pont et de la route de Paris à Versailles, le long de laquelle s’étirent les maisons du village.
En septembre 1772 est inauguré le nouveau pont de Neuilly, au tablier presque horizontal posé sur des arches audacieuses, dont le décintrement spectaculaire a donné lieu à un tableau d’Hubert Robert (Musée du domaine départemental de Sceaux, inv. 37.1.45) et à de nombreuses estampes qui témoignent du retentissement de cette opération. Un bac, dont les revenus vont à l’abbaye de Saint-Denis [Seine-Saint-Denis], permet en outre de gagner Asnières depuis Clichy. À l’ouest, la carte de Cassini indique de semblables équipements pour accéder à Besons et à Argenteuil.
On peine à lire, aujourd’hui, dans ce territoire densément urbanisé les traces de la banlieue rurale de Paris. Pourtant, les Hauts-de-Seine furent longtemps dominés par les activités agricoles, les paysages agrestes et les maisons de plaisance de la bonne société parisienne.

● ● ● Une économie rurale tournée vers Paris

La capitale s’approvisionne en premier lieu dans ses environs immédiats, aussi l’activité agricole des Hauts-de-Seine est-elle destinée pour une grande part à nourrir Paris.
Sceaux accueille un important marché aux bestiaux, qui doit sa création à Colbert, lorsqu’il était seigneur de Sceaux. Chaque année, plus de 20 000 bovins (venus du Limousin ou du Berry) et 125 000 ovins (de la Beauce et du Berry), soit 30 à 40% de l’approvisionnement – Poissy reste le principal marché de viande carnée –, y sont rassemblés pour être vendus aux bouchers parisiens (Abad 2002). Si les animaux ne sont pas absents des paysages des Hauts-de-Seine, on aura compris que ce territoire participe surtout indirectement à la table des Parisiens en dehors du Carême. On sait que des vaches paissent en nombre suffisant à Vanves et dans ses environs immédiats pour faire la réputation du « bon beurre » produit dans ce village (Hurtaut et Magny 1779).
De Châtenay-lès-Bagneux, le dictionnaire d’Hurtaut et Magny dit que « c’est un pays fécond en vignes, quoiqu’il y ait aussi des terres & des prés dans le bas, & beaucoup d’arbres plantés de côté & d’autre, qui forment une agréable variété. Il est clair que l’étymologie du mot Châtenay vient des châtaigniers qui y étoient primitivement. » Vignobles et vignerons sont nombreux à Bagneux, qui fournit en vin le chapitre cathédral de Paris, mais aussi à Vanves et sur les coteaux, fort bien exposés, qui surplombent la Seine : Puteaux, dont « la plus grande partie [est] en vignes » (Hurtaut et Magny 1779), Issy, Rueil (dont la vigne fait vivre plus de la moitié de la population) ou Ville-d’Avray. Selon Hurtaut et Magny, certaines thèses de médecine soutenues à Paris en 1724 et 1725 n’hésitent pas à affirmer que les vins de Suresnes « surpassent en bonté ceux de Beaune & autres de Bourgogne ». Les deux auteurs ajoutent aussitôt : « Ce vignoble a donc bien changé depuis », attestant ainsi la médiocre qualité des productions viticoles des coteaux des Hauts-de-Seine.
Clamart, qui s’étend en grande partie sur le plateau, cultive aussi la vigne – ce qui lui vaut d’être nommé Clamart-le-Vignoble sous la Révolution – mais produit surtout « menus grains & légumes » (Hurtaut et Magny 1779).
Fontenay-aux-Roses (ou Fontenay-sous-Bagneux) aurait cultivé des roses en grand nombre, qui, selon le médecin Guy Patin, étaient prisées des apothicaires parisiens, mais cette production horticole n’est plus d’actualité à la fin du XVIIIe siècle : ici aussi, les rosiers ont laissé la place aux vignes et aux pépinières.

● ● ● Des carrières actives et quelques manufactures modestes

Le sud du département est marqué par une importante activité d’extraction. Si le gypse d’Antony fait bien pâle figure, pour la fabrication du plâtre, face à celui de Montmartre ou de Belleville, c’est surtout le calcaire qui fait la richesse de ce territoire. Les paysages de Montrouge et de Bagneux sont marqués par la présence de puits d’où remontent les blocs tirés des profondeurs de la terre. La pierre dure qui en est extraite soutient, sous le nom générique de « pierre d’Arcueil », les constructions nouvelles qui s’élèvent dans Paris (Carbonnier 2006). Elle est présentée en effet comme « la meilleure [pierre] pour résister aux injures du temps » (Jombert 1764). C’est la principale différence avec la pierre de Meudon, sensible au gel, qui fournit toutefois les beaux liais du grand fronton de la colonnade du Louvre. Son exploitation est également facilitée par le creusement, depuis le front du coteau, de galeries horizontales qui suivent les bancs. On y prend aussi la craie qui sert à la fabrication du blanc de Meudon, utilisé en peinture et en dorure.

L’abondance de sources claires fait la réputation des blanchisseurs de Vanves et de Rueil (qui emploient les familles des gardes suisses encasernés sur place), mais cette activité s’observe aussi en bord de Seine, avec, comme à Paris, l’installation de bateaux lavoirs du côté de Saint-Cloud. À Vanves toutefois, de véritables ateliers existent et les maîtres blanchisseurs fournissent bon nombre de marguilliers, ainsi que, en 1789, le « syndic des habitants », placé à la tête de la communauté villageoise.
Les activités manufacturières ne marquent pas encore le paysage, comme elles le feront (modérément) au XIXe siècle. Nulle cheminée d’usine, si ce n’est celle de la verrerie du Bas-Meudon qui produit surtout des bouteilles, mais quelques établissements modestes sans être négligeables. Ainsi, à Antony, la manufacture royale de cire emploie soixante-dix ouvriers et fournit la Cour en bougies blanches, ce que rappelle sur sa façade un écusson sculpté portant une devise latine surmontée d’une ruche en osier entourée d’abeilles : Deo regique laborant 1714 (elles travaillent pour Dieu et pour le roi).
Une manufacture royale de faïence, dite « japonnée », a été établie à Sceaux en 1749. Elle tire sa célébrité de ses ouvrages colorés imitant des choux ou des œufs durs coupés en deux. Soixante à quatre-vingts ouvriers y travaillaient (Sinet 1843, p. 113). C’est surtout la manufacture royale de porcelaine de Sèvres qui marque durablement l’activité manufacturière du territoire et rend ce village célèbre dans toute l’Europe.

● ● ● Un bouquet de villégiatures agrestes pour Parisiens cossus

La proximité de la capitale a rapidement permis aux futurs Hauts-de-Seine d’accueillir des demeures de plaisance pour les Parisiens aisés, jusqu’aux princes et aux ministres. Parmi les plus fameuses se détachent les châteaux de Meudon, de Saint-Cloud et de Sceaux.
Le premier, édifié par Le Vau pour Abel Servien, est acquis par Louvois, puis par le Grand Dauphin – pour qui Hardouin-Mansart bâtit le château neuf qui seul subsiste aujourd’hui et accueille l’observatoire. Le château de Bellevue n’en est guère éloigné : construit par Louis XV pour Madame de Pompadour, il sert de résidence depuis 1774 aux tantes, mélomanes et musiciennes, du nouveau roi.
En 1681-1682, à l’occasion de séjours chez son fils le Grand Dauphin, Louis XIV entendait avec plaisir, dans la chapelle du château de Saint-Cloud, les motets composés par Marc-Antoine CHARPENTIER (Cessac 1988), mais cette activité musicale semble s’être tarie avec les ducs d’Orléans. En 1785, Louis XVI achète le domaine pour l’offrir à son épouse. La reine Marie-Antoinette s’y comporte comme chez elle, faisant transformer les lieux par son architecte Richard Mique. La famille royale habite ce château durant l’été 1790, sans le moindre indice d’activité musicale dans la chapelle.
À Sceaux, enfin, domaine construit par Colbert et agrandi par son fils Seignelay, ce sont les descendants adultérins de Louis XIV qui s’imposent au XVIIIe siècle. En 1790, le duc de Penthièvre, petit-fils du Roi-Soleil, occupe les lieux. Avant lui, du temps de son oncle le duc du Maine, on joua beaucoup de musique au château ou dans ses dépendances. La duchesse, Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, s’entourait de musiciens : Jean-Baptiste MATHO, qui chantait chez le roi, puis Jean Joseph MOURET, qui enseignait la musique aux enfants du couple princier, Pierre MARCHAND, qui jouait parfois de l’orgue dans la chapelle du château (Cessac 2003), comme Louis Antoine THOMELIN, Nicolas BERNIER ou encore François COLIN DE BLAMONT. Cette effervescence marqua surtout les années 1712 à 1725 ; elle régressa par la suite et cessa définitivement après le décès de la duchesse en 1753 (Cessac 2016).

Depuis 1776, les princes de Condé ont considérablement transformé et embelli le jardin de leur château de Vanves (acquis en 1718), profitant ainsi de sa position élevée et de sa vue imprenable sur Paris et la Seine. Mais leur départ précoce en émigration, dès le 17 juillet 1789, laisse le domaine à l’abandon, avant qu’il ne soit en partie loti et que le château ne devienne la « maison des champs » du Prytanée français (ancien lycée Louis-le-Grand). Il héberge aujourd’hui le lycée Michelet.
Profitant de sa proximité de Paris et de sa position en bord de Seine, Clichy accueille les villégiatures des fermiers généraux et des financiers – au début du XVIIIe siècle, Antoine Crozat y possède une splendide propriété dont les fontaines sont alimentées par un moulin sur le fleuve –, tandis que Saint-Cloud, bien desservie par la galiote et les batelets qui descendent la Seine depuis le Pont Royal, jouit d’un grand succès auprès des Parisiens. Ils y accourent le dimanche à la belle saison pour profiter de son bon air proverbial et du parc, célèbre pour sa cascade.
Parmi les maisons de campagne plus modestes, on peut évoquer celle que le comédien François Molé acquiert à Antony, au lieu-dit le Paradis, où il est le voisin, jusqu’en 1782, du marquis de Castries, secrétaire d’État de la Marine, puis du fastueux cardinal archevêque de Cambrai, Ferdinand-Maximilien Mériadec de Rohan.
Enfin, les musiciens eux-mêmes ne sont pas en reste. La chanteuse vedette de l’Opéra de Paris Marie Jeanne Lemière, sœur de deux musiciens du roi, Jacques et Jacques Louis LEMIÈRE, plus connue sous son nom d’épouse Larrivée – son mari Henry Larrivée est également un chanteur à succès de l’Académie royale de musique –, possède à Bourg-la-Reine une coquette maison agrémentée d’un jardin qui lui permet de s’abstraire, avec ses deux filles, de l’agitation parisienne. Elle y loge par ailleurs sa mère, veuve, comme l’atteste l’inventaire après décès de Jacques Louis LEMIÈRE en 1783.

II – Un territoire sans église marquante

En 1790, le territoire des Hauts-de-Seine n’accueille aucune cathédrale, aucune collégiale, quelques établissements conventuels ou hospitaliers et, surtout, des églises paroissiales, généralement modestes.

● ● ● Une trentaine de paroisses rurales

Avant 1790, le territoire des Hauts-de-Seine s’inscrit entièrement dans le diocèse de Paris. Depuis 1674, l’archevêque est du reste duc et pair de Saint-Cloud, dont il nomme le curé, comme il le fait dans quinze autres paroisses (Châtenay, Châtillon, Chaville, Colombes, Courbevoie, Issy, Meudon, Montrouge, Rueil, Sceaux, Sèvres ou Ville-d’Avray). La collation des autres églises paroissiales est souvent entre les mains de communautés religieuses parisiennes, comme l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés qui nomme à Antony, à Puteaux et à Suresnes, le prieuré de Saint-Martin-des-Champs qui présente à la cure de Clamart, ou l’abbaye de Sainte-Geneviève qui désigne parmi les génovéfains les curés-prieurs de Vanves et de Nanterre. Le chapitre cathédral de Paris n’est pas en reste, qui détient la collation des cures de Bagneux, de Boulogne, de Bourg-la-Reine et du Plessis-Piquet [Le Plessis-Robinson]. Celui de la collégiale Saint-Marcel est collateur des paroisses d’Asnières et de Gennevilliers.
Certaines de ces églises sont fort modestes et présentent l’apparence de chapelles, comme à Puteaux, érigée en paroisse en 1717 seulement, ou à Vaucresson, dont l’église est « en forme de Chapelle, presque toute de plâtre & sans collatéraux » (Hurtaut et Magny 1779).
Nanterre compte, en plus de son église paroissiale dédiée à saint Maurice, une chapelle Sainte-Geneviève, que la tradition dit édifiée à l’emplacement de la maison où vécut la sainte patronne de Paris et de ses environs. Cette dernière église a bénéficié de la munificence de Louis XIII et de son épouse, ainsi que de la reine d’Angleterre Henriette-Marie de France, qui, tous, lui offrirent des présents somptueux, en argenterie, en étoffes ou en linge.
Neuilly, qui est alors un gros hameau de Villiers-la-Garenne – village disparu au profit de Neuilly et d’une partie de Paris –, possède sa propre église, à côté de l’église principale Saint-Martin, et les registres sont tenus séparément.

2 Eglise de Rueil

L'élégante façade de l'église de Rueil, par l'architecte Jacques Lemercier (cl. Myrabella / Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0)

L’église de Rueil a bénéficié de l’installation du cardinal de Richelieu au château du Val de Ruel en 1633. Le principal ministre de Louis XIII confie l’achèvement de l’édifice paroissial à Jacques Lemercier, architecte de la chapelle de la Sorbonne. Rueil y gagne une église « fort jolie pour une Paroisse de Village » (Hurtaut et Magny 1779), avec une façade monumentale à deux niveaux rythmés de pilastres doriques puis ioniques, couronnée d’un fronton triangulaire et de pots à feu.
De même, l’église de Sceaux, placée sous le patronage de saint Jean-Baptiste, a profité des largesses de ses seigneurs, en particulier de Colbert. Magnifiquement mise en valeur par une gloire à partir de 1768, la sculpture du Baptême du Christ, par Tuby, est l’étude en plâtre du groupe en marbre qui orne la chapelle du château – aujourd’hui, cette sculpture en marbre a remplacé le plâtre détruit à la Révolution. Le chœur de l’église abrite dans un caveau les tombes du duc et de la duchesse du Maine, ainsi que de leurs enfants.

3 Eglise de Courbevoie

La nouvelle église de Courbevoie avec sa rotonde et son fronton (cl. Y. Carbonnier, août 2017)

Deux nouvelles églises paroissiales sortent de terre autour de 1790, à Courbevoie et à Ville-d’Avray. La paroisse de Courbevoie a été créée en 1785, par démantèlement de celle de Colombes. Son premier curé obtient en 1789 l’autorisation et les moyens financiers pour rebâtir l’église dans des proportions plus généreuses. L’architecte Louis Le Masson choisit un parti original, en adoptant une nef de plan ovale, dont le grand axe est perpendiculaire au chœur. Avec son dôme et son fronton reposant sur quatre colonnes doriques, cette nouvelle église Saint-Pierre-Saint-Paul évoque le Panthéon de Rome. En 1791, date de sa consécration, l’église Saint-Marc-Saint-Nicolas de Ville-d’Avray remplace l’ancien édifice, mal situé et devenu trop petit. D’architecture typiquement Louis XVI, jusque dans sa relative raideur, elle a bénéficié des largesses du seigneur du lieu, Marc-Antoine Thierry, premier valet de chambre du roi, qui a obtenu de Louis XVI l’autorisation d’y consacrer une partie du produit de la fonte de vieilles dorures du Garde-meuble royal, dont il est l’intendant. Aucune de ces églises nouvelles ne dispose d’un orgue.

● ● ● Une collégiale disparue à Saint-Cloud

L’église paroissiale de Saint-Cloud est, jusqu’en 1787, l’unique collégiale du département. Elle abrite les reliques de son fondateur Clodoald et, dans une chapelle « toute incrustée de marbre » (Hurtaut et Magny 1779), le cœur du roi Henri III, assassiné dans une maison proche. Chaque 2 août, un service solennel est célébré pour le repos de son âme. On y conserve encore les entrailles d’Henriette-Anne Stuart et d’Anne d’Orléans, duchesse de Savoie et reine de Sardaigne, pour laquelle un service funèbre est célébré chaque année le 30 juin. À la fin de l’Ancien Régime, l’église présente un état de délabrement avancé qui incite la reine Marie-Antoinette à financer la construction d’un nouvel édifice, entamée en 1787, et interrompue pour longtemps dès 1791. L’édifice actuel est le résultat d’un nouveau projet réalisé sous le Second Empire avec un résultat très différent du projet initial. Pendant les travaux, la vieille église ayant été démolie, un édifice provisoire bâti sur l’ancien cimetière accueille les célébrations paroissiales.
L’archevêque de Paris profite de l’occasion pour supprimer le chapitre, dont la mense est attribuée en partie à la fabrique paroissiale, de même que tout le mobilier de la vieille église. Ainsi cessent les querelles récurrentes qui empoisonnaient les relations entre le chapitre et la fabrique, portant à la fois sur l’usage de l’église et sur les prérogatives des uns et des autres. L’inventaire dressé en août 1788 en vue du transfert comprend 90 articles, allant des livres de chœur aux ornements, des stalles aux chandeliers, de la vaisselle liturgique au linge. Il n’inclut pas l’orgue, qui appartient déjà à la paroisse. Un arrêt du parlement de Paris, daté du 8 août 1780, révèle en effet que le clocher et la nef, avec l’orgue qui s’y trouve, appartenaient à la fabrique, dont le marguillier en charge détenait les clefs.
Le chapitre de Saint-Cloud était au demeurant modeste, composé d’un doyen électif, d’un chantre, de neuf chanoines, dont l’un est un chanoine régulier de l’abbaye parisienne Saint-Victor, avec un chefcier, un maître et six enfants de chœur (seules « cinq petites chappes pour les enfants de chœur » sont toutefois inventoriées en 1788). Huit chapellenies ont été réunies à la mense depuis les années 1770. L’archevêque de Paris nomme à toutes les prébendes. Gros décimateurs de la modeste paroisse de Marnes[-la-Coquette], les chanoines y nomment le curé, de même qu’à Garches. L’archevêque récupère ces patronages après 1787 et les chanoines s’installent dans une confortable retraite, soulagée par les pensions viagères qui leur sont attribuées sur les anciens revenus.

● ● ● Quelques établissements réguliers discrets

Les quelques maisons religieuses des Hauts-de-Seine sont souvent liées, elles aussi, à la proximité de la capitale. Ainsi, le séminaire parisien de Saint-Sulpice possède une maison à Issy, dont le jardin est spacieux, et Nanterre a été choisie par les Génovéfains pour y établir leur séminaire. La même paroisse accueille le premier couvent des chanoinesses de Saint-Augustin de Chaillot.
Un monastère de Feuillants a été fondé vers 1615 au Plessis-Piquet, tandis que les Capucins possèdent un couvent à Meudon, pour lequel sont conservés de petits cahiers de dépenses principalement alimentaires (dont du café, acheté très régulièrement).
Depuis 1753, selon Hurtaut et Magny, « la Communauté des prêtres de Saint François de Sales » occupe les bâtiments de l’ancienne abbaye bénédictine d’Issy, dont les religieuses ont été dispersées en 1751.
Des Ursulines sont installées à Saint-Cloud depuis 1655. Leur chapelle accueille en 1787-1788 les offices de la paroisse, en attendant que l’église provisoire soit édifiée sur l’ancien cimetière. Vidée de ses meubles, dispersés en 1791, l’église est finalement vendue en 1796 à deux vignerons.
Un inventaire de 1790 révèle la présence d’un « vieux clavecin » au pensionnat de la congrégation de la Croix, installé à Rueil. Une activité musicale y semble néanmoins bien peu probable, pas à l’église en tout cas.

4 Le Mont Valérien

Le Mont Valérien, son calvaire et ses ermitages, estampe anonyme du XVIIe siècle, MUS - Musée d'histoire Urbaine et Sociale de Suresnes, Inv. 997.00.1173 (cl. MUS – Musée d’histoire Urbaine et Sociale de Suresnes)

L’établissement le plus original est constitué par le regroupement d’« ermitages » sur le Mont Valérien, colline qui surplombe la vallée de la Seine de ses 161 mètres d’altitude. Placés sous l’autorité de l’archevêque de Paris, les ermites sont des laïcs qui se retirent sous l’habit religieux de façon temporaire. Au nombre d’une quarantaine en 1790, ils se livrent au tissage et exploitent une partie des vignes qui couvrent les pentes, rejoignant celles du village de Suresnes. Une église, desservie par la « congrégation des prêtres du Calvaire », est érigée sous le règne de Louis XIII, puis rebâtie au début du XVIIIe siècle au sommet, où elle voisine avec trois croix monumentales. Une relique de la Vraie Croix, exposée à l’occasion de la Semaine sainte, contribue largement au succès du pèlerinage qui voit les Parisiens accourir en masse, empruntant un bac, puis le chemin de croix qui gravit les pentes depuis Suresnes. Aucune activité musicale ne semble y avoir pris place, au-delà du chant des cantiques.
L’hôpital de la Charité de Saint-Cloud, fondé par Philippe duc d’Orléans, frère de Louis XIV, est desservi par les prêtres de la Mission, appelés Lazaristes, qui célèbrent aussi les offices de la chapelle du château. Cet établissement est remplacé en 1787 par le nouvel hospice financé par Marie-Antoinette, avec une chapelle néo-classique due à son architecte Richard Mique. Pas plus que dans l’ancienne chapelle, on n’y trouve trace d’un orgue.

III – Un territoire assez peu musical

Dans les paroisses rurales des Hauts-de-Seine, les orgues sont rares, le plain-chant domine, entonné ici ou là par des chantres qui, souvent, ne se laissent voir qu’à travers des mentions fugaces dans les registres paroissiaux.

● ● ● Des traces de musique figurée rares et anciennes

Malgré la présence des demeures princières, la musique figurée résonne sans doute très rarement dans les églises du territoire et les instruments n’y interviennent que de façon exceptionnelle.
En août 1703, le Mercure galant livre le récit d’une rare célébration « en musique », grâce à la participation de musiciens du roi :
Cette célébration exceptionnelle trouve son explication par le fait que le père du jeune abbé, l’académicien Nicolas de Malézieu, seigneur de Châtenay, est un proche du duc du Maine, dont il fut le précepteur et désormais le chef des conseils, chancelier de Dombes. Il est possible que le motet de MATHO joué à cette occasion soit le Nisi Dominus à trois voix (deux dessus et basse-taille) conservé à la bibliothèque municipale de Versailles dans le recueil des motets qui se jouent les veilles de départ de la Cour pour Fontainebleau (Ms mus. 18). Dix ans plus tard, l’abbé de Malézieu est sacré évêque dans la même église, sans qu’aucun témoignage ne renseigne sur la teneur musicale de la cérémonie.
La mélomanie de la duchesse du Maine et les capacités de musiciens de ses fils semblent donner lieu à quelques occasions musicales à l’église de Sceaux. Ainsi, le dimanche de Pâques 1723, d’après Brillon, l’intendant du duc, « les princes chantent […] à la paroisse l’O filii en musique de la composition de Marchand. Le prince de Dombes jouera du basson, M. le comte d’Eu du violon, Marchand et Michel de la flûte traversière » (Cessac 2003).
En 1790, cette époque semble depuis longtemps révolue et les églises paroissiales de Châtenay et de Sceaux ne résonnent plus guère que des voix des chantres, alternant occasionnellement avec l’orgue dans la seconde.

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« M. l’Abbé de Malezieu chanta sa première Messe dans l’Eglise paroissiale de Châtenay. Leurs A.S. [le duc et la duchesse du Maine] voulurent y assister, & la compagnie qui avoit couché à Sceaux, eut la même dévotion. M. Mathaut, ordinaire de la Musique du Roi, donna pendant l’offertoire un Motet de sa composition, qui fut trouvé excellent, & parfaitement bien exécuté ; aussi avoit-il eu soin de choisir dans la Musique du Roi des voix & des instrumens capables de seconder, dans la dernière perfection, les intentions du Compositeur. »

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● ● ● Quelques orgues mal connus

On a pu repérer une demi-douzaine d’orgues dans les églises des Hauts-de-Seine, sans pouvoir affirmer qu’ils étaient tous utilisés en 1790. Outre l’instrument de la paroisse de Saint-Cloud, qui semble avoir disparu avec l’église dès 1787, quatre paroisses (Sceaux, Vanves, Rueil et Bagneux) et le couvent des Ursulines de Saint-Cloud accueillent un orgue. « Un Buffet d’orgue à bois doré et tuyeaux d’étain, deux soufflets » est inventorié à la chapelle du château de Sceaux en 1793. En revanche, le déménagement de la chapelle du château de Saint-Cloud semble avoir fait disparaître l’orgue en usage au moins jusqu’en 1783.

● À Sceaux : deux orgues, mais un seul organiste nommé en 1790

5 Eglise de Sceaux

Le buffet ancien de l’orgue de l’église Saint-Jean-Baptiste de Sceaux, après restauration (avant le retour des tuyaux) (cl. Y. Carbonnier, septembre 2022)

La fabrique paroissiale a acquis en 1767, pour 2 400 livres, l’orgue et la tribune de l’église parisienne Sainte-Catherine du Val des Écoliers, promise à la démolition. Un registre comptable désormais disparu indique le nom de THOMELIN aux claviers en 1790, avec des honoraires de 200 livres, ce qui témoigne d’un usage qui n’est pas uniquement ponctuel. De quel membre de la famille s’agit-il ? Peut-être Jacques Louis, dont on ignore l’activité à cette époque, le fils cadet de Louis Antoine THOMELIN qui tint jadis l’orgue du château. Sauvé en 1793 par le maire qui affirme qu’il accompagne les chants patriotiques, l’instrument de la paroisse est fortement adapté au goût du jour en 1840-1842, avant d’être victime d’un obus pendant le siège de Paris. En 1873, Cavaillé-Coll installe un orgue neuf dans le buffet d’origine qu’on peut toujours voir aujourd’hui, après la restauration de l’été 2022. L’ordinaire est assuré en 1790 par deux chantres : BENOIT et PELLETIER, soutenus par un nommé Antoine SAUNIER, qui semble être un suppléant, et par le serpent qu’embouche MAUFRA, certainement l’un des maçons qui portent ce nom à Sceaux.
La chapelle du château de Sceaux dispose également de son propre instrument, servi par Louis Antoine THOMELIN dans les années 1730-1740, puis par Jean-Baptiste THOMAS jusqu’au décès de la duchesse du Maine en 1753. En 1736, à la mort du duc, le « buffet d’orgue dans son armoire de bois sculpté doré garny de tout ce qui luy convient », installé dans l’antichambre de l’appartement près de la chapelle, est estimé, avec sa chaise et son tabouret de bois doré couverts de damas cramoisi, la somme de 2 600 livres. Toujours présent en 1793, mais estimé seulement 600 livres, ce qui semble trahir une nette dégradation, l’orgue est démonté lors de la démolition du château en 1798, puis envoyé en 1803 en l’église Saint-Louis-du-Louvre, à Paris, affectée au consistoire protestant. Malgré sa présence dans la chapelle, rien n’indique une utilisation régulière de cet instrument en 1790 : le duc de Penthièvre réside rarement sur place et le parc est ouvert aux habitants du voisinage qui en ont fait leur promenade habituelle.

● Les orgues sont-ils silencieux à Saint-Cloud ?
Avant 1785, le duc d’Orléans emploie un organiste pour sa chapelle, au château, ainsi que des enfants de chœur, entretenus depuis 1784 aux frais du chapitre collégial voisin, puis de la paroisse qui, selon le décret archiépiscopal de 1787, doit y consacrer la modeste somme de 25 livres. La présence d’un titulaire aux claviers de la chapelle du château est attestée au moins depuis 1748, par un texte humoristique dont le héros, ancien enfant de chœur parisien, visite le château grâce à son organiste qu’il ne nomme malheureusement pas (Néel 1748). En 1783, l’organiste est Jean-Baptiste THOMAS, précédemment en poste à Sceaux. Rien n’indique qu’il ait continué, après 1785, à servir la nouvelle propriétaire du château, d’autant que la chapelle change d’emplacement en 1786, sans qu’on sache si l’orgue, dont on ignore tout, est inclus dans le déménagement.
En 1688, Philippe d’Orléans avait décidé d’établir six enfants de chœur pour la chapelle de son château. Contrairement aux usages des maîtrises, ces garçons pris dans le bourg devaient habiter chez leurs parents. Les Lazaristes leur apprenaient le latin et sans doute le plain-chant. Le registre de l’hôpital de la Charité de Saint-Cloud recueille les sépultures des patients de l’établissement depuis 1692. En l’absence de témoins liés au défunt, le desservant, qui est un des lazaristes affectés au château, recourt souvent aux enfants de chœur de la chapelle du château. Jusqu’en 1773, date à laquelle cet usage semble s’éteindre, le registre jette ainsi une lumière inhabituelle sur ces jeunes garçons, dont sont même précisés les prénoms. Aucun ne semble avoir poursuivi une carrière musicale, ce qui n’est guère étonnant puisqu’il est à peu près certain que leur activité se limitait au plain-chant. Quelques-uns deviennent prêtres, comme les frères LA PERRUQUE, dont l’un sera curé constitutionnel de Meudon en 1791 avant d’apostasier et de se marier, tandis que l’autre refusera de prêter le serment à la constitution civile du clergé. En 1784, les chanoines de la collégiale Saint-Cloud remplacent les Lazaristes à la chapelle du château ; l’identité des enfants de chœur demeure inconnue.

Jusqu’en 1787, on l’a vu, l’orgue de l’église paroissiale et collégiale appartient à la paroisse qui rémunère sans doute un organiste, dont l’identité n’a pas été retrouvée. Après cette date, le recours à une église provisoire rend l’usage de cet instrument peu vraisemblable. Qu’est devenu l’ancien orgue ? On l’ignore. De leur côté, les chanoines employaient deux « chantres choristes », qui disposaient dans le chœur d’une banquette et de pupitres. En 1787, CAPLAIN, premier chantre choriste, est rémunéré à hauteur de 150 livres, tandis que le second, Rémy Gérard PIERRE, n’en touche que 72.

Enfin, un état des meubles du monastère des Ursulines, daté d’août 1790, mentionne un clavecin, vendu en 1791 pour 7 livres, et un orgue « qui n’est pas en place », dont on précise un an plus tard qu’il a été offert par la reine Marie-Antoinette – a-t-il servi lorsque la chapelle servait de refuge provisoire pour la paroisse ? Une ursuline est-elle capable d’en jouer ? En 1776, les religieuses avaient publié une annonce pour « avoir une DEMOISELLE qui sût la musique de manière à pouvoir l'enseigner & qui voulût se faire religieuse. Son talent lui tiendroit lieu de dot ». Cet espoir semble avoir été vain puisque l’inventaire de 1790 évoque « un parloir pour le maître de clavecin et musique des demoiselles pensionnaires », attestant le recours à un maître externe, probablement de sexe masculin. L’orgue, quant à lui, restait peut-être muet.

● L’église paroissiale Saint-Rémy de Vanves rémunère un organiste, au moins jusqu’en 1781, date à laquelle Nicolas MINARD, nommé dans les comptes depuis 1776 (mais attesté depuis 1769 au moins), reçoit, pour avoir touché l’orgue, 66 livres, dont 6 sont destinées aux souffleurs. L’instrument doit être assez modeste, puisque le facteur DALLERY n’est payé que 24 livres pour son entretien annuel. Nicolas MINARD, qui possède un piano-forte à son domicile, est principalement blanchisseur de linge et plus rien n’indique qu’il continue à jouer de l’orgue après 1781. Puisqu’il reste à Vanves jusqu’à sa mort en 1793, il est probablement aux claviers en 1790, à moins que l’orgue ne soit devenu injouable entre-temps. Par ailleurs, « l’organiste de Sainte-Geneviève » est payé 5 livres 8 sols « pour la procession ». Y a-t-il un orgue portatif ? Faut-il comprendre que l’abbaye parisienne de Sainte-Geneviève envoie son propre organiste jouer pour les fêtes principales ?
Le personnel cantoral est constitué de deux chantres restés anonymes (payés chacun 48 livres) et d’enfants de chœur en nombre indéterminé (Chailley 1956).

● À Rueil, en 1790, l’inventaire de l’église paroissiale Saint-Pierre et Saint-Paul signale la présence d’un « vieil orgue au-dessus de la porte d’entrée », composé de onze corps de tuyaux et équipé de trois soufflets. L’organiste n’est pas connu. L’instrument est vendu en 1797. L’activité cantorale semble par ailleurs importante, puisque la sacristie recèle huit soutanes pour des enfants de chœur (qui ne sont vraisemblablement pas aussi nombreux, du moins pour chanter) et six « à l’usage des chantres ». Bien qu’un seul lutrin soit signalé, la présence de deux serpents laisse imaginer une pratique séparant les chantres et enfants de chœur en deux groupes se faisant face, à moins que l’un des instruments ne soit hors d’usage.

6 Eglise de Bagneux

L’orgue actuel (1840) de l’église Saint-Hermeland de Bagneux, sur sa tribune du XVIe siècle (cl. F. Cézard - Orgue en France)

● À Bagneux aussi, un orgue existe dans l’église paroissiale Saint-Herbland (ou Saint-Hermeland) depuis 1533. Ce modeste instrument de sept jeux (dont trois de flûte) possédait un jeu de rossignol, un tambour et son buffet était orné d’un ange musicien « sonorisé » par deux tuyaux d’anches. Il a été entièrement remplacé en 1840 par l’orgue actuel, qui est toutefois posé sur l’élégante tribune du XVIe siècle, au-dessus de l’entrée. L’homme (ou la femme) qui touche le clavier de cet orgue vénérable en 1790 reste inconnu. La proximité de Paris – qui transparaît nettement dans l’abondance de Parisiens parmi les parrains, marraines et témoins de mariages – peut laisser imaginer que, les jours de fête, un organiste se déplace depuis la capitale, pas nécessairement toujours le même. Il n’est pas non plus incongru de penser que l’orgue n’est plus jouable. En revanche, deux ou trois chantres et un serpent assurent les services ordinaires, tout en exerçant un métier principal par ailleurs. Venu de Bourgogne, Jean JOUAIRE est maître d’école comme son père avant lui, tandis que son fils Joseph Luce joue du serpent – il aide peut-être son père à l’école, puis on le retrouve huissier audiencier du juge de paix en 1793. Quant à Claude DRANCY, il est vigneron, comme Jean-Baptiste CHAMPOUDRY qu’il a remplacé en 1789. Enfin, Jean Pierre HOYEL, également vigneron, est chargé de sonner les cloches, d’entretenir l’horloge et de chanter au lutrin. Quelques enfants de chœur restés anonymes complètent ce modeste ensemble.

● ● ● Des chantres partout et quelquefois des enfants de chœur

Ailleurs dans le département, seules les voix des chantres résonnent sous les voûtes de chœurs paroissiaux généralement modestes. Leur présence, comme celle des enfants de chœur, est difficile à débusquer en l’absence d’inventaire révolutionnaire ou de comptabilité paroissiale. Au demeurant, les enfants de chœur ne sont pas toujours chanteurs, se contentant vraisemblablement d’assurer le service de l’autel. Lorsque des chantres sont signalés, on peut néanmoins raisonnablement penser qu’au moins une partie des jeunes garçons chantent aussi.
Un peu partout, lorsque des indices existent, on compte deux chantres, parfois trois, comme dans les paroisses évoquées précédemment, suffisamment riches pour acheter puis entretenir un orgue et défrayer un organiste.

Un registre comptable de la paroisse Saint-Martin de Meudon livre les noms de trois chantres actifs en 1791 : François VOYER, également signataire d’un acte de sépulture, et LAUMONIER, probablement déjà en fonction en 1790, ainsi que REARD, qui remplace le précédent vers la mi-août. Le registre évoque des enfants de chœur sans préciser leur nombre et nomme un serpent, Pierre Philippe BOURGEOIS, parti le 18 octobre 1790 au service de la paroisse Saint-Louis de Versailles (voir le chapitre Yvelines) qui lui offre des conditions financières bien plus alléchantes.
Parfois, au détour d’un acte de sépulture, l’un des chantres signataires est désigné comme tel, mais le fait est rarissime. La plupart du temps ces témoins sont nommés sans qualité et, lorsqu’ils apparaissent dans d’autres actes, seule leur occupation principale (vigneron, cordonnier, maçon, jardinier…) est donnée. C’est le cas du maçon Pierre Henri CAPLAIN, à Saint-Cloud, désigné comme chantre de la paroisse en 1788, dont on a vu qu’il l’était déjà du chapitre l’année précédente. Une supplique tardive (de 1795) donne les noms des autres chantres : Rémy Gérard PIERRE, décédé entre-temps, qui est aussi, de façon classique, le maître d’école paroissial – il l’était déjà en 1787 –, Henri SAGERET, domicilié à Garches où il règne peut-être aussi sur le lutrin de cette petite paroisse, et un nommé DUVARY, peut-être à rattacher à une famille de vignerons de Garches, les Divary.

Dans les Hauts-de-Seine, les vignerons sont du reste nombreux à chanter le dimanche dans les paroisses. On l’a vu à Bagneux ; c’est aussi le cas à Suresnes, où le vigneron Jacques POUSSIN est clairement désigné comme chantre de 1775 à 1782, sans qu’on sache s’il continue à donner de la voix au lutrin après cette date. Les capacités de son frère cadet, Louis Denis POUSSIN, qualifié de chantre en deux occasions seulement, en 1781 et 1783, sont nimbées de doute, puisque ce vigneron déclare ne pas savoir signer lors de son mariage. Il est donc incapable de lire les livres de chant...
En 1790, au moins l’un des deux chantres de Châtenay-Malabry est vigneron. L’activité cantorale de Jean BOUVET et de Nicolas BENOIST n’y est connue que grâce à une mention unique pour chacun, au sein d’un registre paroissial globalement muet sur cette question.

À Villiers-la-Garenne [Neuilly-sur-Seine], les deux chantres qui apparaissent dans un registre comptable et dont les signatures ornent souvent les actes de sépultures et quelques baptêmes ne sont pas vignerons : Sébastien DESCOINS est maître pêcheur et Pierre NEUILLY, jardinier. Quatre enfants de chœur sont signalés, dont il n’est pas certain qu’ils donnent de la voix. Pour la paroisse desservant le gros hameau de Neuilly, on ne trouve rien de semblable, mais les signatures de François Wanschooten et de Charles Vincent Morel, qualifié de « clerc paroissial » dans plusieurs actes, semblent pointer vers eux pour exercer les fonctions cantorales, sans aucun indice probant néanmoins.

Ailleurs, enfin, aucun nom n’est connu et l’activité des chantres est éclairée par le mobilier, les vêtements ou les livres de chœur inventoriés.
Au prieuré de Jardy, à Vaucresson, l’inventaire du mobilier de l’église témoigne de la présence d’enfants de chœur, en nombre indéfini (peut-être trois), et de chantres, peut-être au nombre de trois, si on se fonde sur le décompte des tabourets et des rochets. Il en va de même à l’église paroissiale de La Celle-Saint-Cloud, où seuls un lutrin et des vêtements laissent imaginer quelques chantres le dimanche.

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Au terme de cette traversée du petit département des Hauts-de-Seine, rural malgré sa proximité avec la capitale, force est de constater que les musiciens d’église y sont fort peu nombreux. Hormis quelques organistes, qu’on peine d’ailleurs à identifier, aucun musicien au sens strict n’exerce dans les églises qui bordent le méandre de la Seine. En revanche, les chantres y sont nombreux et bien implantés dans les communautés paroissiales : ils exercent souvent l’activité la plus courante (les vignerons semblent dominants) et les liens familiaux sont fréquents parmi eux (l’équipe cantorale de Bagneux en constitue un bon exemple). Dans les paroisses, le plain-chant règne donc en maître et il est assez peu probable que ces chantres du dimanche – au sens propre, même si les signatures récurrentes de quelques-uns dans les registres de sépultures trahissent une présence plus fréquente à l’église – maîtrisent le faux-bourdon, et moins encore le chant sur le livre. Quant à la « musique » au sens strict, elle ne se fait entendre que sous les doigts de l’organiste, là où un tel instrument existe.
En définitive, la moisson est maigre, si on écarte les églises où seul résonne le plain-chant : sept lieux de musique – on peut douter de l’activité musicale réelle en 1790 de près de la moitié d’entre eux – et une vingtaine de musiciens, qui sont surtout des chantres, actifs en 1790.

Youri CARBONNIER
CREHS, Université d'Artois
(septembre 2022)

Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de, notamment : François Caillou, Bernard Dompnier, Sylvie Granger (†), Isabelle Langlois, Christophe Maillard

Mise en page et en ligne : Caroline Toublanc (CMBV)
 

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L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.

Les lieux de musique en 1790 dans les Hauts-de-Seine  

Les lieux de musique documentés pour 1790 dans le département sont présentés par catégories d’établissements : cathédrale, collégiales, abbayes, monastères et couvents, autres établissements (par exemple d’enseignement, de charité…), paroisses (ces dernières selon l’ordre alphabétique de la localité au sein de chaque diocèse).

Diocèse de Paris

Pour en savoir plus : indications bibliographiques

Sources imprimées

  • Jean Joseph EXPILLY (abbé), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Paris/Amsterdam, Desaint & Saillant, 6 vol., 1762-1770.
  • Robert de HESSELN, Dictionnaire universel de la France, Paris, Desaint, 6 vol., 1771.
  • Pierre-Thomas-Nicolas HURTAUT et Pierre MAGNY, Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs, Paris, 1779, 4 volumes.
  • Louis-Balthazar NÉEL, Voyage de Paris à Saint-Cloud par mer et retour de Saint-Cloud à Paris par terre, Paris, 1751 [1re éd. 1748].

Bibliographie

  • État des cures du diocèse de Paris, divisé en Archidiaconés, Archiprêtrés & Doyennés ; avec les noms des saints patrons des églises, les noms & surnoms de Mrs. les curés, leur adresse, & ceux qui ont droit de nommer & présenter aux cures, Paris, Cl. Simon, 1782, 121 p.
  • Les Hauts-de-Seine et la Révolution, Nanterre/Sceaux, Archives départementales des Hauts-de-Seine/Musée de l’Île-de-France, 1989, 94 p.
  • Le Patrimoine des communes des Hauts-de-Seine, Charenton-le-Pont, Flohic éditions, 1994, 447 p.
  • Reynald ABAD, Le Grand Marché, Paris, Fayard, 2002, 1032 p.
  • Youri CARBONNIER, Maisons parisiennes des Lumières, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, 511 p.
  • Philippe CASTAGNETTI, « Les traces de vie religieuse sur le Mont-Valérien : approche de la notion de cryptopatrimoine », ethnographiques.org, n° 24 - juillet 2012 Ethnographies des pratiques patrimoniales : temporalités, territoires, communautés [en ligne]. (https://www.ethnographiques.org/2012/Castagnetti - consulté le 30.08.2022)
  • Catherine CESSAC, Marc-Antoine Charpentier, Paris, Fayard, 1988, 604 p.
  • Catherine CESSAC, « La duchesse du Maine et la musique », dans Catherine Cessac et Manuel Couvreur (dir.), La duchesse du Maine (1676-1753). Une mécène à la croisée des arts et des siècles, Études sur le 18e siècle, n° 31, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2003, p. 97-107.
  • Catherine CESSAC, La Duchesse du Maine (1676-1753). Entre rêve politique et réalité poétique, Paris, Classiques Garnier, 2016, 413 p.
  • Hippolyte CHAILLEY, Vanves, des origines au début du XXe siècle, Paris, Robert Puech imprimeur, 1956, 427 p.
  • Pierre DUMOULIN (dir.), Orgues de l’Île-de-France, tome III : Inventaire des orgues des Hauts-de-Seine, Paris, ARIAM Île-de-France/Klincksieck, 2000, 328 p.
  • Anne FONTAINE (dir.), Antony. Des origines à nos jours, Antony, Connaissance d’Antony, 1988, 200 p.
  • Paul HARTMANN, L’église Saint-Jean-Baptiste de Sceaux, Sceaux, l’auteur, 1989, 182-126 p.
  • Dominique HELOT-LECROART, Rueil sous la Révolution, Rueil-Malmaison, Société historique de Rueil-Malmaison, 1989, 172 p.
  • Dominique HELOT-LECROART, Saint-Pierre-Saint-Paul de Rueil-Malmaison. L’histoire d’un monument, la vie d’une église, Rueil-Malmaison, Société historique de Rueil-Malmaison, s.d., 172 p.
  • Pascale PROUTEAU-MOREIRA, Les Thomelin : une dynastie d’organistes parisiens aux XVIIe et XVIIIe siècles, Thèse de doctorat de musicologie, Université de Paris IV, dir. Édith Weber, 4 vol., 1996, 1238 p.
  • M. SINET, Précis de l’histoire de Sceaux depuis son origine connue jusqu’à nos jours, Sceaux, au cabinet de lecture et chez l’auteur, 1843, 180 p.
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