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Moselle

Musique et musiciens d’Église dans le département de la MOSELLE autour de 1790

Sommaire

Liste des musiciens de la Moselle

Url pérenne : https://philidor.cmbv.fr/musefrem/moselle

  

5 - La place de la Comédie à Metz

Fig. 2 : La place de la Comédie à Metz aujourd’hui (au centre, le Théâtre) (cl. MOSSOT — Travail personnel, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15553705)

Le 5 octobre 1775 « à onze heures Et demie, Le Parlement, après La cérémonie de son retablissement faite au Palais, est arrivé a L'Eglise au son de toutes les cloches. aussitot qu'Il y est entré, Messieurs sont sortis du chœur pour aller au devant et le reçevoir dans La nef. [...] Etant arrivés a peu près vers L'endroit ou est posé Le Grand’orgue Messieurs ont rencontré Le Parlement qui s'est arrêté. [...] Pendant La Messe, La Musique [...] a exécuté avec Symphonie differens Motets, entre autres Le Domine Salvum fac Regem. Après Le dernier Evangile, M. L'Evêque avec son accompagnement, est allé sur son Trône ou Il a entonné Le Te Deum qui a eté chanté en Musique avec symphonie ». Comme ses homologues, le parlement de Metz avait été supprimé en 1771 par Louis XV. Ressuscité par son successeur, il retrouve sa place parmi les corps d’Ancien Régime au cours d’une magnifique cérémonie organisée à la cathédrale Saint-Étienne par le chapitre, premier corps ecclésiastique, en présence de l’évêque. Parmi les témoins et acteurs, on relève les musiciens du chapitre. Seize années plus tard, il ne restera plus rien de ce monde-là, même le grand orgue finira par disparaître. Au-delà des rives de la Moselle, il en sera de même pour des dizaines d’établissements séculiers et réguliers dont la présence aux marges septentrionales de Lorraine était alors dense et offrait de nombreux relais à la musique d’Église en cette fin de XVIIIe siècle.

• • •

I – Un territoire malmené par l'histoire

Le département actuel de la Moselle est l’un de ceux, très peu nombreux, qui aujourd’hui n’a pas du tout la même physionomie qu’en 1790. Moins large, plus allongé, il a pris sa forme actuelle après le traité de Francfort signé entre la France et le récent Empire allemand en 1871. Déjà en 1815, après Waterloo, les frontières avaient été légèrement redessinées au profit de la Prusse par le second traité de Paris qui avait cédé la région de Sarrelouis, ville-citadelle édifiée sous Louis XIV, au roi Frédéric-Guillaume III. En 1871, c’est presque toute la Moselle qui passe dans l’orbite allemande avec les arrondissements de Metz, Thionville et Sarreguemines, plus 11 communes de l’arrondissement de Briey. Ce dernier rejoint un département de Meurthe-et-Moselle à la physionomie tout aussi nouvelle puisque l’ancien département de la Meurthe perd les arrondissements de Sarrebourg et Château-Salins. Ces modifications postérieures expliquent le désordre apparent des sources éparpillées entre Metz et Nancy et la difficulté de documenter les musiciens qui étaient en poste en Sarre.

• • • Du point de vue des sources, il importe de préciser que les séries L et Q des archives départementales de Moselle ont été détruites en 1944 alors même qu’on avait voulu les préserver dans un bunker du fort Saint-Quentin. Cette terrible perte a pu être en partie compensée grâce aux travaux antérieurs du chanoine Paul Lesprand (1869-1943), directeur des études au Petit Séminaire de Metz. Dans le cadre de la préparation du livre qu’il a consacré en 1935 au Clergé de Moselle pendant la Révolution, il a recopié sur de petits carnets sous forme plus ou moins abrégée des milliers de délibérations des directoires de tous les districts du département. Le tout a été versé depuis en série J (18J 38-51). Par ailleurs, beaucoup de communes ont conservé dans leurs archives les sources antérieures à la Révolution (délibérations municipales, livres de comptes, livres de fabrique...), y compris les registres paroissiaux et l’état-civil, et la numérisation n’est pas partout à l’ordre du jour. Des investigations supplémentaires sont d’ores et déjà à prévoir.

La bibliographie disponible est en revanche très riche et ancienne. Albert Jacquot inscrit sa démarche à une échelle régionale lorsqu’il publie en 1900 ce qui peut figurer comme la première approche prosopographique des musiciens mosellans avec son « Essai de répertoire des artistes lorrains » dont la « cinquième suite » est dédiée aux « musiciens, chanteurs compositeurs... ». Entre 1994 et 1995, paraît un ouvrage collectif recensant « les orgues de Lorraine : Moselle », publié en quatre volumes sous la direction de Christian Lutz et François Ménissier. Il est incontournable et permet au chercheur de s’inscrire dans la longue durée.

La plupart des autres travaux portant sur la période qui nous intéresse sont très largement centrés sur la ville de Metz. Ceux de Gilbert Rose, qui reprennent en partie le Dictionnaire des musiciens de la Moselle de Jean-Julien Barbé (1929), ont l’avantage de rassembler énormément de sources et permettent d’offrir un premier vaste panorama musical messin tant sous l’Ancien Régime qu’à la Révolution, avec une ouverture sur les musiciens du théâtre. Enfin, une vaste recherche universitaire menée par René Depoutot aboutit à la publication en 1997 d’une très belle thèse consacrée à « La vie musicale en Lorraine (Metz, Nancy et Toul), 1770-1810). De l’originalité provinciale à l’uniformité française ». Celle-ci, qui donne accès au contenu des délibérations des trois grands chapitres cathédraux, et à la presse (en particulier les « Affiches, Annonces, et Avis divers pour les Trois Evêchés et la Lorraine »), souligne aussi l’influence des modèles, tant régionaux que parisiens dans la vie musicale lorraine, à commencer par la composition.

• • • La Moselle de 1790 n’est qu’un morceau d’un espace lorrain bien plus vaste dont il convient de retracer succinctement l’évolution territoriale.
Elle est l’un des quatre départements lorrains laborieusement mis en forme en décembre 1789 à la suite de longues tractations entre les députés de la région. Le 26 décembre 1789, sont établis neuf districts : Metz, Longwy, Briey, Thionville, Boulay (supprimé en 1794), Sarrelouis, Morhange, Sarreguemines et Bitche et le lendemain, il en est de même pour le département de la Meurthe avec le même nombre de districts. Cette étude ne portera pas sur les musiciens recensés dans les districts de Longwy et Briey, mais sera élargie à ceux qui se trouvaient en 1790 dans les limites des trois districts de Vic-sur-Seille, Dieuze et Sarrebourg situés alors en Meurthe et aujourd’hui en Moselle.

Le département regroupe des territoires ressortissant auparavant aux généralités de Metz et Nancy. Celles-ci étaient elles-mêmes issues de deux entités territoriales rattachées au royaume depuis moins de 150 ans : les « Trois-Evêchés » (1648) et les duchés de Lorraine et de Bar (1766). Occupées sous Henri II en 1552, les villes impériales de Metz, Toul et Verdun sont cédées définitivement à la France par les traités de Westphalie à l’issue de la Guerre de Trente Ans. Leur ressort s’étendait jusque dans les Ardennes (Sedan) mais la capitale administrative se trouvait à Metz. Le duché de Lorraine est octroyé en 1738 (traité de Vienne) à l’ancien roi de Pologne, Stanislas Leszczynski, beau-père du roi Louis XV, en échange de la neutralité française au moment de la succession d’Autriche. Trente ans, plus tard, à la mort du prince, le duché est annexé au royaume et un intendant s’installe à Nancy, même si depuis longtemps la France contrôlait tous les rouages.

La configuration territoriale était rendue encore plus complexe par l’existence d’enclaves étrangères, ultime reliquat du Saint-Empire Romain Germanique. Afin de rationaliser les frontières, la France signe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un certain nombre de traités avec ses voisins (l’Impératrice Marie-Thérèse qui possède le Luxembourg, les comtes de Nassau, le duc de Deux-Ponts, l’Électeur de Trèves) (Carte : Les échanges frontaliers de la seconde moitié du XVIIIe siècle). Par exemple, entre 1766 et 1770, des accords avec le comte de Nassau-Sarrebruck permettent à la France d’intégrer l’abbaye de Wadgassen et les petites villes d’Überherrn et de Carling en échange de l’abandon des territoires plus septentrionaux. En 1790, il reste en particulier l’enclave du comté de Créhange (maison de Wied-Runkel), l’enclave du comté de Dabo relevant du comte de Linange, l’enclave du Puttelange appartenant depuis peu aux princes de Loenwenstein-Rochefort.

La Moselle de 1790 est traversée, du fait de sa configuration géographique et de son histoire, par une frontière linguistique de part et d’autre d’un axe nord-ouest/sud-est allant de Thionville à Sarrebourg. En 1806, plus du tiers de la population se situait en zone germanophone et s’exprimait dans un des trois parlers germaniques : d’ouest en est, les franciques [ou « Platt »] luxembourgeois, mosellan et rhénan-lorrain. Les nouvelles lois votées par l’Assemblée nationale sont traduites systématiquement en allemand. Cette diversité est également culturelle. Par exemple, elle rejaillit sur la façon de vivre sa foi, de façon plus communautaire, ouverte à l’exubérance baroque et à l’accompagnement musical du culte dans la zone germanophone. Cette diversité explique la présence de nombreux musiciens d’origine germanique ou l’intervention de facteurs d’orgues venus du Saint-Empire.

La présence massive de l’armée dans cette zone stratégiquement essentielle à la défense du royaume (« Metz couvre l’Etat » écrivait Vauban), implique la présence d’une multitude de musiciens régimentaires. En témoigne en septembre 1784 la petite annonce publiée dans les Affiches de Lorraine par le régiment du Hainaut, en poste à Sarrelouis, qui souhaite « trouver deux Musiciens, dont un Basson & une Clarinette ».

La place forte de Metz peut accueillir jusqu’à 10 000 hommes depuis les travaux de Cormontaigne dans les années 1740 et la construction de plusieurs casernes à travers la ville. En 1788, il y a dix bataillons et douze escadrons en garnison, issus de quatre régiments d’infanterie, d’un régiment d’artillerie, d’un de dragons, d’un autre de hussards. La ville possède en outre une école d‘artillerie, un arsenal et le corps royal de génie. Sur la frontière, d’autres régiments sont garnisonnés à Thionville, Sarrelouis et même à Phalsbourg et Sarrebourg.

En 1790, le réseau urbain, très ancien, est écrasé par la ville de Metz (13e ville de France), siège du gouverneur et de l’évêque, avec ses 36 600 habitants (plus 7 000 militaires). Elle est très loin devant la seconde ville du département, Thionville (5 000 habitants) et la troisième, Sarrelouis (3 780). Les autres villes ne dépassent pas les 3 000 habitants, pour une population de 348 000 habitants en 1801.

• • • Le cadre ecclésiastique d’Ancien Régime est relativement homogène. Le département de Moselle établi en 1790 s’inscrit presque totalement dans le ressort du diocèse de Metz. Ce dernier, qui était suffragant de l’archevêché de Trêves, s’étendait même plus au nord-est, sur la moitié méridionale de la Sarre, et un peu plus à l’ouest et sud-ouest (région de Briey et une partie du bailliage de Pont-à-Mousson). En revanche, plus à l’est, les régions de Phalsbourg et de Dabo relevaient du diocèse de Strasbourg et, dans les parties septentrionales, la région de Sierck, comme celle de Sarrelouis étaient rattachées au diocèse de Trèves (Carte : Le diocèse de Metz au XVIIIe siècle). En 1790, c’est le cardinal de Montmorency-Laval qui occupe le siège épiscopal de Metz depuis 1761.

La présence protestante est devenue confidentielle (1 % de la population en 1787) à la suite de la révocation de l’édit de Nantes qui fit perdre le cinquième de sa population à la ville de Metz. Seul l’est du département possède encore des foyers protestants, comme à Phalsbourg. En revanche, la communauté juive est non négligeable à Metz. Constituée de 2 000 personnes environ, elle habite le premier ghetto juif du royaume en termes de population. « La synagogue où les hommes & les femmes se rassemblent séparément, n’a rien de remarquable ; mais leur chant, & surtout les gestes qui l’accompagnent, ont de quoi frapper les étrangers » (Almanach des Trois-Evêchés, 1788). Plusieurs chantres (cantors) y exercent ainsi que dans les petites villes des environs où une présence israélite est relevée, comme à Boulay et à Marsal.

• • • Du point de vue économique et commercial, le territoire reste essentiellement marqué par la production agricole, même s’il compte des activités industrielles plus ou moins anciennes Le futur territoire mosellan est une terre céréalière à la fin de l’Ancien Régime et on y produit souvent plus que nécessaire pour la consommation régionale. Autour de Metz, d’importants vergers fournissent de quoi élaborer les confitures sèches messines et, sur les côtes de Moselle, un vignoble offre un vin rouge qui a son succès.
Metz est connue à l’époque pour ses tanneries (le long de la Seille) qui travaillent pour satisfaire la demande en cuirs fins, ses textiles (flanelle et gros draps) et ses chapeaux. La production est adaptée en partie aux besoins de l’armée et s’écoule localement car les mesures protectionnistes découragent l’exportation. Il en est de même à Thionville. A Vic et Château-Salins, on fabrique plutôt de la bonneterie.
Dans la région du Saulnois, l’exploitation des « sources salées » est devenue affaire du roi (comme aux salines royales de Dieuze depuis 1766), tout en étant l’objet d’une forte contrebande aux frontières, y compris au sein de maisons religieuses.
En 1767, près de Bitche, la verrerie de la vallée de la Müntzthal devient verrerie royale de Saint-Louis puis en 1781 cristallerie. Très vite, ce « verre en table & vitre [...] surpasse en beauté celui de Bohème ». À Niderviller, près de Sarrebourg, une petite entreprise de faïence, rachetée en 1790 par le marquis de Custine, rencontre un grand succès. La même année, Paul Utzschneider lance à son tour une production de faïence à Sarreguemines et on peut citer aussi la fabrication de porcelaine à Sturzelbronn.
C’est à la fin de l’Ancien Régime que les activités phares du siècle suivant, la métallurgie et la sidérurgie, se mettent en place. Dans la région de Hayange, où s’est installée la famille Wendel, est expérimentée en 1769 la première coulée de fonte en utilisant le coke au lieu du charbon de bois.

II - Metz capitale musicale

4 - Plan alentours cathédrale Metz

Fig. 1 : Plan des alentours de la cathédrale de Metz à la fin du XVIIe siècle, (BnF, fonds Gaignières, 6038, XVIIe siècle - https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6902628m/f1.item.zoom)

Dès les années 1740, un remodelage urbain marque le paysage lorrain. A Metz, la ville médiévale s’efface peu à peu lorsque des monuments de prestige sortent de terre comme le Théâtre (1738-1753), l’Intendance (1739-1744) et lorsque de larges promenades comme la place de la Comédie sont dessinées. Le maréchal de Belle-Isle, Charles Fouquet, qui est gouverneur, a le projet de regrouper au cœur de la cité un vaste pôle administratif, politique, judiciaire et économique. Il doit surmonter les réticences du clergé. En effet, le plan élaboré par l’architecte Jean-François Blondel nécessite de raser le cloître de la cathédrale et ses dépendances (dont la maison des chantres) afin de donner à la nouvelle place d’armes l’ampleur attendue [Fig. 1]. Dans les années 1760 est construit au bord de cette place l’Hôtel de Ville.

En dépit du mot féroce d’Aubigné repris par la langue acerbe de Voltaire, « Metz n’a pas de librairie mais vingt pâtisseries », des élites éclairées existent. Metz possède neuf librairies et deux imprimeries ; en 1757 est fondée une Société d’études des Sciences et des Arts, transformée trois ans plus tard en Société Royale avec le statut d’Académie par Belle-Isle, qui parvient ainsi à la contrôler.

Après l’expulsion des jésuites en 1768, deux ans après la mort du roi Stanislas qui les protégeait, leur collège est repris par des réguliers qui s’appuient sur une nouvelle pédagogie. Depuis le milieu des années 1780, la bibliothèque publique de l’abbaye royale de Saint-Arnould est ouverte au public. Quatre établissements réguliers messins possèdent des bibliothèques de 4 000 à 11 000 livres dont les catalogues, éclectiques et encyclopédiques, sont influencés par les Lumières. La presse (Les Affiches des Trois Évêchés & de Lorraine) se développe sur fond de revendication d’une identité austrasienne qui serait défendue par les Trois Evêchés, et la ville de Metz particulièrement, dont on met en exergue l’ancienneté. La rivalité avec Nancy commence à poindre, accélérée par une concurrence d’ordre économique (Metz voulant accaparer le commerce d’entrepôt des produits coloniaux passant d’Amsterdam à l’Empire).

• • • Musique et élites

Les élites s’adonnent aussi à la musique et à la danse comme on le constate facilement en parcourant les nombreuses annonces parues dans la presse à cette époque. Elles fréquentent l’opéra et les concerts comme l’a montré René Depoutot. Les maîtres à danser sont nombreux à offrir leurs services, n’hésitant pas à faire étalage de leur expérience dans la presse, tel en 1778 le sieur Renaud qui se proclame « ci-devant Maître de Danse de la Cour, premier Danseur & Maître des Ballets au service de Son altesse Sérénissime Monsieur le Landgrave de Hess-Cassel ». Une pléiade de professeurs donne également des leçons de musique. Certains tiennent même des classes comme, par exemple, les époux FERROUILLAT qui ont mis en place avant mai 1789 une école vocale et instrumentale dans la demeure d’un procureur au présidial, rue du Change. C’est une pension où sont également admises des jeunes filles externes. Lui, qui est le fils d’un ancien musicien de la cathédrale, est connu pour la composition et l’accompagnement au forte-piano et à la harpe, il propose « l'art de jouer les pieces selon leur genre, la pratique moderne, les théorie complette pour l'aisance & la parfaite connoissance du Clavier, la force & la délicatesse pour les graduations du tact, les nuances de l'expression [...] ». Son épouse s’occupe de l’instruction en général et « elle enseigne aussi à chanter en s'accompagnant de la guitare, elle se propose de remplir l'objet le plus respectable, en dressant les enfans pour la premiere communion ».

Un Concert existait à Metz dès le milieu du XVIIIe siècle mais il a laissé peu de traces contrairement aux deux associations de concert [plutôt une en réalité ?] beaucoup plus connues, créées en 1797 : la « société philarmonique » et le « concert d’amateurs ». Certains concerts sont néanmoins chroniqués dans la presse comme celui du 8 janvier 1781, donné à l’Hôtel de ville, où « M. Bourgoin, Musicien de la Cathédrale, a chanté plusieurs morceaux, entr'autres une Ariette nouvelle, que l'on dit être d'un Officier du Régiment de Bretagne. M. Bourgoin mérite par lui-même beaucoup d'applaudissemens ; mais il en eût eu bien davantage si l'on eût su qu'il était l'Auteur de l'Ariette qu'il a chanté ».

Quant au Théâtre situé en Nexirue, devenu vétuste, il fut abandonné et le gouverneur ordonna la construction d’un Hôtel des Spectacles dont le chantier dura près de vingt ans (jusqu’à l’inauguration en 1752) [Fig. 2]. Cet établissement était financé par l’Hôtel de Ville mais se trouvait sous administration militaire. Il comportait 1 384 places et l’abonnement était obligatoire pour les nombreux officiers de la garnison. On y donnait des opéras comme des comédies et les acteurs-chanteurs étaient polyvalents. L’orchestre comportait dix-sept membres en 1786, seize en 1791 dont un, BOURGOUIN, était en poste à la cathédrale comme chantre avant 1790 et un autre, THOMAS, sur le point de sortir de la maîtrise. Quant à BOLVIN, le chef d’orchestre, il avait joué de la basse à la cathédrale en 1782. En mai 1774, pourtant, le chapitre avait réitéré sa défense faite « aux musiciens et chantres de cette Eglise, ainsy qu'au Maitre de musique de fréquenter l'hôtel des Spectacles pour y jouer des instrumens, chanter, servir ni figurer de quelque sorte et maniere sous quelque pretexte que ce puisse etre, a peine de privation de leurs offices et d'etre renvoyer sur le champ ». Les pupitres de cuivres ne sont pas mentionnés car ils étaient tenus par des musiciens vacataires, sans doute issus des régiments. Si les sources manquent pour étudier l’extrême fin de l’Ancien Régime, René Depoutot a pu établir qu’entre 1774 et 1783, il fut donné au Théâtre de Metz 523 représentations dont 86 % étaient issues du répertoire de cinq compositeurs, en premier lieu Grétry (41.5%) puis Monsigny, Philidor, Duni et Devèze.

• • • La musique à la cathédrale Saint-Étienne

Metz a une très ancienne tradition cantorale qui remonte au VIIIe siècle (Cantus metensis).

Dans « La France ecclésiastique » de l’année 1790, on lit que le roi a anobli le chapitre par lettres-patentes en mai 1777. Vingt-huit des trente-huit canonicats sont strictement réservés à ceux qui peuvent prouver leurs trois degrés de noblesse du côté paternel. Il existe cinq dignités (princier, grand-doyen, grand-chantre, chancelier et trésorier), quatre personnats (le grand-archidiacre et trois archidiacres) et deux offices (écolâtre, aumônier). En 1790, tous sont détenus par des prébendés. Le bas chœur est composé de deux offices ecclésiastiques dits semi-prébendés, deux sous-chantres, huit sacristains, trois secrétaires, un généalogiste (recruté pour enquêter sur les preuves de noblesse), un maître de musique, huit enfants de chœur et quatorze musiciens.

En réalité, le corps de musique est légèrement plus étoffé avec vingt-huit intervenants. Il est composé de deux organistes, quatre instrumentistes (deux serpents dont un vient en renfort les jours de fête, un basson, un joueur de basse continue et de violoncelle, qui est également chargé « d’Entretenir a ses frais de Cordes Et autres Réparations, les instruments dont il se servira a lad. Eglise, Et de conduire suivant les offres, La Simphonie comme Premier violon Lorsqu'Il sera nécessaire dans toutes les musiques Extraordinaires ») et onze chantres (trois basses-contre, six basses-tailles, une haute-contre, une haute-taille, ces deux dernières tessitures ayant été établies à Saint-Étienne en mai 1765 « pour le soutien de la musique de cette Eglise » et elles doivent être « de choix »). La requête collective étudiée par le district de Metz en juillet 1791 permet de connaître avec précision les tessitures. Toutefois, certains chantres sont présentés indifféremment comme basse-taille ou basse-contre selon les sources et les époques. Les deux sous-chantres, dont on ignore la tessiture, probablement des basses-contre car leurs fonctions exigent qu’il se rendent « assiduement au chœur a toutes les heures des offices pour y psalmodier avec le bas chœur » complètent un groupe cantoral très marqué par le registre grave. Pour René Depoutot, la cathédrale de Metz compte un effectif musical plus important que celles de Nancy et Toul à la même époque. On est très loin en revanche de celui, pléthorique, de la cathédrale de Strasbourg [voir chapitre BAS-RHIN].

La structure musicale de la cathédrale Saint-Étienne de Metz en 1790.

NOM et Prénom Spécialité Lieu d’origine Âge en 1790 Ancienneté à St-Etienne en 1790
François Michel LAURET Maître de musique Orléans 34 5
Henry Dominique HERMENT Organiste titulaire Vic-sur-Seille (57) 54 9
Chrétien HERMANN Organiste suppléant Metz 25 4
François GUIBERT Serpent Metz 61 36
Jean-Baptiste ANCEL Serpent Metz 20 2
Jean-Baptiste François SORNET Basson Foville (57) 60 31
Simon Pierre GILBERT Basse continue et violoncelle Metz 39 7
Jean François HINGLAISE Basse-contre près Marsal (57) 56 17
Pierre MANGINOT Basse-contre Metz 40 19
Jean SIMON Basse-contre près Lunéville (54) 75 37
Jean François ADAM Basse-taille près Thionville (57) 59 29
François BASTIEN Basse-taille près Verdun (55) 32 9
Bernard Valérien BOURGOUIN Basse-taille Saint-Émilion (33) 43 18
Nicolas GUEDON Basse-taille 41 2
Joseph Ambroise Clément MASSON Basse-taille Vatimont (57) 21 2
Nicolas Louis SIMON Basse-taille récitante Metz 69 48
Thomas BOUSQUET Haute-contre  Le Bousquet (11) 51  22
Antoine François MILLET Haute-contre Plappeville (57)  28 9
Jean-Baptiste JACQUET Premier sous-chantre Metz 30 2
Joseph CORRINET Second sous-chantre Bénestroff (57) 25 2
+ 8 enfants de chœur

Les maîtres de musique de la cathédrale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle

Depuis 1725 et jusqu’en janvier 1756, Pierre-Joseph MAILLARD a été le maître de musique de Saint-Étienne, connu pour ses compositions musicales marquées du sceau du « bon goût » et de l’habileté. La succession est difficile à assumer car deux maîtres, malgré leur talent, ne parviennent pas à se stabiliser en Lorraine. Il s’agit de Gilles DESHAYES dit SALOMON (1756-1757), venu de la cathédrale de Cahors, et François-Nicolas HOMET (1757-1759), de la collégiale de Beaune en Bourgogne. En 1760, Jean-Nicolas LOISEAU DE PERSUIS, en poste auparavant à la cathédrale d’Avignon, s’enracine plus profondément puisqu’il reste à son poste jusqu’à son décès en 1784. S’il se fait parfois rappeler à l’ordre au sujet de sa gestion des enfants de chœur, le nouveau maître trouve l’assentiment du chapitre dans le surcroît de solennisation qu’il introduit dans la musique les jours de grandes fêtes. Les « Tablettes de renommée » publiées à Paris en 1785 le mentionnent et rappellent qu’il « a fait exécuter au Concert Spirituel plusieurs Motets de sa composition qui ont eu le plus heureux succès, notamment celui du Passage de la Mer Rouge », dans une veine qui peut faire penser sans doute à Jean François LESUEUR.

À sa mort, on postule de partout dans le royaume pour occuper sa place et c’est le maître de musique de la collégiale Saint-Hilaire de Poitiers, l’Orléanais François-Michel LAURET, neveu du maître de musique de la cathédrale d’Orléans, qui est retenu par le chapitre. À peine arrivé, il fait jouer un Te Deum de sa composition, preuve de la haute exigence des chanoines sur le chapitre de la composition musicale. La suppression de cette compagnie survient au moment où les reproches pleuvent sur le maître, accusé de laxisme dans sa gestion de la psallette et d’organisation de concerts pourtant interdits dans les locaux de cette dernière. En 1790, l’abbé LAURET perçoit annuellement 1 800 livres en argent, 60 quartes de blé froment, 55 hottes de vin ; il est logé à la maîtrise. On estime en 1791 que son revenu réel est de 1 500 livres car le reste lui sert à nourrir les huit enfants de chœur.

Nous pouvons citer avec certitude cinq noms d’enfants qui sont dans l'ordre de réception Martin THOMAS (le grand enfant de chœur, reçu en 1780), Jean Nicolas LAGRANGE, Nicolas MANGENOT, COMBRUSSEL, PILLOT et les trois derniers ont probablement été reçus en 1790 [ce registre est hélas moins bien tenu] : DORVAUX, Jean LONCHAMPS, Pierre MATHIEU (qui sont connus grâce à leurs démarches ultérieures). Le chapitre n’est pas avare en matière de formation de ses enfants et, très souvent, il rémunère des maîtres d’instruments (basse, violoncelle, hautbois, basson, harpe). Un nouveau bâtiment de la maîtrise a été construit avant 1764 place Saint-Étienne. Inséré dans un complexe plus large où l’on trouve le logement des sacristains et la bibliothèque capitulaire, il a coûté plus de 29 000 livres. C’est là qu’est entreposée la bibliothèque musicale du chapitre, forte de 134 numéros d’après l’inventaire dressé en juin 1785, mais où manque l’ensemble des œuvres de LOISEAU DE PERSUIS, léguées à son fils Louis-Luc, futur directeur de l’Opéra de Paris.

L’orgue et les organistes
Des quatre cathédrales lorraines, celle de Metz fut la première à faire construire un grand orgue dans le style parisien, un seize pieds à trois ou quatre claviers. Il fut commandé à Claude LEGROS pour la somme de 4 000 livres et inauguré en 1708. Il était toujours en place à la fin de l’Ancien Régime après de nombreuses réparations. La dernière en date a été réalisée par Joseph DUPONT en 1781 et, le 16 novembre 1782, les chanoines décidèrent « qu'on haussât le ton desdites orgues et qu'on le mit au ton ordinaire de la musique », c’est-à-dire que l’orgue en si bémol de LEGROS serait accordé en si bécarre. Cet orgue disparut avant 1803. Il existait aussi, depuis la fin du XVe siècle, le petit orgue du triforium en nid d’hirondelle, profondément reconstruit par LEGROS, destiné aux « jours ordinaires ». Pendant plus de cinquante ans, c’est le Messin François SEIGNELAY qui a touché l’orgue de la cathédrale, et son successeur a obtenu sa survivance en 1764. Il s’agit de Henry Dominique HERMENT, originaire de Vic-sur-Seille, l’organiste titulaire de la paroisse Saint-Martin. En 1790, il occupe la tribune de la cathédrale depuis neuf années mais, affaibli par la maladie, il a obtenu en juillet 1787 que l’un de ses enfants, Chrétien, le supplée, à la condition, posée par le chapitre, qu’il aille achever sa formation à Paris. Le talent de cet organiste devait être bien exceptionnel pour qu’autant de communautés ecclésiastiques lui confient leur orgue (cinq tribunes actuellement connues). Pour autant, il ne perçoit que 450 livres de gages annuels à la cathédrale.

Le bas chœur en 1790

7 - Lutrin cathédrale de Metz

Fig. 3 : Le lutrin de la cathédrale de Metz, 1724, réalisé au Luxembourg (cuivre, bronze, marbre), aigle du XIIe siècle (?), pied du XVIIIe siècle, servait de pupitre aux chantres (https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/memoire/AP57W00707)

Il est en plein renouvellement puisque 40 % de l’effectif a changé depuis dix ans (la moyenne s’établit à 15,5 ans d’ancienneté). On ne compte que 20 % de l’effectif dont l’ancienneté dépasse 25 ans (le record est détenu par Nicolas-Louis SIMON en poste depuis 48 ans). L’âge moyen des musiciens s’établit à 43 ans. Le doyen a 75 ans mais cinq musiciens ont moins de trente ans, deux d’ailleurs sont sortis de la maîtrise, le serpent ANCEL et la haute-contre MILLET. Plus des deux-tiers de l’effectif sont composés de Messins ou de natifs de la future Moselle.

Les musiciens et chantres se placent habituellement dans le chœur, le lutrin est d’ailleurs restauré en 1781 [Fig. 3], mais lors des grandes occasions, « la musique » est installée sur le jubé, comme lors de la venue de Monsieur, frère du Roi, en août 1784, où elle « chanteroit un Motet, avec le Domine salvum fac Regem ». On célèbre avec plus de faste les deux fêtes patronales de saint Étienne (en août et décembre) et les fêtes de Pâques et de Pentecôte. Le maître reçoit une enveloppe budgétaire supplémentaire (150 livres par an) pour faire jouer de la musique en symphonie et inviter des musiciens externes, dont certains viennent de Verdun ou de Toul. En 1778-1779, la mise en place du nouveau bréviaire semble provoquer une diminution des interventions de la musique ; ainsi en juillet 1778 il est décidé qu’au « lieu de musique, ce sera Le chant Sur Le livre » en ce qui concerne les hymnes des fêtes solennelles.

Les gages annuels n’apparaissent pas très élevés comparativement à d’autres cathédrales. Tous les musiciens sont rémunérés 600 livres par an au moment de la suppression et tous, sauf deux (et l’organiste), sont logés, un peu comme à Notre-Dame de Paris, dans « le pavillon des chantres » et reçoivent à cet effet une aide financière annuelle supplémentaire qui s’élève à 40 livres. Ce pavillon, détruit en 1757, a été rebâti avant 1764 sur la place Saint-Étienne et il consiste en réalité en deux bâtiments dont le principal est accolé à la maîtrise. Le tout a coûté 30 000 livres.

• • • Les collégiales messines
• À Metz, la collégiale Saint-Sauveur a été fondée au milieu du XIe siècle et très vite le nombre de chanoines diminue en raison de difficultés financières ; il a même été question de la fusionner à la cathédrale en 1738. Cinquante ans plus tard, il y a 13 chanoines et deux dignitaires, le prévôt et le doyen, selon l’Almanach des Trois-Evêchés. Les chanoines rémunèrent un organiste, Georges ROYER, qui a été engagé vers 1743 pour 96 livres d’appointements annuels. Ils disposent également de deux chantres laïcs dont le premier assure les fonctions de maître de musique, de deux chantres prêtres et de quatre enfants de chœur. Jean MARQUET, formé à la maîtrise de la cathédrale de Toul, a été basse-chantante à la cathédrale de Metz une quinzaine d’années avant d’être reçu six ans plus tard, en 1767, à la collégiale Saint-Sauveur en qualité de chantre et de maître des enfants de chœur (420 livres de revenus annuels, logement compris). En 1778, il adapte les livres liturgiques de la collégiale au rite parisien de Mgr de Vintimille. Le second chantre laïc, qui est aussi marguillier [sacristain] est en place depuis 1752. Il s’agit de Nicolas AUBERTIN (400 livres par an). Il y a deux prêtres chantres rétribués 450 livres annuellement, Antoine SIMON, depuis 1775, et Mathias KUHN, en place depuis 1776, tous les deux prêtres du diocèse de Trèves. En mars 1788, il est prévu de verser aux deux premiers enfants de chœur, LUCOT et VALSER, 36 livres chacun et aux deux derniers 30 livres par an.

• La collégiale messine de Saint-Thiébault, fondée en 1161, rebâtie après 1552 près de l’hôpital Saint-Nicolas, a été sur le point de voir son temporel uni à celui du séminaire en 1739. Elle comprend deux dignitaires (un prévôt et un doyen) et huit chanoines. En 1790, quatre chantres sont identifiés. Jean-Baptiste Maximin AUBERTIN, âgé de 24 ans, fils d’un chantre de la collégiale Saint-Sauveur, est en poste depuis trois ans. Nicolas BOULANGER, âgé de 67 ans, compte 45 années de service environ, il perçoit 95 livres par an. Charles-Augustin CARQUET, 50 ans, était déjà en poste en 1780. À cette date, le curé de la paroisse Saint-Martin le poursuit pour avoir unilatéralement mis fin à son contrat d’engagement comme joueur de serpent et être parti subrepticement pour chanter à la paroisse Saint-Simplice. François PERRIN, 40 ans, est en poste depuis quatre années ; auparavant il était sous-chantre et greffier de justice dans la petite paroisse rurale d’Augny. Il assure à la collégiale les importantes fonctions de marguillier pour 300 livres par an. Le 9 février 1791, le district de Metz verse à Henry Dominique HERMENT la somme de 50 livres pour son dernier semestre de gages comme organiste de la collégiale Saint-Thiébault. C’est la seule source qui le mentionne à cette place. Les orgues sont vendues en juin 1792.

• • • Les organistes des abbayes et des couvents

• En 1762 sont réunies deux très anciennes abbayes bénédictines Sainte-Marie et Saint-Pierre de Metz. Madame de Choiseul-Stainville, abbesse de Saint-Pierre, prend immédiatement la tête du nouvel établissement érigé en collégiale, on parle alors du « chapitre royal et séculier de Saint-Louis ». C’est un chapitre noble où les douze dames chanoinesses doivent faire la preuve de 400 ans de noblesse afin d’être reçues ; il y a aussi douze dames semi-prébendées ou coadjutrices. L’orgue de Saint-Pierre, œuvre de Joseph LE PICARD sur la base d’un précédent devis de Claude II LEGROS, installé en 1744, est transféré dans les murs du nouveau chapitre. Ce « petit orgue » est touché et entretenu au moins depuis 1755 par Henry Dominique HERMENT, aux gages annuels de 120 livres, jusqu’à la suppression de la collégiale en 1790.

• On admire chez les bénédictines de Sainte-Glossinde « un joli buffet d’orgues » posé en 1758 au-dessus de l’entrée du chœur de leur établissement. Cet établissement a une forte tradition musicale. En 1734, Guillaume HASLÉ avait composé des motets pour les moniales (œuvres récemment redécouvertes par Jean Duron). On trouve des orgues dans plusieurs couvents comme chez les Ursulines qui rémunèrent 60 livres par an l’organiste de la collégiale Saint-Sauveur, Georges ROYER, entre 1755 et 1790. Chez les Clarisses, il y avait aussi des orgues, vendues en 1792, sans doute touchées par une religieuse. Chez les dames du couvent de la Propagation de la Foi, un orgue est présent dès le règne de Louis XIV, construit ou réparé par Claude LEGROS, un ou une organiste non nommé le touche encore en juillet 1784 avec de très modestes gages de 15 livres par an. Dans la nouvelle église construite en 1755 dans le monastère des religieuses de la Congrégation-Notre-Dame, on observe sur le plan la présence d’un orgue au-dessus de la grille de clôture. Chez les dames de la Madeleine, c’est-à-dire les chanoinesses régulières de Sainte-Marie-Madeleine, il existe en janvier 1784 une organiste qui cherche à vendre par petite annonce « un beau, grand & bon Clavecin à grand ravallement, & à deux claviers ». Enfin, chez les Dominicaines, Catherine CHEVREUX, fille d’un facteur d’orgues de Bouzonville a été reçue en 1781 comme religieuse et organiste en raison de son talent.

• En 1768, les moines bénédictins de Saint-Symphorien, de la congrégation de Saint-Vanne, s’installèrent dans l’ancien couvent des jésuites après leur expulsion afin de les remplacer dans leurs tâches d’enseignement auprès des élèves du corps royal d’artillerie. Ils placèrent dans l’église Notre-Dame leur instrument datant de 1720, œuvre probable de Christophe MOUCHEREL. C’est cet orgue de huit pieds qui est touché en 1781-1783 par un certain Jean Louis BRIET. En 1790, la municipalité décide de conserver le collège avec à sa tête l’ancien principal, Dom Collette. Sacristains et organiste restent également en fonction à l’église afin d’accompagner comme auparavant la messe quotidienne des élèves et les services des dimanches et jours de fête.

8 - Saint-Vincent à Metz

Fig. 4 : L’ancienne abbaye bénédictine Saint-Vincent à Metz aujourd’hui (cl. Graoully — Photographie personnelle, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2770063)

• En 1680, les moines de l’abbaye vanniste Saint-Vincent [Fig. 4] déplacent leur orgue à l’intérieur de l’édifice, mais à la suite d’un incendie dévastateur en 1705, il fut passé commande d’un nouveau positif à Christophe MOUCHEREL alors que le grand corps était restauré par LEGROS. Le mauvais sort s’acharne sur l’instrument, détruit lors d’un violent orage en mars 1752. La diète de la Congrégation de Saint-Vanne autorise la commande d’un seize pieds et c’est le facteur messin Joseph DUPONT qui en est chargé pour la somme de 12 500 livres. L’orgue est livré en novembre 1779 et le nouvel organiste entre aussitôt en fonction. Son successeur en 1786 est Germain FLÈCHE, d’origine alsacienne mais parfaitement bilingue comme il s’en flatte dans sa requête ; il conserve son poste jusqu’à la fermeture de l’établissement tout en exerçant les offices de cellérier et dépensier. Il se marie toutefois en janvier 1790.

• Fondée au VIIe siècle, très liée à la dynastie carolingienne, abritant les restes de Louis le Débonnaire, l’abbaye bénédictine Saint-Arnould fut rasée sur les ordres du duc de Guise au moment du siège impérial de 1552. Les moines furent ensuite relogés dans le couvent des Dominicains où un orgue fut installé dès 1590. L’établissement adhéra à la congrégation de Saint-Vanne en 1618. En 1743, un « jubé fort élevé en pierres de taille » fut érigé afin d’y placer les orgues. Entre 1782 et 1785, le facteur champenois Jean RICHARD construit un magnifique instrument de seize pieds qui est inauguré en janvier 1785, ce qui est annoncé par voie de presse dans les Affiches des Evêchés et de Lorraine : « La réception de l'Orgue [...] se fera le 27 du mois par le Sr Alaise, Organiste de cette Ville & par le Sr Nautre [sic], organiste de la Cathedrale de Toul : tous deux toucheront alternativement, depuis 2 heures après midi jusqu'à 4, pour faire entendre cet Orgue, dans toute sa force, son étendue & le mélange de ses jeux. L'on invite MM. les Amateurs [à] cette Cérémonie [...] ». François Georges KREBS, d’origine alsacienne, en est le titulaire en 1790. C’est sur cet instrument, considéré comme le meilleur de la ville, que les candidats aux postes d’organistes des nouvelles paroisses récemment érigées s’affrontent en mai 1791. L’instrument est malgré tout vendu en 1794 et disparaît.

9 - Buffet d'orgues

Fig. 5 : Le buffet d’orgues de l’ancienne abbaye bénédictines Saint-Clément de Metz, installé en 1792 dans l’église Saint-Maximin de Thionville (cl. Fredamas — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=97472966)

L’abbaye vanniste Saint-Clément, fondée en 613, a été entièrement reconstruite dans les années 1690, sa façade achevée en 1737 et c’est peut-être à ce moment-là que le nouvel orgue de huit pieds est érigé, sans doute œuvre de Joseph LE PICARD, alors actif en ville. En 1790, l’orgue est toujours en place, et l’organiste de la paroisse de Thionville l’achète deux ans plus tard pour le remonter dans son église où il se trouve toujours ; on peut encore admirer le buffet, un des très rares d’Ancien Régime à avoir été conservés en Moselle. [Fig. 5]

Les couvents d’hommes abritent également des orgues, comme celui des Célestins mentionné dans l’inventaire de novembre 1791 et touché par Nicolas MARCHAND, celui des Augustins, acquis en juin 1792 par un vitrier, celui des Dominicains, touché par Antoine CORRIGEUX, celui des Trinitaires, vendu en avril 1792, celui des Grands Carmes, inscrit dans les sources dès 1695, augmenté puis entretenu par Claude LEGROS au moyen d’un contrat annuel, toujours en place en 1790 (« au dessus de l’entrée de l’église est un jubé supporté par 2 colonnes où est un jeu d’orgues »), et également celui des Carmes déchaussés, attesté dans les comptes en 1788-1789 puisque les religieux payaient à un organiste non nommé la somme de 35 livres annuellement pour toucher l’orgue. Enfin qu’est devenu l’orgue posé en 1721 par LEGROS dans l’église des « Antonistes » [Antonins] qui se trouvait rue Mazelle ? L’ordre a été absorbé par celui de Saint-Jean-de-Jérusalem en 1776 mais les religieux restent en place jusqu’en 1790.

• • • Des paroisses bien dotées en organistes et chantres

La ville de Metz est divisée en 14 paroisses de taille, population et revenus contrastés. Les comptes de fabrique n’ont été conservés que pour quelques-unes d’entre elles mais les registres paroissiaux permettent de restituer sans trop de peine les effectifs employés au moment de leur suppression en mai 1791. Douze églises paroissiales sont dotées d’orgues depuis longtemps et il y a souvent deux chantres dont le premier est systématiquement marguillier, c’est-à-dire sacristain. Au total, on relève douze organistes, plus la fille et l’épouse de deux d’entre eux qui semblent intervenir ponctuellement, et vingt-et-un chantres. Sept paroisses en salarient deux et sept autres un seul mais les sources ne sont pas exhaustives. L’absence de serpents étonne.

• En 1769, la paroisse Saint-Gorgon a fusionné avec celle de Saint-Victor en raison de la démolition de l’église à la suite des travaux menés pour agrandir la place d’armes. Un orgue y avait été reconstruit par Claude LEGROS en 1691. Le 29 mai 1740, Isaïe GODFRIN, natif de Francfort-sur-le-Main en Allemagne, est reçu comme organiste après avoir remporté un concours et il est encore en fonction en 1767.

• La paroisse Saint-Victor s’étend à l’ouest de la cathédrale, l’église est dans la rue au Blé, pas très loin du grand portail de Saint-Étienne. Un orgue était déjà en place en 1663 et les comptes conservés permettent de suivre relativement bien la succession des organistes. En 1686, Claude LEGROS procède au remplacement du vieil instrument. Le 29 mars 1737, un concours est organisé dans le but de trouver l’organiste qualifié. Pierre Antoine Jean-Baptiste GODFRIN, frère d’Isaïe GODFRIN, est reçu aux gages de 150 livres par an ; il est toujours en place au moment de la suppression de la paroisse en mai 1791. Une curieuse convention datée de 1787 précise que le service paroissial est transféré à l’abbaye Saint-Arnould, que l’abbé se charge de l’entretien de l’orgue mais que les fabriciens ne peuvent utiliser d’autre organiste que celui des moines... Pourtant, les comptes montrent que GODFRIN est toujours rémunéré, y compris pour le service des confréries. Ses revenus s’élèvent alors à 392 livres. En juin 1792, l’orgue est vendu. Quant à GODFRIN, il ne parvient pas à admettre qu’il n’a droit à aucune pension étant organiste paroissial et, devant les refus réitérés du district et du département, il en appelle au Comité des pensions qui est à Paris. Finalement le 11 mai 1792, il obtient 200 livres à titre viager en raison de la durée de son service, de son âge et de ses infirmités. Il est à noter qu’une de ses filles, sans doute Élisabeth Auguste GODFRIN, épaulait son père à la tribune lorsqu’il était souffrant et qu’elle avait même fait des démarches pour en devenir la survivancière.

Le compte 1788-1789 permet d’appréhender la richesse de cette paroisse qui, avec ses 8 427 livres de revenus pour 8 365 livres de dépenses, peut tenir la dragée haute à nombre de collégiales du royaume. François Martin LOYAUTÉ, fils du chantre de Saint-Gorgon, a pris ses fonctions à l’été 1788. Il perçoit 422 livres annuellement comme premier chantre et marguillier et GIRARD 69 livres comme sous-chantre. Il y a aussi deux vicaires, deux « vergers » ou bedeaux.

• La petite paroisse Sainte-Croix se situe sur la zone considérée comme le berceau de Metz, et au VIIe siècle l’église, aujourd’hui disparue, vient couvrir la « colline », point culminant de la ville, rue Taison, à peu de distance de la cathédrale dont les chantres viennent en procession avec le clergé pour les Rogations. Un organiste est signalé en 1727 et l’orgue, réparé par Joseph DUPONT en 1776, est évoqué pour la dernière fois en 1793. Le compte de fabrique 1789-1790 mentionne 9 436 livres de revenus pour 8 656 livres de dépenses. La fabrique rémunère l’organiste Gaspard GRANDJEAN 100 livres par an ; ce fils d’organiste est en poste depuis 1767 au moins et il est installé en ville comme facteur d’instruments. Son fils Pierre exerce au même moment à la tribune de la paroisse Saint-Livier. Le premier chantre et marguillier, Michel CAMUS, qui est aussi le receveur du compte, perçoit 300 livres par an. Il a succédé en 1789 à son père Raphaël Gratien CAMUS. Il y a deux autres chantres : ROYER reçoit 60 livres et Christophe COMMIOT 36 livres.

• En bordure nord-est de Sainte-Croix se trouve la paroisse Sainte-Ségolène. Un orgue est mentionné en 1548 à l’époque sans doute de son achat par les échevins de la paroisse. Ce n’est probablement plus le même instrument qui figure encore dans l’édifice au moment de sa vente en 1794. En mai 1791, la paroisse est supprimée mais l’église est conservée puisqu’elle devient le siège de la nouvelle paroisse de Moselle. Les effectifs de la paroisse sont connus pour 1790 grâce à un compte de fabrique. Elle perçoit annuellement 1 611 livres pour 2 082 livres de dépenses. Il y a un vicaire, un marguillier chantre, un chantre, un sonneur, deux « vergers » et des enfants de chœur dont on ignore le nombre mais pour lesquels on paie un perruquier « pour accomodage ». C’est Claude CAYÉ qui est à la tribune (76 livres de gages annuels depuis 1788 au moins). Fils d’un organiste de la paroisse Saint-Étienne-le-Dépenné, il exerce d’abord l’activité de marchand, du moins en 1774, et se présente dans certains actes comme « sergent de l’hôtel commun de cette ville ». D’origine luxembourgeoise, maître ès-arts et de langue latine, Jean HASTERT est le premier chantre et s’occupe du fonctionnement de la paroisse depuis au moins 1767 (212 livres par an) ; à ses côtés intervient au lutrin le second chantre, François Augustin VINOT (60 livres par an) en place depuis quatre années après avoir été employé dans d’autres paroisses messines.

10 - Saint-Eucaire à Metz

Fig. 6 : L’église Saint-Eucaire à Metz (cl. Johan Bakker — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=28052409)

• Au sud de Sainte-Ségolène, la paroisse Saint-Eucaire, dont l’église, construite du XIIe au XVe siècle, longe les remparts orientaux de la cité, aux pieds desquels coule la Seille [Fig. 6]. Elle n’est pas très éloignée de la porte des Allemands. On y touche l’orgue déjà en 1506 et celui-ci est réparé et augmenté à plusieurs reprises. En mars 1762, Joseph DUPONT intervient encore ; ses travaux sont réceptionnés par l’organiste de la cathédrale François SEIGNELAY. L’instrument est vendu et disparaît en 1794 mais l’église est conservée comme oratoire. En 1790, c’est Adrien CAYÉ, également marchand teinturier, qui touche l’instrument (pour 75 livres par an), au moins depuis 1776, après avoir été en service à Saint-Étienne-le-Dépenné. C’est sans doute lui qui a formé deux de ses fils à toucher l’orgue, Claude à Sainte-Ségolène et Jean-Baptiste qui le supplée à Saint-Eucaire. Le dernier compte de fabrique conservé, pour les années 1785-1788, mentionne des revenus s’élevant à 2 220 livres pour 2 094 livres de dépenses. Le marguillier et premier chantre, Louis LOYAUTÉ, passé auparavant par les paroisses Saint-Georges et Saint-Gorgon, est rémunéré 317 livres pour sa double activité et le sous-chantre Joseph BRAUX 30 livres. Ce dernier est en fonction depuis 1769 au moins et exerce parallèlement la profession de maître d‘école.

• En longeant plus au sud encore le rempart, on arrive à la paroisse Saint-Maximin qui s’enfonce dans la ville de part et d’autre de la rue Mazelle. L’église du XIIe au XVe siècle est toujours debout, ayant été préservée en 1791 en devenant le siège de la nouvelle paroisse de Seille. Un organiste était déjà en fonction en 1690, et en 1790 c’est Joseph HOUBLON qui touche les orgues, recevant 81 livres par an pour lui et son souffleur, outre 24 livres annuelles pour l’entretien de l’orgue. Démonté en 1794 car l’église devait accueillir le bétail confisqué à l’ennemi, l’instrument disparaît ensuite. Le parcours de HOUBLON reste un peu auréolé de mystère car d’après sa requête de 1793 il aurait commencé à exercer à l’âge de dix ans... Néanmoins, en 1762, il quitte le service de l’abbaye bénédictine de Beaulieu-en-Argonne [Meuse], il est alors âgé de 17 ans. Il sert ensuite la paroisse Saint-Livier de Metz avant d’être reçu à Saint-Maximin vers 1785. En l’absence de comptes, les registres paroissiaux fournissent les noms des chantres. Jean Louis Nicolas CADET est marguillier et chantre depuis septembre 1787, époque à laquelle il a succédé à son père Florentin dont il était survivancier.

• Dans le bord sud-est de la ville, au sud de la paroisse Saint-Maximin, se tenait la toute petite paroisse Saint-Étienne-le-Dépenné dont le ressort s’étendait uniquement à quelques rues autour de la place Mazelle. L’église datait du XIVe siècle. Un orgue avait été acheté en 1688 à la paroisse voisine de Saint-Simplice et transféré très probablement par Claude LEGROS. En 1785-1786, le compte de fabrique révèle un versement de 50 livres « au sr Harman et a la dlle son epouse pour ses honoraires d’organiste » puis l’année suivante la même somme « à la femme Hermant pour ses honoraires d’organiste ». La formulation de cette délibération ne peut désigner que l’organiste de la cathédrale de Metz, Henry Dominique HERMENT et son épouse Marie Philippine Jeanne FABRIQUE, puisqu’à cette date aucun de leurs fils n’est marié. C’est apparemment un cas assez rare de tribune détenue par deux époux et c’est l’unique fois que la demoiselle FABRIQUE apparaît dans les sources ! L’orgue est conservé jusqu’en 1792 puis disparaît. En 1790, Jean-Baptiste PARQUOT assure à la fois les fonctions de marguillier et de chantre, il a succédé en 1788 à François Martin LOYAUTÉ, parti à Saint-Victor.

• En remontant vers le centre de la cité, la paroisse Saint-Simplice est celle de la place Saint-Louis (alors place du Change) et des rues circonvoisines. L’église construite à la fin du XIIIe siècle était entourée d’un vaste cimetière. En 1586, on mentionne déjà un orgue, remplacé vers 1687 sans doute par LEGROS. On connaît un grand nombre d’organistes mais celui qui est en fonction en 1790 est Jean François ALLAIZE, depuis 1775 environ (160 livres). C’est lui qui est choisi pour réceptionner le nouvel orgue de l’abbaye Saint-Arnould en 1785. Le facteur Joseph DUPONT entretient l’instrument qui sera vendu en mars 1792 par petite annonce. Jean Louis MENLET est le marguillier et premier chantre de la paroisse depuis 1766 au moins. Charles Augustin CARQUET, déjà mentionné comme chantre à la collégiale chante aussi dans cette paroisse depuis 1780.

• Occupant une vaste superficie au sud des paroisses Saint-Victor et Saint-Simplice, la paroisse Saint-Martin correspond à l’ancien quartier commerçant de Neuf-Bourg développé au XIIIe siècle, c’est l’une des paroisses les plus riches de la ville. Son église, appelée auparavant Saint-Martin-aux-Champs car construite sur le mur gallo-romain, est mentionnée au début du XIIe siècle. Elle possédait déjà un orgue en 1584. En 1727, les échevins signèrent avec Joseph LE PICARD un marché pour la construction d’un orgue de 27 jeux d’un prix de 3 100 livres. En juin 1789, on procède encore à un relevage, confié au facteur François LALLOUETTE, établi à Verdun. En mai 1791, l’édifice devient le siège de la nouvelle paroisse d’Outre-Seille mais l’orgue est finalement vendu en 1794. On perd ensuite sa trace. En 1790, l’organiste de la cathédrale, Henry Dominique HERMENT, est en place à Saint-Martin, suppléé par ses fils. C’est à cette tribune qu’il a débuté sa carrière vers 1763, âgé alors de 27 ans. Du côté du lutrin, Louis MENGIN est le premier chantre en 1790 depuis sept ans. Joseph MIRGUET, signalé à ce poste en mai 1786, semble toujours être le second chantre paroissial.

• Autre petite paroisse, enclavée entre Saint-Martin et Saint-Jean-de-la-Citadelle et bordant le rempart méridional de la cité, la paroisse Saint-Gengoulf [appelée parfois Saint-Gengoult] dispose d’une église aujourd‘hui presque disparue qui se trouvait à proximité de l’abbaye Sainte-Glossinde. C’est là qu’en 1727 fut posé le dernier des onze orgues construits par Christophe MOUCHEREL lors de son séjour en Lorraine, un quatre pieds. Celui-ci est joué depuis octobre 1760 environ par un organiste aveugle, Nicolas MARCHAND, également titulaire de l’orgue du couvent des Célestins En 1793, le district lui accorde une pension annuelle de 150 livres qui correspond au montant de ses gages dans les deux établissements (en 1760, il recevait 99 livres par an de la paroisse). Racheté après la Révolution, l’orgue est utilisé jusque vers 1887 en l’église Saint-Simon. Les chantres sont plus difficiles à cerner mais Gaspard BURTAIRE assure les fonctions de marguillier et de premier chantre au moins depuis 1771. Quant au second chantre, Nicolas MUFFA, également « verger » (bedeau) de la paroisse, il est aussi manœuvre de profession.

• La dernière paroisse située sur la rive droite de la Moselle est Saint-Jean-de-la-Citadelle dont l’église se situe, comme son nom l’indique, au cœur de l’immense appareil militaire couvrant tout le bord sud-ouest de la ville, édifié au XVIe siècle peu après le siège de Metz par Charles Quint, puis incorporé aux travaux de Vauban et Cormontaigne. Pas d’orgue dans cette église arasée en 1803 (aujourd’hui c’est l’esplanade en bordure de la place de la République), mais deux chantres qui célèbrent tous les actes importants des familles des soldats qui se succèdent dans la garnison, tous régiments et armes confondus. Entre 1749 au moins et 1787, Jean BARBAUT en a été le chantre et marguillier. Mort le 25 octobre 1787, Il est remplacé par Nicolas HENRY qui partageait les mêmes fonctions depuis au moins 1782.

Il faut à présent franchir la rivière de Moselle afin de découvrir les quatre dernières paroisses messines.

La paroisse Saint-Marcel se trouvait dans le quartier d’Outre-Moselle aménagé au XIIIe siècle et son église avait été construite dès le VIIIe siècle dans une zone peuplée de vignerons et paysans, pas très loin de l’abbaye Saint-Vincent. Un compte conservé pour l’année 1715 mentionnait déjà les gages versés à l’organiste. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la tribune est entre les mains de la famille CORRIGEUX. D’abord le père Henry CORRIGEUX, déjà en place en 1748, puis son fils Antoine CORIGEUX, signalé à ce poste depuis 1774 ; il touche 78 livres dans le compte de 1786-1787. Cet organiste touche aussi les orgues du couvent des Dominicains. L’année précédente la « Delle CORRIGEUX » perçoit 126 livres comme organiste, peut-être est-ce Jeanne qui épouse en octobre 1787 Laurent BLED, ci-devant musicien au régiment de Dauphin-Infanterie. L’orgue est vendu en 1792. Noël MULEUR est le chantre et marguillier de la paroisse depuis 1769, ayant succédé à son grand-père maternel.

• La paroisse mitoyenne de Saint-Livier, située plus à l’est sur les bords de la Moselle s’étend un peu sur la rive droite, englobant la place de l’Intendance ; se trouvent aussi sur son territoire les abbayes Saint-Vincent et Saint-Clément. Cette église fondée au IXe siècle et reconstruite aux XIIe-XIIIe siècles subsiste aujourd’hui sous forme de ruines. Il y avait déjà des orgues en 1699 mais un orgue d’occasion est acheté en 1778, à la paroisse Saint-Nicolas de la ville de Luxembourg. L’achat, le transport, le remontage s’élèvent à 3 204 livres payées grâce à des emprunts. En 1779, Joseph HOUBLON reçoit 52 livres comme organiste. Entre 1786 et 1791, c’est Pierre GRANDJEAN qui est le titulaire, recevant 106 livres par an dont six pour le souffleur. En juin 1789 et septembre 1790, les facteurs d’instruments STECKLER et GILBERT interviennent pour de menues réparations. On ne sait ce que devint l’orgue après la fermeture de la paroisse en 1791. François CADET est le premier chantre et marguillier de la paroisse depuis février 1782, auparavant il était en poste à Saint-Simon. Il est le fils et le frère de chantres de la paroisse Saint-Maximin.

• À une courte distance de Saint-Livier se dresse l’église Saint-Georges à la bordure occidentale d’une minuscule paroisse centrée sur la rue Chambière. Elle menaçait ruine déjà en 1653, pourtant en 1790 elle possède un orgue, touché par François DUPUY, ce dernier ayant succédé en 1779 à Jean-Baptiste CAYÉ. Devenu oratoire en 1791, l’édifice est d’abord conservé et l’orgue vendu en 1794. Louis DÉQUER est marguillier et premier chantre depuis avril 1788.

• La quatorzième paroisse de Metz est celle de Saint-Simon-et-Saint-Jude, en dehors du bastion le plus septentrional, au-delà de la place Saint-Vincent, à une courte distance de la porte de France. L’église de style néo-classique a été bâtie en 1735 et s’y dresse encore car elle avait été conservée comme oratoire en 1791. À cette date, l’église n’est pas pourvue d’orgues mais on relève un marguillier-chantre, Jean TERNUS en fonction au moins depuis décembre 1785.

• Enfin on peut citer comme autre lieu de musique messin l’Hôpital Saint-Nicolas, fondé avant 1217 et géré par les officiers municipaux. Un orgue et un organiste sont mentionnés encore au XVIIe siècle, puis des organistes paroissiaux viennent toucher l’instrument les jours de fête. Cette pratique a cessé au XVIIIe siècle, même si on évoque en janvier 1794 un « jeu d’orgues » sur lequel on ne sait rien. Les registres de sépultures égrènent en revanche de nombreux noms de chantres qui se succèdent à un rythme assez soutenu, certains réapparaissant ensuite dans des paroisses de la ville. En 1790, les chantres sont depuis 1783 Louis GRAVELOTTE et depuis 1788, Antoine DESPILLY, jadis trouvé exposé devant l’établissement.

III – Ailleurs en Moselle

Quittons la ville de Metz pour découvrir le reste du département, partagé pour plus de clarté en huit régions unies autour de spécificités géographiques, naturelles, culturelles.

Un point à mettre en exergue est l’omniprésence de l’orgue dans la région depuis longtemps. L’empereur Charles IV de Luxembourg et sa suite « furent receux avec grosses triomphe et noblesse mélodieuse de chantres et d'orgue » à la cathédrale de Metz en 1356. C’est surtout à partir de la fin du XVIIe siècle, dans un contexte de reconstruction généralisée, que les archives permettent d’établir un panorama des orgues mosellanes. Il est toujours valable dans ses grandes lignes en 1790. Formé dans la capitale par Alexandre Thierry, le facteur Claude LEGROS, établi à Metz en 1684, renouvela profondément la plupart des instruments déjà établis et en installa pour la première fois dans un certain nombre d’établissements ecclésiastiques aussi bien dans les Trois-Evêchés que dans le duché de Lorraine ; il contribua ainsi à propager la facture d’orgue parisienne. D’autres facteurs venus de Lorraine ou d’ailleurs (Liège, Champagne, Vosges, Alsace, Palatinat...) sont actifs dans la seconde moitié du XVIIIe siècle aussi bien à Metz que dans nombre de petites villes de ce qui deviendra la Moselle, ainsi MOUCHEREL, LE PICARD, les frères Nicolas et Joseph DUPONT, VONESCHE, CHEVREUX, SILBERMANN, NOLLET... Comme en Flandre ou en Bourgogne, les autorités municipales (mais aussi parfois les confréries) s’activent pour faire installer, entretenir, renouveler, embellir les orgues, signe extérieur de richesse et de statut au sein de la hiérarchie urbaine régionale. Ainsi, la ville de Sarreguemines accepte sans difficulté l’annonce des échevins en mai 1769 de placer un orgue en l’église Saint-Nicolas nouvellement bâtie et « qui exigeait un jeu d'orgues, dautant plus que dans les villes moindres des environs et memes dans differens villages il y en a ». Parfois, ces dépenses apparaissent comme somptuaires pour certains habitants qui refusent de payer, comme ceux du quartier de Rode, écart dépendant de la paroisse de Morhange, dont le refus entraîne l’intervention du chancelier de Lorraine en 1745.

• • • La vallée de la Moselle et ses environs

• À 17 kilomètres au sud-ouest de Metz se dresse la collégiale Saint-Étienne de Gorze. Cette église également paroissiale possède une prestigieuse histoire. Fondée comme abbaye bénédictine vers 747 par saint Chrodegang, elle a appuyé son rayonnement sur les reliques de saint Gorgon. Ayant souffert lors des guerres de Religion, l’abbaye est finalement sécularisée en 1572, mais l’état de délabrement de l’édifice impose aux chanoines de célébrer l’Opus Dei dans l’église paroissiale qui devient collégiale en 1580. Les comptes qui ont été conservés ne mentionnent la présence d’un orgue qu’à partir de 1772 et permettent de comprendre que les gages de l’organiste étaient payés à parts égales par le chapitre et la ville de Gorze. Le chapitre compte un doyen et dix chanoines prébendés en 1790. « Deux chantres laïques, deux enfans de chœur, un organiste & un verger » sont rémunérés par le chapitre selon l’Almanach des Trois-Evêchés pour l’année bissextile mil-sept-cent-quatre-vingt-huit. L’organiste Laurent CODET, engagé le 27 avril 1772, serait venu, d’après ses certificats récusés par le district, de « l’abbaye de St-Robert de Molème de Toul » [sic]. Ses émoluments s’élèvent à la somme de 100 livres par an. Il joue sur un orgue de quatre pieds qui, construit par le facteur messin Joseph DUPONT pour la somme de 3 000 livres et préservé à la Révolution, sera utilisé longtemps au XIXe siècle. On lit dans le marché signé le 12 septembre 1770 que les commanditaires ne veulent pas d’un instrument trop sophistiqué « si une grande Orgue n'est pas touché par un Organiste habile qui connoisse parfaitement le melange des Jeux, l'on entend que du bruit, sans aucune harmonie ny mélodie; or il est fort rare de rencontrer dans les petittes Villes des Organistes bien fait au melange de tous les Jeux qui composent les grandes Orgues, il seroit donc inutile de remplir celle cy d’une multitude de Jeux dont l'usage eschaperoit a la connoissance de bien des organistes ». Au lutrin s’active le régent d’école Antoine DROLET qui est aussi marguillier et pointeur du chapitre. Ses multiples fonctions à l’église lui assurent un revenu annuel de 160 livres mais on ne sait pas combien il était payé pour faire la classe. Il est en place depuis septembre 1782 au moins.

• Le long des côtes de Moselle, sur la rive droite de l’Orne, petit affluent de la rive occidentale de la Moselle, l’abbaye prémontrée Notre-Dame-de-l’Assomption de Justemont, aujourd’hui disparue, a été fondée au XIIe siècle sur le finage du village de Vitry-sur-Orne. Ruinée plusieurs fois aux XVIe et XVIIe siècles, elle abrite pourtant encore un orgue en 1790. Depuis 1778, l’organiste est un laïc, Nicolas CHARTON. Auparavant, cette fonction relevait des « vicaires généraux » de l’abbaye, également chantres et sacristains. L’instrument est vendu en 1792, présenté comme un « beau jeu d’orgue » par la petite annonce publiée l’année précédente dans le « Journal des départemens de Moselle [...] ».

À Thionville, sur la Moselle, à 28 km au nord de Metz, l’église paroissiale Saint-Maximin, dépendant de l’abbaye éponyme de Trèves, est une église-halle classique achevée en 1759. Elle disposait déjà avant les travaux d’un orgue de quatre pieds, commandé en 1704 à Claude LEGROS et qui fut à plusieurs reprises nettoyé et réparé. Ce « petit orgue » fut démonté et entreposé dans le couvent des Capucins lors des travaux en 1755. Le facteur Jean NAU le réinstalle en 1760. Le 4 juin 1764, l’organiste titulaire depuis 1735, François EVRARD, prend sa retraite. Il est remplacé à la tribune par Georges DONDEINE, maître horloger et bourgeois de la ville. C’est un choix des officiers municipaux qui lui versent la somme annuelle de 300 livres pour toucher et entretenir l’orgue. Amateur éclairé, autodidacte, DONDEINE est chargé dès l’année suivante de concevoir un nouvel instrument car le petit orgue ne fait « pas plus de bruit qu’une turlutaine ». Il est payé 4 000 livres mais est chargé aussi de la confection du buffet et des soufflets. Le chantier dure deux années. En septembre 1790, DONDEINE, accaparé par ses responsabilités d’officier municipal et de directeur de l’hospice civil se démet de toutes ses fonctions et affaires au profit de ses deux fils. À l’aîné, l’horlogerie, et au cadet, Jean-Baptiste, âgé alors de 15 ans, la tribune de Saint-Maximin (toujours pour 300 livres de gages annuels). Toutefois, DONDEINE père jouera en 1791 un rôle de premier plan dans l’acquisition, le transport et l’installation dans l’église de l’orgue provenant de l’ancienne abbaye Saint-Clément de Metz.

• Le couvent des Augustins avait accueilli un orgue construit par Christophe MOUCHEREL en 1725, un « huit-pieds, positif et écho ». En septembre 1794, un état des ecclésiastiques domiciliés à Thionville et jouissant d'une pension mentionne Guillaume MARCHAL, ancien organiste des Augustins ; à cette date l’orgue a été vendu.

• Plus au nord encore, le long d’une courbe de la rivière, se trouve Sierck-les-Bains (45 km de Metz), où l’église paroissiale de l’Assomption pourrait avoir abrité des orgues, si on se fie aux souvenirs de l’abbé Bettinger (1755-1837) qui écrit avoir vu dans sa jeunesse « deux jeux d’orgue comme dans une cathédrale », mais déjà sans doute à l’état de ruine. Aucun organiste n’est mentionné à la fin de l’Ancien Régime dans les comptes municipaux et paroissiaux, alors qu’un chantre est rémunéré, cumulant souvent les fonctions de régent d’école et marguillier. C’est le cas de Jean HALSTROFF, en place déjà en 1781 comme marguillier et premier chantre. Il est secondé par Henry FELZ, par ailleurs maître menuisier. Le couvent des Récollets possédait peut-être encore l’orgue mentionné dans des comptes du XVIIe siècle et sur le plan de l’église réalisé en 1752 ; on voit qu’il se trouvait alors au-dessus du chœur des moines, les soufflets se trouvant à l’arrière, dans « la chambre des orgues ».
Dans la paroisse mitoyenne de Rustroff, le monastère de Tertiaires franciscaines, fondé au XVe siècle entretient avec soin son orgue, encore réparé et nettoyé par l’organiste DÉLERÉ en 1790. Cet instrument passa ensuite à Sierck où il fut joué pendant soixante ans.

• • • Le pays de la Nied et ses environs

À Boulay, petite ville située à 28 kilomètres à l’est de Metz, la vaste église-grange Saint-Étienne recèle un orgue au moins depuis 1683. Un nouvel édifice est construit en 1782 et l’instrument est démonté. Les officiers municipaux signent un traité avec le facteur Michel VERSCHNEIDER qui est chargé de le remonter ; la « cage des orgues » est ensuite peinte. Pendant tout le XVIIIe siècle, la dynastie des NIPPERT a tenu la tribune, mais après le décès de Pierre NIPPERT en 1783, c’est vraisemblablement le jeune Jean Antoine KIEFFER qui touche le clavier dès cette époque, même s’il n’est attesté qu’en 1788. Âgé de 29 ans en 1790, il a été formé par un frère de l’abbaye de Villers-Bettnach avant d’être nommé organiste de la paroisse d’Hestroff. L’instrument est vendu en 1791 et il est probable qu’il s’agisse de celui qui est alors installé à Maxstadt, avec son buffet décoré de quatre anges musiciens.

À sept kilomètres au nord, sur la route de Bouzonville, se trouvait le monastère des Tertiaires franciscaines de Téterchen. Il disposait d’un orgue mentionné à l’inventaire de septembre 1790. On l’évoque encore en 1796, installé dans une « soupente », puis il fut vendu à un négociant l’année suivante.

À Faulquemont, à 35 kilomètres au sud-est de Metz, il ne semble pas y avoir d’instrument à la fin de l’Ancien Régime mais sans doute en installe-t-on un après juillet 1792, époque où cinq chênes sont abattus « pour faire la charpente de la construction d’un orgue ». C’est cet instrument que le district ordonne de vendre en 1795. La situation mérite néanmoins d’être éclaircie. Les registres paroissiaux livrent le nom du sous-chantre en 1791, Claude MERCIER, et depuis 1784 le premier chantre doit être Jean JACQUEMIN, régent d’école, qui signe jusqu’en août 1791 la plupart des actes de sépulture dans le registre paroissial.

11 - Bouzonville

Fig. 7 : L’église de l’ancienne abbaye Sainte-Croix de Bouzonville (cl. Aimelaime, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=21480198)

Bouzonville, surnommée « la Perle de la Nied », se trouve sur la route Thionville-Sarrelouis. Elle possède un bailliage, mais à l’époque c’est l’abbaye bénédictine Sainte-Croix [11 religieux, 31 184 livres de revenus en 1790] qui fait sa réputation et qui reste au cœur d’un pèlerinage dédié aux reliques de la croix [Fig. 7]. Fondée au XIe siècle, détruite par deux fois, reconstruite, réformée également en 1612 par les moines de la Congrégation de Saint-Vanne, l’abbaye possède déjà, au début du XVIIIe siècle, un orgue de huit pieds à trois claviers dans son abbatiale à trois nefs . C’est le facteur Christophe MOUCHEREL qui a remplacé les anciennes orgues devenues « vétustes et caduques ». On lit à la date du 11 août 1770 dans les Affiches de Lorraine, que

« Le Sieur Chevreux, Facteur d'Orgues à Saint-Avold, a composé pour les Bénédictins de Bouzonville, un cylindre adapté à tous les chants de l'Eglise dans le courant de l'année. Ce cylindre composé de deux cens cinquante-trois pièces d'orgues que l'on peut quadrupler, si on le juge à propos, est mis en action sans le secours de l'Organiste, par le souffleur, qui le fait jouer en tournant une manivelle, comme pour les orgues d'Allemagne. Cependant l'Organiste peut toucher l'orgue à l'ordinaire, sans difficulté & sans embarras. Ainsi on peut également l'employer & s'en passer. Cet ouvrage a fait l'étonnement des musiciens qui n'en ont pu concevoir ni la délicatesse, ni les mouvemens ».

L’orgue reste en place pendant la Révolution et l’abbatiale devient même église paroissiale en 1791, à la place de l’église de Vaudreching. C’est dans cette église de Vaudreching que se marie Pierre CHÉRY, l’organiste de l’abbaye, le 2 mai 1786. Il ne reste pas longtemps en fonction car en décembre 1791, un autre titulaire fait les démarches auprès du district de Sarrelouis pour obtenir une pension, Pierre AUGUSTE. Il ne peut obtenir qu’une gratification correspondant à une année de ses gages (non mentionnés) en raison de son âge et de son ancienneté, mais « l'état d'infirmité et d'infortune de l'exposant » a joué également en sa faveur.

• À cinq kilomètres à l’ouest de Bouzonville, à Freistroff, le petit orgue de l’abbaye cistercienne Sainte-Marie et Saint-Gengoul est estimé 1 500 livres en 1791. On ne connaît pas sa destinée.

12 - Buffet d'orgues

Fig. 8 : Le buffet de l’orgue de l’ancienne abbaye cistercienne de Villers-Bettnach installé en 1793 dans l’église de Boulay (http://orguesfrance.com/BoulayEglise.html)

• À quelques kilomètres de là, dans le village d’Hestroff, le facteur Barthélémy CHEVREUX monte et accorde un orgue venu de la capitale qui est touché pour la première fois lors de la fête de Pentecôte 1772. Le généreux donateur est le célèbre Robert de Hesseln, fils de l’ancien maître d’école de la paroisse, devenu professeur de langue allemande à l’Ecole militaire de Paris et auteur du Dictionnaire universel de France. Il entend ainsi « contribuer a augmenter la gloire de Dieu et la solemnité du service divin qui doit se faire en cette Eglise ». Le premier titulaire organiste est un jeune garçon, Jean Antoine KIEFFER, fils du maître d‘école. En octobre 1778, Friedrich RAUBER, originaire de Saint-Ingbert en Sarre, occupe les fonctions de maître d’école, d’organiste et chantre de la paroisse, il les conserve jusqu’à la cessation du culte.

• À une dizaine kilomètres, dans la paroisse de Saint-Hubert, se trouve l’abbaye cistercienne de Villers-Bettnach. L’abbé joua un rôle important dans l’installation de l’orgue vers 1726-1727, alors même que le chantier de construction de l’église se poursuivait : « lesdit orgel [sic] estant un huit pieds resonant seize complet en tout ses jeux avec positif et esco. Mr l'abbé fournit toute la matiere et en a achetoit pour 2 000 livres, donne pareille somme aux ouvriers avec la nourriture et doit faire faire à ses frais toute la menuiserie et autre ornement ce qui lui coutera au moins pareille somme de 4 000 livres ». On estime que le facteur à l’origine de cet orgue est le Liégeois LE PICARD. En 1773, c’est un religieux, le frère BERNARD, qui touche l’orgue. En novembre 1789, une signature dans le registre paroissial révèle que l’organiste de l’abbaye est un certain Thomas HURST et en mars 1791, c’est un autre organiste, nommé Jean AVRIL, qui se marie à Vaudreching. L’orgue est vendu en 1793 à la commune de Boulay. [Fig. 8]

• • • Les pays des salines ou Saulnois

Dans cette région de la Haute-Seille, on extrayait le sel depuis plusieurs siècles. Si la saline de Marsal fut abandonnée par Louis XIV, toutes les autres restent très actives comme l’attestent les registres paroissiaux.

• Tout au nord de cette zone, à Morhange (à 45km de Metz), petite ville dotée d'une prévôté bailliagère seigneuriale, l’église paroissiale Saint-Pierre-Saint-Paul, possédait « un prêtre servant, un marguillier, un chantre, un organiste & un verger ou bedeau [...] en 1771 » (Dictionnaire de R. de Hesseln). Vingt ans plus tard, elle possède toujours l’orgue qui avait été commandé pour 3 150 livres à Jean Jodoc VONESCHE en 1729 et réceptionné trois ans après. Cinq organistes se sont succédé depuis cette date. En 1790, c’est Jean Pierre MARTZLOFF, originaire de Puttelange, qui touche l’orgue depuis trois ans. Au lutrin, Jean SPANNAGEL vient juste de succéder à son père comme marguillier et chantre de la paroisse.

À Château-Salins, petite ville située à 47 kilomètres au sud-est de Metz, l’église Saint-Jean-Baptiste est au cœur d’une paroisse indépendante depuis 1715. L’édifice détruit par le feu en 1696 abritait un orgue. Le nouvel instrument n’est installé qu’en 1724, après que la ville eut signé un marché avec le facteur Jean Jodoc VONESCHE. Pour la somme de 2 000 livres, un instrument de quatre pieds doté de huit jeux est confectionné avec son positif. Les comptes de la municipalité permettent de connaître l’identité de sept organistes. Le dernier titulaire de l’Ancien Régime est François DROUIN, d’origine nancéienne, qui a été engagé pour 250 livres par an le 16 décembre 1751. L’écroulement partiel de l’église en 1763 impose un transfert du service divin dans l’église des sœurs de Sainte-Elisabeth et l’orgue doit se taire. Toutefois DROUIN est rémunéré 105 livres annuellement pour l’entretenir « de crainte qu’il ne se gâte » et il est nommé « boutavant » (officier) aux salines. En juin 1769, il peut à nouveau s’asseoir à la tribune et perçoit alors 270 livres dont dix pour le souffleur. Le dernier remontage, en 1786, est confié au facteur LEFEBVRE, vraisemblablement celui installé à Bouquenom en Alsace. L’orgue VONESCHE disparaît sans doute dans les flammes avec le mobilier en 1793. Dans le registre paroissial de 1790, on relève les noms de Nicolas GRIMMER (février) et Nicolas POUL (août), sous-chantres tous les deux. Qui était le chantre ? En 1788-1791, c’est Léger ROGUET qui est mentionné comme marguillier et sans doute premier chantre.

La ville abrite un autre orgue en 1790 dans l’église du couvent des « dames de la Congrégation », probablement les religieuses de Sainte-Élisabeth, aussi dénommées Sœurs grises. L’inventaire de l’établissement en octobre 1792 en fait mention.

Vic-sur-Seille est à peine à 6 kilomètres au sud de Château-Salins, à proximité de la future limite du département de la Meurthe-et-Moselle. C’est l’ancien centre administratif du temporel des évêques de Metz. Ces derniers ont marqué leur présence dans la pierre depuis le XIIe siècle et on admire encore les tours impressionnantes de leur château. La ville possédait une collégiale Saint-Étienne, fondée au XIIIe siècle par l’évêque de Metz, comportant en 1788 un doyen, un sous-doyen et six chanoines. Un orgue est déjà attesté dans un compte de 1583-1854. Plusieurs organistes sont rétribués par la suite comme Nicolas JOBERT (1688-1719), Claude JOBERT, peut-être son fils (1719-1730), puis la sœur de ce dernier, Élisabeth JOBERT. Les comptes sont perdus pour la période postérieure à 1764, mais un orgue est toujours en place en 1790 : il est vendu en octobre à la paroisse de Moyenvic. Cet orgue proviendrait de l’abbaye de Salival qui avait fait construire un nouvel instrument dans les années 1774-1778. À l’époque de la suppression du chapitre, c’est François CHAUDRON qui touche l’orgue de la collégiale avec un traitement annuel de 200 livres. On connaît son existence grâce à un mandat délivré par le département le 27 juillet 1790 au district de Château-Salins. Selon l’Almanach des Trois-Evêchés pour l’année bissextile mil-sept-cent-quatre-vingt-huit, le chapitre salariait également deux chantres, un « verger », un suisse et quatre enfants de chœur.

La ville possède une église paroissiale distincte de la collégiale, toujours en place et dotée d’un mobilier Renaissance et baroque, l’église Saint-Marien. Un orgue y est attesté dès le XVIe siècle et, à la fin du siècle suivant, l’organiste de la collégiale, Nicolas JOUBERT, joue aussi à la paroisse. Un instrument semble avoir été construit dans le deuxième quart du XVIIIe siècle, puis reconstruit partiellement en 1782 par le facteur nancéien Georges KÜTTINGER. L’organiste en place en 1790 l’est au moins depuis 24 ans : il s’agit de Pierre JOBERT, secrétaire de la subdélégation installée en ville. Enfin, deux autres établissements disposent d’un « petit jeu d’orgues » en 1790. Celui du couvent des Cordeliers est attesté dans l’inventaire de juin 1790, et celui du monastère des Dominicaines dans celui d’août 1792 : il s’agit d’un quatre pieds neuf placé dans le chœur.

• Limitrophe à Vic, la paroisse de Moyenvic accueillait depuis le XIIe siècle l’abbaye prémontrée Notre-Dame-de-la-Nativité de Salival. Elle avait été fondée par Mathilde de Salm-Hombourg. Ruinée, reconstruite, réformée au XVIIe siècle, embellie et richement décorée au siècle suivant, l’abbaye compte encore en 1790 neuf religieux qui sont des chanoines réguliers et un important temporel. Un orgue est attesté en 1749 puis remplacé par un nouvel instrument, un huit pieds élaboré de 1773 à 1780 par Nicolas DUPONT. L'ancien orgue fut vendu à la collégiale de Vic-sur-Seille avant d'être transféré en 1793 dans l'église paroissiale de Moyenvic où il disparut à l'issue de la Seconde Guerre Mondiale. À la Révolution, l'abbaye est fermée et l'orgue transporté à la paroisse de Château-Salins. L’inventaire de juin 1790 évoque le « grand orgue » mais aussi un aigle de cuivre avec des chaises pour les chantres, un pupitre de fer ; et dans la sacristie des rochets et des linges pour les enfants de chœur. Un des religieux étant le curé de la paroisse, on peut penser que les chantres étaient également au service de l’abbaye et de la paroisse.

Marsal est à 5 kilomètres de Salival. En 1790, la ville a perdu son importance stratégique mais elle avait été une place-forte redoutable, renforcée par Vauban. La collégiale Saint-Léger ne comptait déjà plus qu’un prévôt et cinq chanoines en 1740, elle fut unie par la suite à la collégiale de Vic-sur-Seille. Toutefois dès 1707, l’orgue est strictement de la compétence de la ville. Un orgue de huit pieds est commandé au facteur nancéien Jean Jodoc VONESCHE. Cet instrument ne nécessita que très peu d’interventions par la suite, preuve de sa qualité. Onze organistes se sont succédé à la tribune depuis 1680. Celui qui touche l’orgue en 1790 se nomme Charles PORIQUET. Il a pris la suite de son père François en 1784, ce dernier était alors en poste depuis 43 ans. Les registres paroissiaux permettent de connaître les deux chantres en exercice en 1790 : il s’agit du régent d’école Marin JEANDEMANGE, depuis 1783, et de Nicolas GRIMMER qui était en poste auparavant à la paroisse de Château-Salins jusqu’en mars.

À Dieuze, petite ville située à 10 kilomètres au nord-est de Marsal, l’église Sainte-Marie-Madeleine construite au XVe siècle a été détruite en 1944. Un orgue est mentionné dès 1707, mais il n’est pas en très bon état et l’organiste s’en plaint aux édiles. On fait venir le facteur nancéien Claude MOUCHEREL, frère de Christophe, qui entame en 1726 une réfection des jeux tout en ajoutant des sculptures au buffet. Les BARTHELEMY père et fils tiennent la tribune de 1723 à 1790. Depuis 1748, Pierre François BARTHELEMY œuvre sur un instrument toujours jugé un peu vétuste à la fin de l’Ancien Régime. Formé à Lunéville, l’organiste est reconduit avec applaudissements en 1760, pour des gages fixés à 370 livres par an et c’est lui qui entretient l’instrument. Ses talents de facteur le font choisir en 1768 par les chanoines de Lautenbach en Alsace pour construire un nouvel orgue dans leur église. En novembre 1790, Jean KLEIN signe comme chantre au bas d’un acte de mariage. Il existe par ailleurs deux marguilliers mentionnés dans presque tous les actes de sépulture.

Il y a aussi en ville un couvent des Minimes doté d’un orgue comme le révèle l’inventaire du 3 mai 1790. La confrérie du Rosaire avait décidé en 1750 de sa construction « pour être placé dans ladite Eglise a la plus grande gloire de Dieu, l'honneur de la Ste Vierge et pour l'edification des fidelles principalement pour ceux et celles qui composent lad. Confrairie ». Un des confrères, maître boulanger, avança la somme de 600 livres de Lorraine. Un traité est alors signé en mai 1750 avec le facteur du roi de Pologne, le sieur Sébastien GARNIER, résidant à Lunéville. La trace de l’instrument se perd après 1791.

À quatre kilomètres de Dieuze se trouve l’abbaye bénédictine Saint-Eustase de Vergaville. Elle avait été dotée vers 1680 de « grandes et belles orgues » par son abbesse, madame de Livron. Puis, en 1770, un « orgue de quatre pieds de grosse taille » fut érigé, peut-être par Nicolas TOLLAY, un enfant du pays. Il est toujours en place en août 1790 comme l’atteste l’inventaire et est vendu pour 330 livres en octobre 1792. À sept kilomètres encore vers le nord-est se trouve le village de Bassing et son couvent des Carmes peuplé de... deux religieux. L’inventaire de mai 1790 mentionne « trois surplis pour les enfants qui servent à l'autel, un missel romain, un missel pour la célébration des messes des morts, un Cantus Minimorum, un graduel antiphonaire romain ».

• • • Le pays du Warndt

Dans cette dépression sableuse occupée en grande partie par la forêt, parsemée de quelques prairies et cultures, d’étangs et de roselières, de mines de plomb et de cuivre, les petites villes de Forbach et Saint-Avold offrent une présence musicale.

À Forbach, située près de la frontière, à 60 km au nord-est de Metz, l’ancienne église inférieure Saint-Sébastien dite du Kappelsberg, détruite en 1783-1784, possédait des orgues qui furent alors démontées mais jamais réinstallées. Les fabriciers saisissent l’opportunité de la vente des orgues du couvent des frères Augustins de Sarrelouis pour les acquérir. Le transfert et le remontage dans l’église Saint-Rémi sont assurés par Michel VERSCHNEIDER qui reçoit 628 livres de France pour cette tâche. L’organiste était payé par la ville. Le 23 octobre 1790, Nicolas BRENDLE, succédant à Jacob AVRIL, est choisi à ce poste ; ses gages sont fixés à 200 livres par an à charge de sonner aussi la grande cloche. Il conservera son poste un demi-siècle ; il était aveugle et tourneur sur bois. Le maître d’école Antoine SADLER est également premier chantre, à ses côtés Jean ZIEGLER assure les fonctions de second chantre.

• À 18 km de là, au sud-ouest, se trouve Saint-Avold. Les officiers municipaux avaient lancé un projet de construction d’un orgue dans l’église paroissiale Saint-Pierre-Saint-Paul en 1720 « comme il semble qu’il y en a eu autrefois sur un jubet de pierre fait exprès ». En 1726, le facteur Jean Jodoc VONESCHE livra un instrument payé 3 600 livres. Romanus Benedictus NOLLET intervient en 1760 car des tuyaux ont été abîmés par les souris ; en 1787, Barthélémy CHEVREUX assure l’ultime relevage de l’Ancien Régime. À cette date, et depuis 1750, date à laquelle il a succédé à son père, c’est Jean-Baptiste PERNET qui occupe la tribune. Il est par ailleurs secrétaire de l’Hôtel de ville et greffier de police. Il perçoit 300 livres payées par la ville. Au lutrin, Nicolas DROUARD, premier chantre depuis 1761, touche 142 livres 7 sols 6 deniers par an (1773). Le second chantre est le maître d’école, Jacob GASSER depuis 1788, 30 livres par an. Une délibération du 12 février 1791 assure que la paroisse a toujours rémunéré deux chantres, le premier pour tous les jours, le second pour les dimanches, fêtes et jours solennels.

14 - Orgues Saint-Nabor

Fig. 9 : Les orgues de l’ancienne abbaye de Saint-Nabor de Saint-Avold (1770) (cl. Ch. Maillard, mai 2021)

La ville possédait deux établissements monastiques. D’abord, l’abbaye vanniste Saint-Nabor, dont l’église en grès rose est de construction récente (1755-1759), possède un instrument encore mal connu en raison des pertes archivistiques. Il est établi à présent que le nouvel orgue, un huit pieds, était l’œuvre de Barthélémy CHEVREUX. C’est son beau-fils Nicolas GRINEVALD qui occupe la tribune à la fin de l’Ancien Régime. Un visiteur, Dom Collesson, se plaint en 1785-1786 au président de la congrégation de Saint-Vanne que « L'office divin a été extrêmement négligé [...]. A la messe conventuelle, on abrège, on troque, on y touche de l'orgue tous les jours au Carême, ainsi qu'à Vepres, l'on se contente de chanter un verset des plus longs traits et si l'organiste rend toutes les nottes, on l'avertit si brusquement au son d'une cloche d'être court, que cela doit faire sensation sur les assistants ; il a l'ordre de n'en toucher que la moitié ». En 1792, l’orgue de la paroisse est installé dans l’abbaye Saint-Nabor et celui des anciens moines est déplacé à Saint-Pierre-Saint-Paul. Les buffets restent à leur place respective. [Fig. 9]

On peut également mentionner un autre musicien au service de l’abbaye, François HERRER, à qui le district refuse de verser une pension en 1791. Selon sa requête, il avait certes quitté l’établissement pour s’établir à son compte mais des trois fonctions (portier, tailleur, serpent) qu’il y avait exercées antérieurement, il avait toutefois conservé la fonction musicale.

Quant à l’abbaye des religieuses bénédictines, fondée en 1631 par Henriette de Lorraine, elle était dotée déjà d’un orgue en 1724, construit par Jean Jodoc VONESCHE, de Nancy. Il est probable que Nicolas GRINEVALD en ait été le titulaire de 1790 puisque sa requête de février 1791 indique qu'il avait été « attaché à différentes abbayes bénédictines des deux sexes depuis 20 ans ». Peut-être tient-il encore l’orgue d’une troisième abbaye bénédictine, celle de Saint-Martin-de-Glandières, de la congrégation de Saint-Vanne, située à 5 kilomètres, dans l’actuelle commune de Longeville-lès-Saint-Avold [12 religieux, 28 922 livres de revenus]. Un « jeu d’orgues » y est en effet mentionné lors de la vente de mars 1792. Enfin dans le village de Varsberg (11 km au nord-ouest), une tribune est pointée du doigt en 1770 comme étant un lieu de désordre pendant le service divin, les jeunes s’y retirant pour « rire et badiner ». Portait-elle un orgue à cette époque ? En 1803, la présence de ce dernier est explicitement mentionnée mais on ignore à quelle date il avait été mis en place.

• • • La Sarre française

Cinq lieux de musique émergent des sources disponibles, mais une recherche méthodique du côté allemand s’annonce indispensable.

À Bérus, actuellement dans la commune d’Überhernn, la paroisse Saint-Martin possède en 1790 des orgues estimées 5 000 livres suivant un procès-verbal élaboré avant la vente ordonnée par le district de Sarrelouis en mai 1795. Il semble qu’elles aient été installées dans cette église en 1785, en provenance de l’abbaye de Wadgassen ; il est possible que l’organiste et chantre soit en 1790 François ROUCEL, à moins qu’il ne soit déjà parti pour Puttelange-aux-Lacs.

À Sarrelouis, qui se trouve à 52 km de Metz, l’église paroissiale Saint-Louis possède un orgue estimé 15 000 livres, somme très élevée, avant sa vente en 1795. Est-ce celui qui a été restauré en 1766 par Barthélémy CHEVREUX ? Aucun organiste n’a pu être identifié mais des sources généalogiques mentionnent le décès en 1750 de Louis WINAND, organiste et maître d’école de cette paroisse. En revanche, François VIART est le premier chantre de Saint-Louis depuis 1769 environ, il est aussi prêtre habitué. Il est secondé en 1793 par Pierre BAGER, qui pourrait avoir été déjà en fonction trois ans auparavant. Dans la même ville, le couvent des Augustins possédait un orgue estimé 9 000 livres en 1795. Éloignée de quelques kilomètres seulement au nord de Sarrelouis, l’abbaye noble augustine de Fraulautern, établie au XIIe siècle, possédait un orgue. Les chanoinesses régulières emploient Simon VAÏNAUT [WEINAU ? WINAND ?] qui accomplit une démarche auprès du district en décembre 1791 afin d’obtenir une gratification. Il ne peut prétendre à une pension étant apparemment trop jeune et depuis peu en poste dans l’abbaye de « Loutre » [nom francisé de l’abbaye]. Sa trace se perd presque aussitôt. Enfin, à 7 kilomètres au sud-est de Sarrelouis se trouvait l’abbaye prémontrée de Wadgassen. Christophe MOUCHEREL avait construit un orgue entre 1719 et 1725. En 1763, Henri LOUIS et Michel VERSCHNEIDER, élèves présumés de NOLLET, travaillent très probablement à l’abbaye. Le frère de Michel, Philippe VERSCHNEIDER, en était l’organiste et le bibliothécaire. On ne sait qui lui succéda après sa mort en 1772 et s’il y avait encore un orgue après l’installation du précédent à Bérus.

• • • La vallée de la Sarre

Sarrebourg est la première ville d’importance qu’on rencontre. Le même édifice sert au service paroissial sous le vocable de Saint-Barthélemy et au chapitre (un doyen, quatre chanoines) fondé au XIIIe siècle sous le vocable de Saint-Étienne. L’église, reconstruite en 1775, n’était pas dotée d’orgues à la fin de l’Ancien Régime. L’orgue des Cordeliers y sera installé en 1792. Les lacunes archivistiques empêchent de connaître les employés de la collégiale. Les registres paroissiaux mentionnent deux chantres paroissiaux : Antoine COULLE, également régent d’école, au moins depuis 1787, et Pierre ELLÉ à partir d’avril 1790, aussi maître d’école.

Comme l’indique l’inventaire effectué en juin 1790, le couvent des Cordeliers possède un orgue depuis 1741, posé par Franz Joseph BEYER, facteur établi à Turckheim [Haut-Rhin], et réparé quatre ans plus tard par SILBERMANN. Cet instrument est ensuite installé dans l’église paroissiale.

À cinq kilomètres à l’ouest de la petite cité, le monastère des dominicaines de Rinting abrite un petit orgue mentionné lors de l’inventaire de juin 1790. Le buffet d’orgues est toujours en place en 1799. À Niderviller, village situé à six kilomètres au sud-est, un organiste est attesté en 1768-1770, Antoine Barthélémy MASSE. Il touche un orgue installé dans l’église paroissiale Sainte-Croix vers 1763 par deux facteurs venus de l’abbaye de Wadgassen, en Sarre, en l’occurrence Henri LOUIS et Michel VERSCHNEIDER. Il remplace alors un « cabinet d’orgue » confectionné par Johann Andreas SILBERMANN. Ce nouvel orgue aurait été défectueux selon SILBERMANN et aurait forcé le commanditaire, le baron Beyerlé, directeur de la Monnaie à Strasbourg, à lancer des poursuites contre les facteurs. L’instrument est toujours en place en 1799. Il est possible qu’André STEHLI, qui exerce d’abord la profession de peintre en faïence, ait également occupé la tribune avant son décès en 1775. En 1790, François Joseph ANGER, maître d’école dans la paroisse depuis le printemps 1788, et sans doute chantre, signe certains actes de sépultures. D’origine alsacienne, il a été organiste de la paroisse de Bouxwiller et peut-être est-ce lui qui touche l’orgue SILBERMANN.

• À Hommarting, à huit kilomètres de Sarrebourg, l’église paroissiale Saint-Martin, construite en 1749, possède dès 1763 un orgue positif acheté d’occasion, œuvre également de Johann Andreas SILBERMANN. Ce « cabinet d’orgue » possédait six jeux sur un seul clavier. D’abord placé en l’église Saint-Thomas de Strasbourg, il fut vendu en 1745 au baron de Beyerlé qui le fit installer dans sa résidence de Robertsau. Cinq ans plus tard, l’orgue fut installé au château de Niderviller construit à proximité de la célèbre faïencerie, puis dans l’église de Hommarting. Un nouvel orgue ayant été installé vers 1763 dans cette église, le petit jeu d’orgue fut à nouveau vendu, sans doute par l’entremise des facteurs Henri LOUIS et Michel VERSCHNEIDER. En octobre 1773, un nouveau buffet est confectionné et le curé se déplace en vain à Strasbourg pour demander à SILBERMANN un ajout de trompette. L’instrument semble toujours en place en 1799 mais « hors d'Etat de servir, même en le réparant ».

On placera ici le village de Réchicourt-le-Château, se trouvant à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Sarrebourg mais faisant encore partie de son « pays », à la limite de l’actuel département de Meurthe. Il est situé à la pointe méridionale de la région des lacs, faiblement peuplée. L’église paroissiale Saint-Adelphe a été construite en 1737 et un orgue y a été installé entre 1744 et 1780. Il est toujours en place en 1799 mais on ne sait rien actuellement de son titulaire de 1790.

16 - Fénétrange

Fig. 10 : Carte postale début XXe siècle, la cité de Fénétrange, le château et l’ancienne collégiale (coll. part.)

• À une quinzaine de kilomètres plus au nord (et à 80 km de Metz), la collégiale Saint-Rémi de Fénétrange a été fondée en 1444 dans cette petite ville située sur la Sarre, en bordure du futur Bas-Rhin, au pied des Vosges [Fig. 10]. Au début du XVIIIe siècle encore, la baronnie de Fénétrange relevait de deux co-barons, le duc de Lorraine et le prince de Salm-Salm, mais en 1790 c’est le roi de France qui est devenu l’unique baron. En 1565, les chanoines durent s’exiler pour un siècle, à la suite des progrès de la Réforme, et le premier orgue mentionné localement est d’ailleurs celui qui a été construit en 1621 par les Luthériens. Il y a en 1790 un doyen et neuf chanoines prébendés. En 1728, la paroisse catholique, située dans la collégiale, avait reçu l’orgue de celle de Rahling, offert par le curé, mais il fallut construire une tribune. Christophe MOUCHEREL remonta l’instrument pour 60 écus en mai 1729. Plusieurs organistes se succèdent à la tribune dont Charles Hyacinthe PERNET (1763-1769) et François SCHILD, mentionné comme « organiste et bourgeois » de la paroisse en octobre 1788. Il est natif de Fénétrange et s’y est marié l’année précédente à l’âge de 30 ans ; il touchera ensuite les orgues, de nouvelles venues de l’ancienne abbaye de Vergaville, qu’il contribua à installer, jusqu’à son décès en 1835. Par ailleurs, les registres paroissiaux révèlent les noms de cinq chantres qui se sont succédé entre 1785 et 1790 à la paroisse. À cette date le premier chantre est Nicolas POIROT et le sous-chantre Didier RENAC mais ils ne sont en fonction que depuis quelques semaines.

• En s’écartant d’une douzaine de kilomètres sur la rive gauche de la Sarre, on parvient depuis Fénétrange à Munster, petit village limitrophe de l’Alsace qui pénètre ici assez profondément. L’ancienne collégiale Saint-Nicolas, qui ne se remit jamais des progrès de la Réforme, avait été supprimée par le cardinal de Lorraine et unie à celle de Vic-sur-Seille en 1594. L’église gothique devenue paroissiale fut restaurée en 1771 sous les auspices du curé Jean-Nicolas Philippe. Un mobilier baroque décore l’édifice ainsi qu’un orgue, peut-être installé par Michel VERSCHNEIDER en 1773. D’après le témoignage de Jean-Baptiste Stock, en 1844, c’est l’abbé Philippe qui choisissait l’organiste « parmi les jeunes gens les plus intelligents et les plus doués », les curés « même de petites villes telles que St-Avold, Sarralbe, Puttelange » s'adressaient à lui lorsqu'ils voulaient engager un organiste. À l'arrivée du curé jureur, fin septembre 1791, l'abbé Philippe se retira dans le pays de Trèves, le régent d’école Georges MULLER démissionna aussitôt « ne voulant pas rester chantre organiste au service de l'intrus ».

• À six kilomètres encore vers le nord-est, on arrive au village d’Insming. Le chœur de l’église vient d’être achevé en 1789, mais un orgue est attesté dès 1737 dans la nouvelle nef. Le 19 février 1785, le curé souhaite que « l'organiste d'Insming ait aussi selon l'usage en cette paroisse quinze sols de France pour toucher l'orgue pendant la ste messe solemnelle de fondation ou d'autres casuels [vu] qu'il n'y a point d'orgues dans aucune des chappelles dépendante de cette paroisse et que l'organiste ne peut rien tirer, que des fondations, qui doivent être acquittées dans l'église paroissiale d'Insming meme ».

• Après la partie alsacienne de son cours, qui dessert la ville de Sarre-Union, la rivière Sarre revient en Moselle par Sarralbe, située à vingt kilomètres de Fénétrange. L’église paroissiale Saint-Martin dite du Bourg a été élevée en 1778 sur l’emplacement d’une ancienne chapelle castrale, Saint-Pancrace. Cette dernière se situait dans le centre de la petite ville et possédait un orgue depuis 1719, construit pour 2 325 livres par le frère convers Pierre DELORME, venu de Bouquenom. L’instrument était en très mauvais état en 1750 et un relevage nécessaire. Il est effectué par Gérard Humbert, de Sarrelouis. En prévision de la reconstruction de l’édifice, l’orgue est démonté en 1773 et l’organiste titulaire, Dominique Joseph CUNY, également arpenteur juré, en place depuis 1767, est remercié. La ville projeta de remplacer l’orgue DELORME mais le projet échoua. Il fallut d’abord construire une tribune et c’est CUNY qui réinstalla l’orgue en 1781 seulement et se remit à le toucher « à la satisfaction de la chambre sinodale et des paroissiens ». Son traité de 1782 lui accorde 300 livres de gages annuels.

À l’extérieur de la ville se trouvait une petite église sous le vocable de Saint-Martin mais qui fut débaptisée en 1778 et devint la chapelle de la Trinité. En mai 1795, un serrurier est payé pour avoir « raccommodé la serrure de la chambre aux orgues de la Montagne » [surnom donné à cette église dressée sur une éminence]. Qu’en était-il en 1790 ?

À Sarreguemines (15 kilomètres plus au nord), l’église Saint-Nicolas, de style baroque, a été construite entre 1764 et 1768 peu après l’érection en paroisse. Le duc de Lorraine et l’abbé de Wadgassen participèrent à son financement. La priorité des édiles était de doter leur église d’un bel orgue. Ils se procurèrent celui de l’ancien couvent jésuite de Pont-à-Mousson [Meurthe-et-Moselle] qui était en vente en 1769, un six pieds. L’orgue fut payé grâce à la « libéralité des bonnes âmes » et « au zèle de la bourgeoisie ». C’est Michel VERSCHNEIDER qui remonta l’instrument et fut désigné en juin 1769 organiste titulaire avec un traitement de 400 livres par an, outre diverses exemptions d’impositions et du logement des gens de guerre, à charge d’entretenir l’orgue. Après 1775, six autres organistes lui succèdent, ayant en commun d’avoir été presque tous choisis par le marquis de Chamborant, gouverneur de la Lorraine allemande, établi en ville, grand amateur de musique. Plusieurs hussards issus du régiment portant son nom jouent à la fois dans son salon et touchent l’orgue paroissial. Toutefois, en 1786, les orgues sont « dans un si mauvais état qu'il n'est possible à aucun organiste de les toucher ». On fait venir un facteur alors établi à Merzig en Sarre, Charles François LEFEBVRE, qui livre au bout de trois mois un instrument en bon état. En 1790, deux organistes se succèdent à la tribune, Sébastien HAEN, d’origine alsacienne, en poste depuis 1786, puis Jacques Ignace Sébastien DEMAR, qui « touche supérieurement des orgues », soldat musicien lui aussi, qui reste peu de temps avant d’aller faire carrière à Orléans. À Welferding, sur la paroisse de Sarreguemines, à trois kilomètres du centre, se trouvait une petite église Saint-Walfrid, construite au XVIIIe siècle, qui semble avoir été dotée d’un orgue, attesté en 1786. À cette date, la ville fait appel à un facteur de Sarrebruck, Johann Georg GEIB, pour réparer l’instrument qui est toujours mentionné en 1802. On ne sait qui le touche à la fin de l’Ancien Régime.

• On retrouve la région des lacs à son point septentrional avec Puttelange-aux-Lacs [anciennement Puttelange-les-Farchviller] (à quinze kilomètres au sud-ouest de Sarreguemines). L’église Saint-Pierre-Saint-Paul, édifiée vers 1729 par les prémontrés de Wadgassen qui étaient décimateurs, fut rebâtie en 1760. Des orgues sont attestées dès 1737. En 1755, Michel VERSCHNEIDER est mentionné dans les sources comme organiste. Fils d’un régent d’école, il est surtout connu comme facteur et fondateur d’une puissante dynastie de facteurs lorrains qui rayonnera jusqu’à la capitale. Toutefois, il quitte le service de la paroisse entre 1769 et 1775 pour aller toucher l’orgue de l’église de Sarreguemines. Le 12 février 1788, il signe un traité avec le curé de Puttelange qui lui accorde des gages annuels de 250 livres en échange de l’entretien de l’orgue et d’un service à la tribune les dimanches et fêtes « et autres jours accoutumés ». Au lutrin, chante François ROUCEL également régent d’école et marguillier et bientôt organiste [il semble avoir pris ses fonctions à la fin de l’année 1790, début de 1791, en provenance de la paroisse sarroise de Bérus]. Il est reconduit pour trois ans en 1793 aux gages de 250 livres.

• La promenade sur la Sarre se termine à Grosbliederstroff, sur la rive gauche de la rivière, proche de Forbach et d’une frontière mouvante. On trouve ici un orgue dans l’église paroissiale Saint-Innocent, construite en 1749 et dotée d’un beau mobilier. Elle dépendait des Prémontrés de Wadgassen en Sarre. En 1790, le facteur Jean Bernard NOLLET est rémunéré pour diverses réparations. Jean LAMOTH assure à la fois les fonctions d’organiste et de chantre.

• • • Les contreforts vosgiens

Le versant occidental du massif est dénommé Vosges mosellanes.

À Dabo, un organiste dénommé « Bruder Johannes » est mentionné dans les comptes communaux en 1765. Un verre peint conservé par ses descendants atteste qu’en 1777 c’est l’instituteur [« ludi magister »] Florent LETSCHER, natif du lieu, qui touche l’orgue de l’église Saint-Blaise. Cette dernière a été construite en 1763 et conserve toujours son mobilier baroque. Il semble bien que LETSCHER chante également au lutrin en 1790. Il est attesté comme marchand et conseiller municipal mais à des dates qu’il faudra encore affiner.

17 - Orgue Saint-Quirin

Fig. 11 : Orgue Silbermann de l’église de Saint-Quirin (https://www.orgue-saint-quirin.fr/l-instrument-la-priorale)

À Phalsbourg (102 kilomètres de Metz), on bâtit une nouvelle église en 1741 et cinq ans plus tard, les frères Nicolas et Joseph DUPONT sont choisis pour construire et installer un orgue, selon un témoignage écrit du facteur SILBERMANN. Entre 1787 et janvier 1790, un nouvel orgue de vingt-sept jeux est confectionné par les soins du facteur alsacien Sébastien KRÄMER pour la somme de 600 florins. Le registre paroissial livre le nom de l’organiste en 1788, il s’agit de François Antoine SCHMID dont on baptise un fils le 11 juin. Il est toujours en fonction à la date du 19 janvier 1790. On relève dans le registre pour la même année les noms de Balthazar WALTERSPERGER et François DIVINÉ comme chantre et sous-chantre de la paroisse.

À Saint-Quirin, petit village au sud de Sarrebourg, près de la limite du département de Meurthe-et-Moselle, l’ancien prieuré dépendant de l’abbaye alsacienne de Marmoutier est devenu une paroisse en 1779. C’est un lieu de pèlerinage depuis le XIe siècle, où l’on vient prier sur les reliques des saints martyrs Quirin et Blandine envoyées par le pape lorrain Léon IX. L’église a été entièrement rebâtie en 1722 dans le style baroque. Un petit orgue de quatre pieds s’y trouvait depuis 1746, construit par Johann Andreas SILBERMANN et monté en deux mois. Aucun nom d’organiste n’est parvenu jusqu’à nous. L’instrument est toujours en place, restauré, et un festival lui est consacré de nos jours. [Fig. 11]

• • • Le Bitcherland

C’est la dénomination de cette partie la plus éloignée de Metz, d’une centaine de kilomètres, allongée entre le Palatinat et le nord de l’Alsace.

18 - Bitche

Fig. 12 : Anonyme, Vue de la ville de Bitche, vers 1790. Aquarelle anonyme sur papier (http://vosges-du-nord.fr/site/la-vie-rurale-au-pays-de-bitche-au-xviiie-siecle-2)

À Bitche, l’église Sainte-Catherine possédait déjà un orgue en 1614. Dans cette petite ville de garnison qui a connu dans les années 1740 d’importants travaux à la citadelle sous la houlette de Louis de Cormontaigne, on retrouve la trace d’un organiste dès 1723 [Fig. 12]. Un rôle d’habitants de 1748 « pour la levée des gages du régent d’école, chantre et organiste » de la paroisse indique que pour payer les 200 livres de gages annuels, chaque chef de famille doit verser 17 sols et chaque veuf ou garçon 8 sols. Quatre organistes se succèdent jusqu’à la cessation du culte en 1793. En 1790, c’est Louis SARTORIUS qui est titulaire de l’instrument depuis 1772. Une nouvelle église sort de terre en 1775 et la ville commande dès mai 1774 un orgue neuf de quinze jeux au facteur SEUFFERT, natif de Würzburg, installé dans la petite ville palatine de Kirrweiler. Les échevins de Bitche paient l’orgue, laissant l’achat du mobilier et du luminaire à la charge de la fabrique, mais cette dernière doit toutefois intervenir pour payer le facteur, en 1779 seulement, de la totalité de la somme prévue de 1 512 livres. En novembre 1777, Sartorius reçoit l’orgue en compagnie du neveu de Nicolas DUPONT, Nicolas TOLLAY, de Sarrebruck. À cette occasion, il est nécessaire de traduire en allemand le procès-verbal « attendu [...] que Louis Sartorius ne possede point la langue françoise » ; en effet le jeune homme est né en Franconie. On relève grâce au registre paroissial l’identité du chantre maître d’école de Sainte-Catherine, il s’agit de Joseph DESQUILBET, natif de Bitche. En ville, le couvent des Augustins était lui aussi doté d’un orgue, touché par des membres de la communauté. En 1790, l’organiste est Jean HELFFER, religieux venu du couvent alsacien d’Haguenau, natif d’Obernai [Bas-Rhin].

• À 13 kilomètres à l’est de Bitche se dresse l’abbaye cistercienne Sainte-Marie de Sturzelbronn. Fondée au XIIe siècle, nécropole des ducs de Lorraine au XIIIe siècle, détruite pendant la Guerre de Trente Ans, elle retrouva une nouvelle prospérité au XVIIIe siècle. En 1790, il y a « neuf pères religieux, un organiste, deux cuisiniers, un boulanger, un maître de salle pour le service du réfectoire, un servant ou domestique pour le prieur ». L’orgue attesté en 1765, réparé par le facteur suisse BOSSARD, disparut dans l’incendie qui ravagea l’établissement. En 1774, un nouvel orgue est érigé, œuvre de Nicolas THOLLAY selon le facteur alsacien SILBERMANN. On ignore encore le nom de l’organiste à cette période. En 1792, les orgues partent à Sarrelouis.

• À l’ouest de Bitche, deux villages abritent des orgues à la fin de l’Ancien Régime. D’abord Siersthal (à 8 km) où l’église-grange Saint-Marc a été construite au début du XVIIIe siècle et où un orgue a été installé en 1787 par Michel VERSCHNEIDER. En 1790, Martin RIMLINGER en est le titulaire. À Gros-Réderching (18 km de Bitche), l’église Saint-Didier a été reconstruite en 1753. La fabrique profite de la vente d’un orgue par le couvent des Guillemites de Gräfinthal, dans les environs de Deux-Ponts, en février 1788 pour 1 320 livres. L’instrument est transporté par Michel VERSCHNEIDER et posé sur une tribune « en couleur » après avoir été remonté par le facteur Johann Gottlob SACHSE, d’origine saxonne mais résidant alors à Bitche. Dans cette même ville se marie en octobre 1790 l’organiste de la paroisse Saint-Didier, Mathias LÄNGER, âgé de 25 ans, d’origine alsacienne. Il exerce également comme maître d’école.

• • • Et partout, des chantres de village
Les dépouillements de l’abbé Lesprand pour le district de Metz permettent de comprendre que la plupart des paroisses rurales possèdent un chantre, très souvent aussi régent d’école et marguillier (sacristain) ; les sondages effectués dans d’autres districts confirment ce modèle. La population lorraine est largement alphabétisée : 90 % des paroisses ont une école vers 1780 (89 % des hommes et 65 % des femmes signent leur acte de mariage à cette date). En mars 1791, le district de Boulay confirme le traité signé le 23 avril 1785 entre les « maire, syndic, échevins et habitants de la municipalité » de Servigny-lès-Raville et Charles GRANDGIRARD pour faire les fonctions de chantre, régent d'école et marguillier de leur paroisse pendant une année. Il a été ensuite reconduit tacitement. Il est rémunéré 90 livres par an…

« …à charge de tenir l'école depuis la Toussaint jusqu'à la Saint-Georges, pourquoi il lui sera payé par chaque écolier écrivain 30 sous, 20 sous pour ceux qui sont à l'alphabet et 25 sous pour ceux plus avancés, et que chaque écolier fournisse tous les jours d'hiver une petite bûche pour son chauffage; que ledit Grangérard sera en outre tenu de sonner les cloches lorsqu'il apercevra des orages ou qu'il en sera requis, pour rétribution de quoi il lui sera payé une gerbe de blé par chaque habitant qui en aura ensemencé immédiatement après les moissons ».

Plusieurs chantres ou municipalités sont invités par les districts à fournir des preuves « tant par titre que par témoins de la possession depuis un temps immémorial » de l’origine des fonds reçus ou versés, surtout lorsqu’il s’agit de dîmes (chantre de Boussange, décembre 1791, par exemple). Certaines paroisses plus riches ont deux chantres, peut-être aussi pour la seule raison qu’il faut soulager le premier. « On a besoin d’un Sous-chantre pour l’église de Novéant-sur-Moselle. S’adresser au sieur Nicolas Hanesse, Régent d’école au même lieu » fait-on paraître dans Affiches des Evêchés et de la Lorraine, du 25 novembre 1779. À Piblange, en avril 1791, le district autorise le conseil général de la commune à dissocier les fonctions de maître d’école de celles de marguillier chantre, car l’instruction des enfants est négligée, « si toutefois la municipalité a les ressources suffisantes pour satisfaire à l'accroissement de dépense que cette division de fonctions nécessitera ». Plusieurs chantres des paroisses messines ont débuté dans une petite église de campagne, souvent avec les fonctions de maître d’école, et il en va de même pour plusieurs chantres de la cathédrale de Metz. On assiste même à des mouvements inverses comme Georges CROUVEZIER, renvoyé de la cathédrale en 1777 et qui retrouve une place à la paroisse de Marsal comme instituteur et chantre.

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150 musiciens [il n’y a aucune musicienne en activité en 1790 même si quelques-unes ont été repérées avant cette date] exercent dans soixante-quinze lieux de musique différents en 1790, dont une cathédrale, cinq collégiales, neuf abbayes, cinq couvents, un hôpital, les autres étant des paroisses, urbaines ou rurales. À ces lieux documentés, il faut en ajouter vingt-neuf autres où un orgue est en état de fonctionner sans que le titulaire soit actuellement connu (huit abbayes, quatorze couvents, six paroisses et une chapelle), plus quelques paroisses à chantres. Par ailleurs, plus d’une centaine de notices d’autres musiciens ou chantres ayant exercé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle dans les églises de l’actuelle Moselle – et au Théâtre de Metz –, sont consultables.
Dorment peut-être encore, dans des archives, les traces d’autres musiciens de cette génération 1790 qu’il reste à identifier et à faire revivre sous la forme de notices biographiques. Plaise au lecteur nous aider dans ce long travail de reconnaissance...

Christophe MAILLARD
chercheur associé au Laboratoire Temos (TEmps, MOnde, Sociétés) UMR 9016 CNRS
(juin 2021)
Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de plusieurs contributeurs : Bernard Dompnier, François Caillou, Youri Carbonnier, Gérard Garrouste, Sylvie Granger, Édith Marois.
Mise en page et en ligne : Caroline Toublanc (CMBV)

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Les lieux de musique en 1790 en MOSELLE

Diocèse de Metz

Diocèse de Strasbourg

Diocèse de Trèves

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Pour en savoir plus : indications bibliographiques

Sources imprimées

  • Affiches, annonces et avis divers des Trois Evêchés et de la Lorraine [et autres déclinaisons de ce titre]
  • Almanach des Trois-Evêchés pour l’année bissextile mil-sept-cent-quatre-vingt-huit, J.B Collignon, Metz, 1788, 352 p.
  • Annuaire du département de la Mozelle pour la VIe Année républicaine, correspondant aux années 1797 et 1798, Metz, se vend chez Verronnais [plusieurs années consultées]
  • Henri-Gabriel DUCHESNE, La France ecclésiastique, pour l’année 1788, Paris, Duchesne, XII-472 p.

Bibliographie indicative

  • François LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999, 367 p. [sur Metz : p. 202-206]

• • • Sur l’histoire de la Lorraine, de la Moselle, de ses villes et églises

  • La Moselle a 200 ans, 1790-1990, Metz, Conseil général de la Moselle, Archives départementales, 1990, 71 p.
  • La Moselle dans la tourmente révolutionnaire (1789-1799), Recueil de documents commentés par Laurette Michaux, Metz, Conseil général de la Moselle, 1991.
  • René BOUR, Histoire de Metz, Metz, Éditions Serpenoise, 1 vol., 1979, 292 p. [64 p. de pl.].
  • Murielle BRULÉ, Jeux et divertissements à Metz et au pays messin aux XVIIe et XVIIIe siècles, Université de Metz, mémoire de maîtrise, 1997.
  • Philippe DELALEUX, Les fêtes de la Révolution à Metz (1789-an VIII), Université de Metz, mémoire de maîtrise, 1985.
  • Zoltan-Étienne HARSANY, « Metz pendant la Révolution », Mémoires de l’Académie de Metz, 1957-1959 à 1963-1964.
  • Jean-Louis MASSON, Histoire administrative de la Lorraine. Des provinces aux départements et à la région, Paris, Éditions P. Lanore, 1982.
  • Jean-Louis MASSON, Le département de la Moselle, 200 ans d’histoire, Metz, Éditions Serpenoise, 1990.
  • Michel PARISSE (dir.), Histoire de la Lorraine, Toulouse, Privat, 1977.
  • François ROTH (dir.), Histoire de Thionville, Metz, Éditions Serpenoise, 1995.
  • Hans Jörg SCHU, Lothar FONTAINE, Dieter GRUSCHKE, Gernot KARGE, Gabriel MAHRE, Erich POH, Marc SPEICHER, Chronik der Stadt Saarlouis 1680-2005, Ein chronischer Bericht über die Entwicklung der Festungsstadt, Kreisstadt Saarlouis, Saarlouis, 2010.
  • René TAVENEAUX et Jean LANHER (dir.), Encyclopédie illustrée de la Lorraine, Metz, Éditions Serpenoise - Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1990-1994, plusieurs volumes.
  • Henri TRIBOUT DE MOREMBERT, Le diocèse de Metz, Paris, Beauchesne, 1970, 312 p.
  • François WAAG, Histoire de la Moselle, le point de vue mosellan, Yoran, 2018, 296 p.

• • • Sur musique et musiciens en Lorraine [futur département de la Moselle] au XVIIIe siècle

  • Généralités
    • René d’AVRIL, « La musique en Lorraine au XVIIIe siècle », Le Pays lorrain, 1937, p. 377-390.
    • Jean-Julien BARBÉ, Dictionnaire des musiciens de la Moselle, Metz, imprimerie Le Messin, 1929.
    • René DEPOUTOT, La vie musicale en Lorraine (Metz, Nancy, Toul, 1770-1810). De l’originalité provinciale à l’uniformité française, Université de Nancy II, thèse de doctorat d’histoire, 1997.
    • René DEPOUTOT, « Les musiciens étrangers en Lorraine », Yves Ferraton (dir.), Symphonies lorraines, compositeurs, exécutants, destinataires : actes du colloque de Lunéville, 20 novembre 1998, Paris, Klincksieck, 1998, p.311-336.
    • Marion DUVIGNEAU (dir.), À quatre temps. La musique en Moselle des origines à nos jours, Metz, Archives départementales de Moselle, 2002, 417 p. [Dans cet ouvrage, Marion Duvigneau a rédigé plusieurs articles dans la partie « Catalogue » : « Chant messin, chant de messe » (p.315-321) ; « Des chantres dans un décor de rêve », p. 322-325 ; « La route des orgues » (p. 326-329), « David et la musique de la synagogue » (p. 330-334), « Un théâtre baroque à Metz » (p.335-337) ; « Luthiers et marchands de musique », (p.388-389)].
    • Claire DECOMPS, « Les thèmes musicaux dans le décor et le mobilier des églises de Moselle », Marion Duvigneau (dir.), À quatre temps. La musique en Moselle des origines à nos jours, Metz, Archives départementales de Moselle, 2002, p. 211-226.
    • Albert JACQUOT, La Musique en Lorraine. Étude rétrospective d'après les archives locales, Paris, 1882 (dessins de l'auteur).
    • Albert JACQUOT, Essai de répertoire des artistes lorrains, 5e suite, les musiciens, chanteurs, compositeurs, Les musiciens, chanteurs, compositeurs, [...], Paris, Librairie Fischbacher, 1904.
    • Christian LUTZ, « L’orgue en Moselle, un patrimoine centré sur le XIXe siècle », Marion Duvigneau (dir.), À quatre temps. La musique en Moselle des origines à nos jours, Metz, Archives départementales de Moselle, 2002, p. 203-210.
    • LUTZ (Christian) et MÉNISSIER (François), Orgues de Moselle, Metz, ASSECARM-éditions Serpenoise, 1994-1999, 4 vol. (A-G, H-Mi, Mo-Sa, Sc-Z)
    • Gilbert ROSE, Les musiciens amateurs de la Moselle, Metz, Éditions Serpenoise, 2003.
    • Pierre SCHONTZ, Les grandes dynasties de facteurs d’orgues lorrains. Orgues de Lorraine mosellane, Saint-Avold, Organae Europae, 1988.
    • Alphonse WOLLBRETT, « Notes sur le facteur d’orgues Nicolas Dupont (1714-1781) de Domnom-les-Dieuze », Cahiers lorrains, 1964, p.35-41.
  • La ville de Metz
    • Jean-Julien BARBÉ, « Le Théâtre à Metz sous la réaction thermidorienne et le Directoire (an II-an VIII) », Annales historiques de la Révolution française, 1928, p. 347-365.
    • Jean-Julien BARBÉ, « La première société philarmonique à Metz », Le Pays lorrain, 1926, p. 368-369.
    • Jean-Julien BARBÉ, « Le père d’Ambroise Thomas », Le Pays Lorrain, t.18, 1926, p. 180-181.
    • Jocelyne BARTHEL, « Les ancêtres messins d’Ambroise Thomas », Cahiers lorrains, 1987, p. 281-295.
    • Jocelyne BARTHEL, « Les ancêtres lorrains de Louis Loiseau de Persuis », Cahiers lorrains, 1988, p. 261-268.
    • René DEPOUTOT, « Musique du chapitre, Concerts, théâtre lyrique à Metz au XVIIIe siècle », Marion Duvigneau (dir.), À quatre temps. La musique en Moselle des origines à nos jours, Archives départementales de Moselle, 2002, p. 23-40.
    • Zoltan-Étienne HARSANY, « Le théâtre en France et particulièrement à Metz sous la Révolution », Mémoires de l’Académie de Metz, 1971, p. 165-173.
    • André HOLVECK, « Les anciennes orgues de la cathédrale de Metz démontées en 1805 », Cahiers lorrains, 1963, p. 84-86 et 99-115, 1964, p. 4-10.
    • Adeline KARCHER, Le Théâtre en garnison. L’Hôtel des Spectacles de Metz au XVIIIe siècle, Institut universitaire Varenne, Collection des thèses, 2015, 532 p.
    • Gilbert ROSE, Le Conservatoire de musique de Metz, Metz, Éditions Serpenoise, 2003.
    • Gilbert ROSE, « Les salles de concert chimériques à Metz », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, 1993, p. 141-148.
    • Gilbert ROSE, « Un nouveau théâtre à Metz », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, 1999, p. 11-20.
    • Gilbert ROSE, « Que devient la musique à Metz pendant la Révolution ? », Cahiers lorrains, 1989, p. 367-372.
    • Gilbert ROSE, Metz et la musique au XVIIIe siècle, Metz, Éditions Serpenoise, 1992, 247 p.
    • Gilbert ROSE, Metz et la musique de la Révolution au siège de 1870, Metz, Éditions des Paraiges, 2014, 364 p.
    • Gilbert ROSE, « La vie musicale à Metz au XVIIIe siècle » dans Musique et société : la vie musicale en province aux XVIIIe, XIXe et XXe siècle : actes des Journées d'études de la Société française de musicologie, Rennes... 8 et 9 septembre 1981, Rennes, Université de Haute-Bretagne, 1982, p. 51-61.
    • Philippe SIBILLE, « Être musicien à Metz sous la Révolution », Cahier lorrains, 1983, p. 249-256.
    • Henri TRIBOUT DE MOREMBERT, « Une virtuose de la harpe au XVIIIe siècle, Anne-Marie Steckler », Mémoires de l’Académie de Metz, 1959-1961, p. 130-141.
    • Henri TRIBOUT DE MOREMBERT, « La musique à Metz à travers les âges », Mémoires de l’Académie de Metz, 1979, p. 39-65.

Bibliographie élaborée par Christophe Maillard
(juin 2021)

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