Allier
Alpes-de-Haute-Provence
Ardennes
Ariège
Aude
Aveyron
Bas-Rhin
Cantal
Charente
Charente-Maritime
Cher
Corrèze
Côte-d'Or
Côtes d’Armor
Creuse
Dordogne
Doubs
Essonne
Eure
Eure-et-Loir
Finistère
Gard
Gironde
Haute-Garonne
Haute-Loire
Haute-Saône
Hautes-Pyrénées
Haute-Vienne
Hauts-de-Seine
Hérault
Ille-et-Vilaine
Indre
Indre-et-Loire
Isère
Landes
Loire-Atlantique
Loir-et-Cher
Loiret
Lot
Lot-et-Garonne
Maine-et-Loire
Manche
Marne
Mayenne
Morbihan
Moselle
Nièvre
Nord
Oise
Orne
Paris - Notre-Dame
Pas-de-Calais
Puy-de-Dôme
Pyrénées-Atlantiques
Rhône
Saône-et-Loire
Sarthe
Tarn
Tarn-et-Garonne
Val d'Oise
Vaucluse
Vendée
Vienne
Yonne
Yvelines
Actualité de la base Muséfrem
Vous avez dit prosopographie ?
Histoire de l'enquête Muséfrem
Les fondements de l'enquête Muséfrem
Les contributeurs depuis 2003
Les partenaires scientifiques
Contact
Pour citer Muséfrem
Musique et musiciens d’Église dans le département de la CHARENTE autour de 1790
Dans sa monographie sur Les Artistes angoumoisins depuis la Renaissance jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, l’historien charentais Émile Biais ne fait que peu de cas en 1890 des musiciens de la ville, et encore moins des musiciens d'Église. S'il s'attarde sur quelques familles de facteurs d'orgue et d'organistes, comme les Lefèvre, l'essentiel de son propos se concentre sur des dynasties de peintres, d'orfèvres, ou encore d'architectes, comme si le rayonnement artistique d'Angoulême à l'époque moderne ne s’était exprimé qu’à travers les Beaux-Arts, sans conserver les noms de ceux qui avaient exercé sous l'égide d'Euterpe ou le patronage de sainte Cécile. Les résultats de l'enquête Muséfrem consacrée au département de la Charente mettent désormais en lumière plusieurs musiciens, certes trop peu illustres pour être passés à la postérité, mais dont les parcours permettent d'apprécier la place de l'Angoumois dans la vie musicale des provinces de l'Ancien Régime.
• • •
Présentation du territoire
Établi autour de sa capitale Angoulême, dont il tire son nom, l'Angoumois constitue le noyau d'origine du nouveau département de la Charente. Cette ancienne province à la forme de losange s'étirait du Nord au Sud en partant du seuil du Poitou jusqu'au Périgord, et d'Ouest en Est de la Saintonge aux portes du Limousin. Au croisement de ces deux diagonales s'élève Angoulême, qui logiquement fut conservée comme chef-lieu du nouveau département. À la fin de l'Ancien Régime, la ville était déjà le siège de plusieurs administrations : un présidial, une sénéchaussée, une élection et une maîtrise des eaux et forêts y étaient implantés. Trop petite cependant pour prétendre devenir le chef-lieu d'une généralité, elle relevait de l'Intendant de Limoges. Au moment de la création du nouveau département, les députés de l'Angoumois cherchèrent à intégrer des territoires relevant d'autres provinces. Vinrent ainsi se greffer sur sa partie septentrionale des portions du Poitou et un morceau de La Marche, correspondant à la région des Terres Froides, sur les contreforts du Massif Central. Plusieurs paroisses situées dans les vallons calcaires de la Grande Champagne et des forêts de la Double saintongeaise permirent de grossir ses flancs méridionaux. Le département fut en revanche amputé de l’enclave périgourdine dite de La Tour Blanche, rattachée à la Dordogne, tout comme quelques localités du sud de la Dronne.
Certains linguistes émettent l'hypothèse qu'étymologiquement la Charente tirerait son nom d'un ancien mot d'origine celte Carentonna. La racine car désignant « la roche » et le suffixe onne signifiant « les eaux », la Charente pourrait ainsi littéralement se traduire par « les eaux qui viennent de la roche ». Le fleuve traverse en effet d'abord les plateaux accidentés des bordures occidentales du Limousin occupés par un paysage de bocages, propice à l'élevage. En aval de Mansle, plusieurs petits affluents (la Tardoire, le Bandiat, la Bonnieure), arrosent également des causses recouverts de forêts comme celles d'Horte ou de la Braconne. Les pertes de ces cours d'eau forment des rivières souterraines qui réapparaissent à quelques kilomètres d'Angoulême pour créer un ensemble de résurgences et former la Touvre. Celle-ci se jette alors dans la Charente, la rendant ainsi grâce à son important débit navigable jusqu'à l'océan. Les méandres du fleuve serpentent ensuite dans des plaines alluvionnaires avant d'être, après Cognac, rattrapés par les eaux du Né et de l'Antenne.
Au cours de son premier séjour en France, Arthur Young, après avoir quitté Bordeaux le 28 août 1787 et avant de remonter vers la capitale, traverse l'Angoumois. Les quatre jours qu'il passe dans cette province l'amènent à livrer dans ses Voyages un aperçu des paysages qu'il rencontre en chemin et à dresser le portrait économique d'une province qu'il considère comme archaïque. L'agronome anglais se montre en effet très sévère à l'égard des grands propriétaires qui ne cherchent pas à mettre en valeur les terrains qu'ils possèdent, ce qui lui fait dire que « les seules marques […] de leur grandeur, sont des jachères, des landes, des déserts, des bruyères et de la fougère » et que très souvent leur château se trouve « au milieu d’une forêt bien peuplée de daims, de sangliers et de loups ». Hors de ces grandes étendues de friches, les cultures céréalières (blé et maïs notamment) n'obtiennent que des rendements très modestes, sur des sols trop calcaires. Seule la vigne semble réussir : c'est d'ailleurs au XVIIIe siècle que plusieurs grandes familles anglo-saxonnes investissent à Cognac ou Jarnac dans des sociétés de négoce pour produire et commercialiser de l'eau-de-vie, afin de répondre à la demande du marché britannique.
Les anciennes structures religieuses
Le nouveau département se calque en partie sur l'ancienne trame des circonscriptions religieuses. On retrouve en son cœur l'ancien diocèse d'Angoulême, fort de 17 archiprêtrés et 205 paroisses, autour de la cathédrale Saint-Pierre, dont les conclusions capitulaires ont été conservées dans leur intégralité et fournissent à l'enquête Muséfrem un regard précis sur le corps de musique de cette église. Ailleurs dans le diocèse, deux collégiales, Notre-Dame-de-l'Assomption-et-Saint-Cybard de La Rochefoucauld et Saint-Arthémy de Blanzac, accueillent deux petites compagnies de chanoines. Les registres de la première ont disparu mais les délibérations du chapitre de Blanzac sont parvenues jusqu'à nous. Outre de nombreux établissements conventuels, dont les effectifs ne cessent de baisser, on relève également à la fin de l'Ancien Régime six abbayes et prieurés d'hommes (les Augustins de La Couronne et Cellefrouin, les Bénédictins de Saint-Cybard d'Angoulême, Saint-Amant-de-Boixe, et Courgeac, et les Cisterciens de Charras) et une abbaye de femmes, les Bénédictines de Saint-Ausone à Angoulême.
À la périphérie du département, les territoires qui viennent s'annexer à l'ancien diocèse d'Angoulême relevaient de quatre diocèses voisins. Lui sont agrégées quarante-quatre paroisses du diocèse de Limoges gravitant autour de Confolens et Chabanais et une centaine d'autres, dans les environs de Barbezieux et Baignes, qui relevaient de Saintes. Au nord, l'archiprêtré de Ruffec était quant à lui rattaché avant la Révolution au diocèse de Poitiers, tandis qu'au sud les environs d’Aubeterre appartenaient à celui de Périgueux. C'est dans cette dernière localité que se trouvait la troisième collégiale pour laquelle des dossiers de musiciens ont été retrouvés.
Composé de six districts (Angoulême, La Rochefoucauld, Cognac, Confolens, Ruffec, et Barbezieux) et 44 cantons, le nouveau département couvre ainsi près de 6000 kilomètres carrés. Il prend d'abord le nom de Haute-Charente, avant d'opter simplement pour le nom du fleuve qui le traverse et qui assure l'une des principales voies de communication du Centre-Ouest du Royaume.
Angoulême : une ville de passage, un brin endormie
Au bord de la Charente, le faubourg de L'Houmeau, avec son port Saint-Roch au pied des remparts de la ville, fait d'Angoulême un carrefour commercial d'importance et constitue un relais où les gabarres et les galiotes croisent les voituriers qui sillonnent les routes de l'intérieur. Sont débarqués à Angoulême des vins et eaux-de-vie en provenance de Cognac, ainsi que le sel des îles d'Oléron et de Ré. De l'arrière-pays et des forêts du Limousin et du Périgord arrive du bois, commercialisé sous forme de merrains pour la fabrication des barriques, mais utilisé aussi comme combustible pour les forges, notamment la fonderie de canons de Ruelle, ou encore pour les constructions navales de l'arsenal maritime de Rochefort.
La ville, que Marcelin Oscar Chabanais en 1938 considérait comme « le balcon du Sud-Ouest », est desservie par plusieurs voies terrestres dessinant un réseau en étoile et permettant de gagner Saint-Jean d'Angély, Limoges et Périgueux. À mi-chemin entre Poitiers et Bordeaux, elle devient surtout à partir de 1760, grâce à l'action de Turgot, intendant de la généralité de Limoges, une étape sur la route vers l'Espagne depuis Paris, dont l'ancien tracé l'évitait en raison de sa position sur un promontoire. Déplacée plus à l'est, cette route la traverse désormais et impose la construction de nouveaux relais de poste. Excepté Saintes, éloignée de soixante kilomètres mais qui se pose surtout en rivale de La Rochelle, aucune autre ville d'un poids démographique comparable à Angoulême avec ses 13 000 habitants ne vient disputer son influence dans un rayon de cent kilomètres. Ailleurs, l'occupation urbaine ne repose que sur un maillage de petites villes ou gros bourgs abritant une population comprise entre 2 000 et 3 000 habitants au maximum : Cognac, Châteauneuf, La Rochefoucauld, Montbron, Barbezieux, Ruffec...
À la même époque, Angoulême prend part à la vague générale des aménagements urbains. Répondant à la fois à des visées d’embellissement et à des préoccupations hygiénistes, ceux-ci créent davantage d'espaces ouverts et donc moins insalubres. Si le cœur de la ville avec son château-forteresse, dominant de son plateau les faubourgs périphériques encore largement ruraux, conserve partiellement une physionomie médiévale, plusieurs chantiers en modifient profondément l'architecture. L'abaissement des imposants remparts à un mètre de hauteur et la démolition de plusieurs portes permettent une meilleure circulation de l'air et de la lumière. On aménage également plusieurs esplanades pour la promenade tandis que l'élargissement de certaines rues tend à les désengorger. Enfin la création, entre 1778 et 1789, d'un nouveau quartier dans le pré d'Artois, qui faisait partie de l'apanage du frère cadet de Louis XVI, offre à la ville, avec ses rues répondant à un plan orthonormé, un visage résolument moderne.
La conjonction de ces atouts indéniables n'enraye en rien la perte de vitesse que connaissent Angoulême et sa région. L’une et l’autre ne parviennent pas à dépasser le rang d'une ville moyenne et d'une province de second plan. Jadis très prospère durant le Grand Siècle, l'industrie papetière reflète ce déclin de manière symptomatique. Les efforts pour moderniser les techniques de fabrication et faire face à la concurrence étrangère ne relancent que difficilement une activité mise à mal après la révocation de l’Édit de Nantes et le départ de nombreuses familles de papetiers protestants vers la Hollande. On ne compte plus en 1789 sur la Charente et ses petits affluents que vingt-cinq moulins à papier et trente-trois cuves, contre respectivement soixante-six et quatre-vingt-dix-huit un siècle plus tôt. Les productions des autres secteurs pâtissent également de la faiblesse des infrastructures et d'un manque de capitaux pour développer de vraies manufactures. Une fabrique de lainage voit certes le jour en 1750 dans le quartier de L'Houmeau, mais le bâtiment qui accueille la filature est de taille si modeste qu'il est nécessaire de recourir à une trentaine de métiers en ville et à la campagne pour compléter sa production. La plupart des autres entreprises (on relève plusieurs faïenceries) ne sont d'ailleurs que des ateliers salariant un petit nombre d'employés et témoignent des difficultés de l'Angoumois à prendre part à l'essor proto-industriel que connaît la France à la fin du XVIIIe siècle.
L'activité musicale à Angoulême à la fin de l'Ancien Régime
Sans rester à l'écart des progrès des Lumières et de l'effervescence intellectuelle qui anime le royaume, la vie culturelle de l'Angoumois reste assez timide. La brillante cour qu'entretenait la maison des Valois au début du XVIe siècle ne semble être qu'un lointain souvenir. Les divertissements offerts aux habitants d'Angoulême à la veille de la Révolution se limitent aux représentations d'une seule salle de spectacles, inaugurée en 1780. On relève toutefois la présence de plusieurs maîtres de danse et musiciens indépendants qui devaient proposer leurs services aux familles de la noblesse ou à une bourgeoisie soucieuse d’adopter le comportement des élites urbaines. Le marché des leçons dispensées en ville est partagé entre plusieurs professeurs locaux : Charles NIVELLE, Augustin GUICHARD et Pierre DUVIGNAUD. Bernard DENORUS, natif de Bordeaux, ses deux fils Barthélémy et Jacques, ainsi que son gendre Mathieu MONTEIL, originaire d'Uzés, y offrent aussi leurs services. Tous ces professionnels de la danse et de la musique restent cependant à l'écart du groupe de choristes et d'instrumentistes attachés à la cathédrale d'Angoulême, qu'ils ne semblent pas fréquenter. Contrairement à ce qu’on relève parfois dans d’autres villes (Tours, Saintes, Orléans, Angers, Le Mans…), les actes qui les concernent ne permettent pas en effet de relever des liens de sociabilité entre eux.
Le corps de musique du chapitre cathédral Saint-Pierre
D'après les effectifs donnés par La France ecclésiastique pour l’année 1790, le haut chœur de la cathédrale Saint-Pierre se compose de 26 canonicats au sein desquels se trouvent 7 dignitaires (un doyen, un archidiacre, un trésorier, un chantre, un écolâtre un théologal et un aumônier). Le Pouillé de 1760 avance que ses revenus s'élèvent à 30 990 livres, ce qui le place à un niveau comparable à son voisin de Saintes (31 400 livres), au-dessus de ceux de Limoges (22 260 livres) ou Poitiers (19 100 livres), mais bien en deçà de ceux de La Rochelle (49 488 livres) et Bordeaux (49 660 livres).
Les différents maîtres de musique engagés par le chapitre au cours du XVIIIe siècle restent dans l'ensemble plutôt obscurs. Seule la figure de l'abbé Abel François FANTON émerge parmi les anonymes qui se succèdent à la tête de la psallette. Lorsqu'il est recruté par le chapitre d'Angoulême, autour de 1720, ce prêtre du diocèse de Saintes commence tout juste sa carrière. À partir de 1732, on le retrouve à la cathédrale Saint-Louis de Blois, avant qu’il ne soit reçu maître de musique à la Sainte-Chapelle de Paris en 1746 et qu’il ne connaisse un certain succès au Concert Spirituel dans la capitale. Après son départ d'Angoulême, les chanoines d'Angoulême font appel à des maîtres aujourd'hui inconnus : Nicolas BERGÉ jusqu'à son décès en 1752, puis Jacques DELESTRE qui reste en poste une grosse dizaine d'années jusqu'au milieu des années 1760. Le maître de musique qui est ensuite recruté est Pierre RENARD. Comme les précédents, il est clerc mais il prendra femme sous la Révolution. Il conserve cette fonction de maître de musique après la suppression du chapitre et commencera aussi à donner des leçons comme professeur. Ce natif de Tours reste donc en poste pendant plus de deux décennies et s'occupe seul de la formation des enfants de chœur qui forment la psallette. À aucun moment les conclusions capitulaires ou les comptes de la compagnie ne laissent en effet entrevoir la présence d'un sous-maître de musique chargé de le seconder. Les jeunes garçons ou adolescents qui bénéficient de son enseignement sont au nombre de six en 1790 : Antoine BALOTHE, Jean-Pierre GAILLARD, Michel MARCHAISSE, Simon CHARLES, Pierre MICHAU dit VILLARD et Pierre GAUTIER.
Les toute dernières années du chapitre Saint-Pierre sont marquées par un profond renouvellement de son corps de musique. Plusieurs musiciens en poste depuis de très longues années disparaissent, tels Martial GARAUD qui meurt en 1787 ou Bernard ANDRIEUX qui s'éteint en 1790. D'autres comme Antoine CAUVILLET et Pierre Simon REZÉ, compte tenu de leur âge avancé, sont récemment devenus des vétérans de la compagnie. Ils continuent à toucher une pension du chapitre mais n'exercent plus de fonction. Les musiciens que Pierre RENARD dirige sont donc relativement jeunes, leur moyenne d'âge étant de 34 ans. Avant d'arriver à Angoulême ils ont tous vicarié dans le Centre-Ouest du royaume, ne restant souvent en poste que quelques mois, au plus quelques années, dans les églises plus ou moins proches comme à Saintes, La Rochelle, Poitiers, Luçon, Tours etc... En s'installant à Angoulême, la plupart se marient. Leur réception à la cathédrale Saint-Pierre semble donc correspondre à une volonté de s'installer durablement dans cette ville et de mettre un terme à l'itinérance de leurs jeunes années et de leur début de carrière. On dénombre parmi ces musiciens deux basse-contre, Louis BOUQUET et François DOUVILLÉE, une basse-taille et une haute-contre, respectivement Pierre FLANCHÉE et Henry BARDY. Ces quatre choristes sont accompagnés d'un joueur de serpent et de basson en la personne de Gabriel-René LHUILLIER.
Ce noyau de six musiciens forme donc le corps de musique ordinaire du chapitre de la cathédrale Saint-Pierre en 1790 et s'intègre à un bas choeur complété par quatre chanoines semi-prébendés. Lors de certaines fêtes ou anniversaires, les chanoines sollicitent des musiciens indépendants pour renforcer cet effectif permanent. Plusieurs instrumentistes sont ainsi régulièrement recrutés de façon occasionnelle, tel Nicolas BALESTRIER pour jouer de la basse jusqu'en 1772 ; dans la dernière décennie avant la Révolution cette fonction est occupée par un ancien enfant de chœur, Jean ROY. En 1784, Jean-Pierre DIDIER est quant à lui engagé les dimanches pour officier en tant que deuxième serpent. Leur statut explique que ces gagistes intermittents ne figurent pas dans la pétition que les musiciens attachés à la cathédrale Saint-Pierre adressent à l'Assemblée Nationale le 16 mai 1790 pour exposer la perte de leur état et réclamer certains secours, à la différence des vétérans Antoine CAUVILLET et Pierre Simon REZÉ.
Parmi les signataires de cette supplique, on relève en deuxième position le nom de LEGRAND, organiste. Le chapitre Saint-Pierre s'est en effet doté tout récemment, en 1786, d'un orgue dont la construction a été confiée au facteur Simon Pierre MIOCQUE. Le premier organiste à toucher l'instrument neuf est Claude PRUDENT. Mais il ne satisfait pas la compagnie qui le licencie en décembre 1786 et négocie alors avec LEGRAND, organiste à Bordeaux, qui s'était déjà chargé avec Jean-Baptiste GRAVIER d'expertiser l'orgue au moment de sa livraison. À ce jour, le prénom de ce musicien ne peut être avancé avec certitude, les différents documents ne le présentant qu'au travers de son patronyme. Plusieurs indices font cependant penser qu'il s'agit d'Antoine LEGRAND, en poste à la cathédrale de Lescar jusqu'en 1781 et dont la carrière durant la décennie 1780 reste encore mal connue. Antoine LEGRAND naît en effet à Tarbes en 1742. Il est le fils de Pierre LEGRAND et le frère cadet de Jean-Pierre LEGRAND. Or le LEGRAND qui est organiste à Angoulême déclare en 1791 dans une pétition être âgé de 49 ans et serait donc né lui aussi en 1742. À partir de 1792, LEGRAND ne figure plus dans les documents de l’administration révolutionnaire de la Charente et c'est Léonard MATHIEU, un ancien enfant de chœur d'Angoulême, organiste à Blois en 1790, qui, revenu au pays, touche désormais l'orgue de la cathédrale Saint-Pierre Angoulême. Le décès de l’organiste LEGRAND n'ayant pu être retrouvé à Angoulême, il est probable qu'il ait quitté la ville et si l'on considère qu'il s'agit d'Antoine LEGRAND, il serait alors mort à Bordeaux en 1795.
Les orgues du clergé régulier
Deux autres églises d'Angoulême abritent également un orgue en 1790. Les religieuses de l'abbaye bénédictine Saint-Ausone font appel au facteur Jean-Baptiste Jérémie SCHWEICKART qui leur livre en 1787 un orgue neuf. La personne qui officiait à la tribune de cet instrument n'a pu être identifiée. Peut-être s'agissait-il d'une sœur appartenant à la communauté ? À la même époque le couvent des Cordeliers salarie en revanche un organiste. Il s'agit de Claude PRUDENT, évoqué plus haut, qui à la suite de son renvoi de la cathédrale retrouve rapidement un poste, à moins qu'il ne cumulât les deux tribunes avant que les chanoines ne se séparent de lui – ce qui serait assez vraisemblable au vu des habitudes du métier. Ce musicien d’origine dijonnaise peut être considéré comme le grand-père adoptif du grand pianiste et compositeur Émile PRUDENT, qu'il ne connaîtra pas de son vivant, mais qui portera son nom au XIXe siècle. Claude PRUDENT, ancien secrétaire du duc de Chevreuse, semble en outre avoir bénéficié de la protection d'importantes familles aristocratiques, comme en témoigne le fait que plusieurs de ses enfants nés à Angoulême sont portés sur les fonts par des personnes de ce milieu. Cela laisse supposer qu'il prenait part à des concerts privés dans les salons de la bonne société angoumoisine. Son parcours est comparable à celui d’un autre organiste présent à Angoulême à la même période, l'Alsacien Louis WOËLFFLÉ : attaché au comte de Rohan-Chabot de Jarnac, il donnait sans doute des leçons de musique à ses enfants, sans qu'on sache cependant s'il était aussi en poste dans l'une des églises de la ville.
L'identification de ces musiciens professionnels contraste avec l'anonymat des chantres salariés par les fabriques angoumousines, puisque à ce jour aucun d'eux n'a pu être découvert ; les témoins sollicités pour les actes de sépultures célébrées dans les paroisses de la ville sont la plupart du temps des sacristains, des clercs tonsurés ou des marguilliers, dont on ne sait s'ils avaient aussi une fonction cantorale dans leur église.
Ailleurs dans le département
Trois collégiales secondaires : La Rochefoucauld, Blanzac et Aubeterre
L'activité musicale en dehors des murs d'Angoulême ne peut être repérée que dans trois collégiales aux revenus modestes.
• • • Située à une vingtaine de kilomètres au nord-est d'Angoulême, la petite ville de La Rochefoucauld, qui était un important foyer de protestantisme au XVIe siècle, n'a cessé de voir sa population baisser après la révocation de l'Édit de Nantes et elle ne compte plus que 2 300 habitants en 1790. Un chapitre composé de cinq ou six [?] chanoines y est implanté. Ses revenus ne s'élèvent qu'à 3027 livres, toujours selon le Pouillé de 1760, ce qui lui permet de continuer à salarier avant sa suppression deux chantres : Louis FAURE et Paul François Spire LAFOSSE. Le premier est né à La Rochefoucauld même et a servi la collégiale dès son plus jeune âge. Le second a conduit sa carrière dans plusieurs églises en enchaînant de nombreux postes dans l'Île-de-France, la Normandie, puis le Berry avant de vicarier dans l'ouest du royaume. Il n'est en poste que depuis deux ans lorsque la compagnie est dissoute et il semble avoir succédé à Léonard ROY de LAGRANGE, ancien maître de musique d'Eymoutiers dans le Limousin. S'il est attesté que des voix d'enfants de chœur résonnaient bien dans la collégiale jusqu'en 1790, il est probable qu'ils n'appartenaient pas réellement à une psallette et qu'aucun maître ne se chargeait de leur formation – même si LAFOSSE avait sans doute accumulé une expérience large et variée qui l’en aurait éventuellement rendu capable. Ils devaient simplement servir aux offices, sans qu'on sache précisément leur nombre.
• • • La deuxième collégiale du diocèse d'Angoulême entretient elle aussi deux choristes. Placée sous le vocable de Saint-Arthémy, elle se trouve dans la localité de Blanzac, où ne vivent que 600 habitants, à quelque trente kilomètres au sud-ouest d'Angoulême. La compagnie se compose de six ou sept [?] chanoines dont un doyen. En 1790, elle déclare 8 772 livres de revenus pour 3822 livres de charges. Parmi les dépenses qu'elle engage, on retrouve les traitements de Jean TISSERAUD et de son fils Pierre, employés comme chantres et tous deux natifs de Blanzac. Cette famille a pris l'habitude de fournir depuis plusieurs générations de nombreux serviteurs au chapitre comme choristes, sacristains ou enfants de chœur, si bien qu'au cours du XVIIIe siècle aucun musicien étranger ne semble avoir exercé ses talents dans cette église.
• • • Enfin, relevant du diocèse de Périgueux, la collégiale Saint-Sauveur d'Aubeterre, au pied de la Dronne, apparaît comme la dernière institution ecclésiastique du nouveau département à salarier des musiciens avant la Révolution. Le chapitre était ici fort de douze chanoines, dont deux dignitaires, mais ses revenus ne s'élevaient en 1760 qu'à 1475 livres. Alors que durant les siècles précédents le corps de musique semble avoir été plutôt étoffé (on relève en 1531 la présence d'un maître, de quatre chantres et d'une psallette accueillant quatre enfants de chœur), ce ne sont plus en 1790 que deux choristes et un seul enfant de chœur qui participent au chant des offices. Pierre HOUZÉ, qui voit le jour du côté de Chartres, s'établit à Aubeterre vers 1775. Il y côtoie Pierre BOUTON qui sert le chapitre depuis son enfance ; en 1790, il faut ajouter à ces deux hommes le jeune Antoine BOURJADON.
• • • Le dépouillement des registres paroissiaux de La Rochefoucauld, Blanzac et Aubeterre a également permis d'identifier deux autres musiciens de profession, aux parcours singuliers, pour lesquels il est permis de supposer qu'ils aient été formés à la musique liturgique, mais qui ne semblent pas avoir occupé de fonction particulière au sein des trois collégiales évoquées ci-dessus. Étienne LAMONTAGNE, ancien organiste à la collégiale du Dorat dans le Limousin, se remarie en 1775 à La Rochefoucauld avec une sœur de Louis FAURE, l’un des deux chantres de la collégiale. Il devient ensuite maître de danse itinérant et rend son dernier souffle à Aubeterre en 1784. Son acte de sépulture mentionne qu'il est « joueur d'orgue », mais cela renvoie vraisemblablement davantage au métier d'artiste ambulant qu'à celui d'organiste d'un chapitre. La trajectoire suivie par le Provençal Joseph LIONS interroge tout autant. Au moment de son mariage en 1783 à Blanzac, il est qualifié de musicien et il y réside depuis cinq ans environ, sans qu'on sache les raisons qui l'ont poussé à s'installer dans cette petite paroisse rurale si éloignée de son pays natal. Il déménage ensuite à Aubeterre et continue à exercer en tant que musicien avant d'entamer sous la Révolution une reconversion comme garde-champêtre. Aucun dossier le concernant n'a pu être retrouvé dans le fonds révolutionnaire des Archives départementales de la Charente. Son parcours reste donc une énigme.
Deux petites villes : Cognac et Montbron
• • • À mi-chemin entre Saintes et Angoulême, Cognac approche à la fin de l'Ancien Régime des 3 000 habitants et se place, en termes de population, au deuxième rang des villes du nouveau département. Les travaux que le facteur Jean-Louis DUCASTEL exécute sur l'orgue de l'église Saint-Léger en 1727 semblent attester une pratique musicale dans cette ville durant le premier quart du XVIIIe siècle. On ignore si cet instrument était toujours en fonction au moment de la Révolution. Sans doute était-il en mauvais état puisque l'orgue du couvent des Cordeliers d'Angoulême est transféré en 1792 à Saint-Léger sous le contrôle du facteur Jean-Pierrre DIDIER. Dans l'église paroissiale Saint-Léger, dépendant du prieuré Notre-Dame-de-Grâce attenant, les bénédictines entretenaient un groupe de quatre prêtres chargés d'assurer quotidiennement le chant de la messe et des heures, à la suite d'un arrêt du Parlement de Paris pris en 1624 peu après l’installation du prieuré. Le corps municipal, très attaché à cette tradition, rappelle dans un mémoire de 1770 que les moniales sont chargées de rémunérer auprès du curé de la paroisse quatre prêtres choristes, « pour faire le service divin qui consiste surtout dans trois grandes heures qui sont matines, la messe et les vêpres, sans que les dits prêtres séculiers puissent s'absenter ».
• • • Le nom des quatre hommes qui faisaient toujours entendre leur voix dans l'église Saint-Léger de Cognac en 1790 ne nous est pas parvenu, contrairement à celui d’un autre chantre, cette fois-ci laïc, qui demeurait à Montbron. Cette petite ville, située à moins de trente kilomètres à l'est d'Angoulême, dépasse à la veille de la Révolution les 2 500 habitants. Jacques DEGORCES y exerce comme potier d'étain, comme son père et son grand-père, mais il chante aussi à l'église Saint-Maurice. Témoin à de nombreux baptêmes ou sépultures du fait de sa fonction de chantre, il fait primer celle-ci sur son métier principal dans les documents en signant les actes « Degorces choriste ».
Des sondages dans les dernières années des registres paroissiaux des autres petites villes du département n'ont pas permis de trouver davantage de chantres, de choristes, ni d'organistes. Un musicien, Pierre BIARNE, également fils d'un ancien musicien de Poitiers, a certes été retrouvé à Ruffec en 1790, mais rien n'indique qu'il exerçait dans une église. Il fréquentait peut-être simplement comme professeur de musique la pension que le sieur Jaubertie tenait en cette ville. Ailleurs, la faible occupation humaine du territoire laisse très vite place à des paroisses rurales et des villages où l'on peut simplement supputer que certains régents et maîtres d'école faisaient fonction de chantres comme cela a été aperçu dans le département voisin de la Charente-Maritime. De la même façon, en l’absence d’orgue avéré, la pratique musicale des établissements réguliers reste difficile à mesurer ; la conservation de plusieurs lutrins anciens dans des abbayes et prieurés charentais atteste du moins la place du chant au sein de ces communautés monastiques.
• • •
Au total, ce sont 15 musiciens et 7 enfants de chœur qui ont pu être identifiés et recensés comme actifs dans les églises d'Angoulême et des alentours, auxquels il conviendrait d’ajouter les quatre choristes de Cognac restés anonymes. L'éclatement de leurs origines géographiques, y compris pour ceux qui exerçaient dans les petites collégiales, tend à souligner que l'Angoumois s'inscrivait parfaitement dans les circuits empruntés par les musiciens d'Église du XVIIIe siècle.
Nul doute que certains chantres de campagne ou des petites villes (Confolens, Ruffec…) restent encore à découvrir. Puissent les curieux qui s'intéresseront à cette présentation partager leurs trouvailles : elles permettront d'affiner la connaissance de l'activité musicale et cantorale des territoires qui allaient devenir la Charente.
Mathieu GAILLARD, Programme Muséfrem
(septembre 2018)
Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de, notamment :
Guillaume Avocat, François Caillou, Bernard Dompnier, Sylvie Granger, Isabelle Langlois, Christophe Maillard, Charlotte Menanteau, Françoise Talvard …
Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne)
>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.
L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.
Les lieux de musique en 1790 en Charente
Les lieux de musique documentés pour 1790 dans le département sont présentés par diocèses et par catégories d’établissements : cathédrale, collégiales, abbayes, monastères et couvents, paroisses (ces dernières selon l’ordre alphabétique de la localité au sein de chaque diocèse).
Diocèse d'Angoulême
- Cathédrale
- Collégiales
- Abbayes, monastères et couvents
- ANGOULÊME, abbaye bénédictine Saint-Ausone (femmes)
- ANGOULÊME, couvent des Cordeliers (hommes)
- Paroisses
Diocèse de Périgueux
Diocèse de Saintes
- Paroisses
Pour en savoir plus : indications bibliographiques
• François LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999, 367 p. [sur Angoulême, p. 61 - 63].
• Émile BIAIS, « Les artistes angoumoisins depuis la Renaissance jusqu'à la fin du dix-huitième siècle », Réunion des Sociétés des Beaux-Arts des départements, 14e session, Paris, 1890, p.704-746
• Abbé Jean-Pierre-Gabriel BLANCHET, Le clergé charentais pendant la Révolution, Angoulême, M. Despujols, 1898, 622 p.
• Paul DE FLEURY, « Les anciens orgues de la cathédrale d'Angoulême », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique de Charente, Angoulême, 1889, p 215 - 267
• Direction Régionale des Affaires Culturelles de Poitou-Charentes, Inventaire des orgues en Poitou-Charentes, Aix-en-Provence, Édisud, 1990, 415 p.
• Pierre DUBOURG-NOVES (dir.), Histoire d'Angoulême et de ses alentours, Toulouse, Privat, 1990, 320 p.
• Jean JÉZÉQUEL, La Révolution française à Angoulême, Poitiers, Projet, 1988, 215 p.
• Pierre MARTIN-CIVAT, « Archives de Saint-Léger-de-Cognac. Inventaire des trois cartons des archives municipales », Bulletins et mémoires de la Société archéologique et historique de la Charente, Angoulême, 1947, p. 35 - 57.
• Pierre MARTIN-CIVAT, « Saint-Léger de Cognac, église collégiale », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique de Charente, Angoulême, 1934, 238 pages, p. 12 - 17
• Étienne MUNIER, Essai d'une méthode générale propre à étendre les connaissances des voyageurs, Paris, B. Sépulchre, 1981
• Abbé Jean NANGLARD, Pouillé historique du diocèse d'Angoulême, Tome II, Angoulême, M. Despujols, 1897, 588 p.
Bibliographie élaborée par Mathieu GAILLARD
(septembre 2018)