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Musique et musiciens d’Église à la cathédrale Notre-Dame de Paris autour de 1790
Le 14 février 1790, une cérémonie grandiose se tient à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les principaux corps constitués de la capitale (Assemblée nationale, Commune, Garde nationale) y ont pris place à l’occasion de la prestation du « serment civique » à la Constitution (par anticipation) et à la patrie, prononcé par le maire de Paris. Le discours est précédé par une messe célébrée par Louis-Pierre Saint-Martin, aumônier de la Garde nationale. Les musiciens de la cathédrale, renforcés par des collègues de la Garde nationale, entonnent ensuite un vibrant Te Deum.
Chose exceptionnelle, un artiste anonyme a immortalisé la scène, que l’on peut également tenter de se représenter grâce à un plan indiquant la disposition des différents acteurs. Au fond du chœur, derrière l’autel qu’encadrent deux personnages qui pourraient être La Fayette et le maire Bailly, on aperçoit les musiciens, disposés sur des gradins (en jaune sur le plan). Le maître de musique (lettre G), masqué par la clôture du chœur, n’est en revanche pas visible du public.
Cérémonie du 14 février 1790 : au fond du chœur, les musiciens de Notre-Dame sur des gradins ; Te Deum chanté à N.D. le 14 fevrier 1790..., estampe anonyme (détail), BnF, Estampes et photographies, RESERVE QB-370 (25)-FT 4, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6948087c |
Cérémonie du 14 février 1790 : les musiciens de la cathédrale renforcés de collègues de la Garde nationale (bandes jaunes), le maître de musique (G), les chanoines (K), les députés de l’Assemblée nationale (L) et les élus de la municipalité (M) ; Plan de la disposition faite dans l’Eglise de Notre-Dame pour le Serment Civique, le... 1790 (détail), dessin à la plume, lavis à l’encre de Chine et aquarelle, Coll. H. Destailleur, BnF, Estampes et photographie, RESERVE FOL-VE-53 (F), http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10303048r |
Depuis le printemps de l’année précédente, Notre-Dame est étroitement associée aux événements marquants du début de la Révolution. Dès le 23 avril 1789, l’assemblée électorale des trois ordres de Paris y entend une messe du Saint-Esprit. Le 4 mai, un Veni Creator y est chanté pour l’ouverture des États généraux. Le 15 juillet, on improvise dans la cathédrale un Te Deum pour se féliciter du retour au calme dans la capitale, en présence de l’archevêque et d’une délégation de l’Assemblée nationale. Un nouveau Te Deum, le 16 août, célèbre l’abolition des privilèges votée le 4. Le 15 septembre, l’archevêque et le chapitre bénissent les drapeaux de la Garde nationale. Les liens entre les représentants de la Nation et la plus célèbre cathédrale du royaume se resserrent encore en octobre 1789, lorsque l’Assemblée nationale décide d’occuper l’archevêché et les locaux du chapitre à la suite de l’installation de Louis XVI à Paris.
Quatre jours avant la cérémonie du « serment civique », le roi et la reine font une ultime apparition à Notre-Dame, exigeant une réception sobre, sans bourdon ni chant, sauf celui du Domine Salvum par les enfants de chœur. À dire vrai, la cathédrale de Paris était depuis fort longtemps l’un de ces lieux où le rituel monarchique se donne à voir. Sous le règne de Louis XIV déjà, des Te Deum en musique y sont donnés lors d’une naissance princière, d’un mariage royal ou d’un succès militaire, dans un déploiement de faste sans égal en Europe. On y mène volontiers les visiteurs de marque étrangers que l’on veut éblouir comme les ambassadeurs du Siam et du Maroc. Sur ce plan, les effets sonores comptent au moins autant que ce qui s’offre à l’œil.
Le chapitre de Notre-Dame de Paris, le plus puissant et illustre du royaume de France
Notre-Dame en 1790 ; Favras, faisant amende honorable en face de l'église de Notre-Dame à Paris le 19 février 1790, estampe de J.-L. Prieur, 1802, BnF, Estampes et photographie, RESERVE QB-370 (20)-FT 4, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69446557
Au cœur de Paris, sur l’île de la Cité, la cathédrale domine un bâti très dense qui l’enserre de toutes parts. Son parvis est bien plus restreint qu’aujourd’hui, cerné par les bâtiments de l’Hôtel-Dieu, reconstruits à neuf depuis l’incendie de 1772. La partie septentrionale de la cathédrale, quant à elle, est bordée depuis des siècles par l’enclos canonial dont les rues et les bâtiments évoquent à la fois la vie capitulaire et l’activité musicale (rue Chanoinesse, rue des Chantres…) ; on y trouve les maisons canoniales et les lieux d’administration de la métropole. Dans cet enclos qui n’est pas fermé au sens strict, beaucoup de laïcs demeurent – surtout des familiers des chanoines – ou travaillent (procureurs, avocats), comme l’Almanach royal le montre bien. Le chapitre y exerce pleinement sa juridiction, ce dont témoignent les importants vestiges archivistiques de la série Z des Archives nationales (avis de parents, scellés, inventaires après décès, sentences et procédures civiles et criminelles, « barre du chapitre », etc.).
Sur la rive sud de l’île se trouve le palais archiépiscopal, doté de plusieurs chapelles dont l’une sert à l’ordination des membres du chapitre, musiciens compris. Tout au bout de l’île a été aménagé un terrain qui est utilisé comme espace de récréation pour les enfants de chœur mais où les laïcs de sexe masculin sont également admis.
En 1748, l’ancien baptistère Saint-Jean-le-Rond devenu église paroissiale a été démoli afin d’assainir le quartier, les riverains se plaignant des odeurs pestilentielles émanant des tombeaux. À la place a été édifié un beau portail néoclassique servant d’entrée officielle du cloître. Culte et reliques ont été déplacés dans la seconde petite église suffragante de Notre-Dame, qui se trouve au chevet de la cathédrale, Saint-Denis-du-Pas, qui disparaîtra en 1813 pour laisser place à l’actuel square Jean-XXIII.
L’église Saint-Denis-du-Pas, détruite en 1813 ; Plan de la Cité, dessin à la plume et encre de Chine, vers 1750, Coll. H. Destailleur, BnF, Estampes et photographie, RESERVE FT 6-VE-53 (J), http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53082977t
En 1790, le chapitre de la cathédrale Notre-Dame peut à juste titre apparaître comme l’un des plus puissants du royaume en termes d’effectifs et de revenus. Au sein du clergé, son prestige est immense. Il est composé de huit dignitaires et de quarante chanoines prébendés, selon La France ecclésiastique : 36 prêtres, deux diacres et deux sous-diacres, sans compter deux « chanoines mineurs » n’ayant pas reçu les ordres sacrés et n’ayant pas voix au chapitre. La compagnie se flatte par ailleurs de posséder cinq évêques parmi ses anciens membres, titulaires d’un canonicat honoraire, qui s’inscrivent dans le réseau d’influence de Notre-Dame, lequel s’étend jusqu’à la Cour. La métropole parisienne fait figure de modèle dans le monde capitulaire ; on lui écrit de partout pour obtenir des renseignements ou des conseils. En 1789, elle prend naturellement la tête, sans l’avoir réclamé, de « l’union des chapitres de France » et fédère l’action de plus d’une soixantaine de compagnies, d’Amiens à Perpignan, qui rejettent les modalités de convocation des États généraux et protestent en pure perte contre l’évolution des esprits. L’État des revenus et charges du chapitre de l’église de Paris, confectionné en 1790, donne le vertige avec plus de 620 000 livres de revenus tirés d’un vaste temporel éparpillé dans tout le Bassin parisien et près de 180 000 livres de dépenses. Bien que ces données doivent être maniées avec précaution dans un contexte où la priorité porte sur le calcul des futures pensions, elles placent le chapitre Notre-Dame tout au sommet de l’Olympe capitulaire. À l’exception peut-être de la cathédrale de Cambrai, il n’existe nulle autre église capable de rivaliser avec elle, y compris la pourtant très riche Notre-Dame de Chartres (cf. Musique et musiciens d’Église dans le département de l'EURE-ET-LOIR autour de 1790) dont les revenus sont deux fois moins importants. Cette force de frappe financière rejaillit à la fois sur la capacité à rémunérer un personnel pléthorique et très spécialisé et sur le montant des gages octroyés à chacun.
La structure musicale à Notre-Dame
Parmi les officiers et employés, presque tous laïcs, la déclaration de 1790 énumère une quarantaine d’individus. La France ecclésiastique ne les évoque pas mais précise qu’« il y a aussi dans cette Eglise 6 vicaires perpétuels dont 2 titres supprimés, 8 chan. de S. Jean le rond dont deux sont curés du cloître, 10 chan. de S. Denis du Pas, 130 chapelles qui donnent le droit de committimus, 8 Chantres, 7 Clercs de matines, un corps de musique & 12 enfants de chœur ». Derrière cette formulation ambiguë, on reconnaît le bas chœur. Saint-Denis-du-Pas et Saint-Jean-le-Rond sont des chapitres suffragants de Notre-Dame qui servent à rémunérer les membres de ce même bas chœur. A priori, appréhender la présence musicienne à travers cette seule source débouche sur le constat que la structure musicale parisienne s’aligne sur les effectifs moyens d’une grande cathédrale de province, comme Tours. D’autres sources incitent à reconsidérer ce tableau comme le Calendrier musical universel… pour l’année 1789. L’auteur écrit : « Maintenant la musique de l’Eglise de Paris est composée de Chanoines, de Clercs qui aspirent à l’être un jour, et de Chantres gagés, indépendamment de deux Serpens et Bassons qui servent à accompagner les voix. C’est ordinairement le seul accompagnement des motets qu’exécute le Chapitre ». D’après lui, 36 personnes peuvent être rattachées à la musique : 22 « chanoines » et 14 clercs, dont il fournit la liste nominative, en indiquant la tessiture des voix.
Cette liste correspond aux effectifs en place vers la fin de 1788. C’est une troisième source qui permet de préciser définitivement les contours de la structure musicale métropolitaine. L’Almanach musical de l’année 1779 fournit une typologie précieuse : un maître de musique, deux maîtres vétérans, cinq hautes-contre, cinq tailles (une place vacante), cinq basses-tailles (deux places vacantes), 12 basses-contre ou chantantes, quatre serpents et bassons, un « violoncelle externe », 12 enfants de chœur, soit 27 chantres en poste sur un effectif théorique de 30 et cinq joueurs d’instruments dont un qui ne vient jouer qu’aux dimanches et fêtes solennelles. Il n’existe pas de source aussi précise pour l’année 1790, les archives des administrations révolutionnaires ayant, pour l’essentiel, disparu lors de l’incendie de l’hôtel-de-ville de Paris en 1871. Par recoupements, à partir des registres capitulaires, on peut établir la typologie suivante :
Bénéficiers | Gagistes | |||||
Poste / tessiture en 1790 | Saint-Jean-le-Rond | Saint-Denis-du-Pas | Autre bénéfice | Machicots | Clercs de matines | Total |
Faisant fonction de maître de musique | 1 | 1 | ||||
Haute-contre | 1 | 3 | 3 | 1 | 8 | |
Taille | 1 | 2 | 2 | 5 | ||
Basse-taille | 3 | 1 | 2 | 1 | 7 | |
Basse-contre / basse chantante | 2 | 3 | 5 | 10 | ||
Serpent / basson | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 | |
Inconnu | 2 | 2 | ||||
Total | 8 | 10 | 6 | 6 | 7 | 37 |
La distinction entre musiciens bénéficiers et gagistes résulte d’une organisation ancienne de la musique qui mérite quelques explications. Les musiciens gagistes, révocables « ad nutum » (au bon plaisir du chapitre) sont appelés machicots (cinq en 1790) et clercs de matines (sept en 1790 dont cinq basses-contre). Passons sur l’étymologie de ces vocables sur laquelle les auteurs ne parviennent pas à se mettre d’accord. Les registres capitulaires mentionnent régulièrement la réception de ces gagistes ; parfois le secrétaire indique leur départ à la suite d’une démission ou d’un renvoi, mais c’est relativement rare, ce qui rend problématique le calcul des durées de service et interdit l’étude de la succession dans un même poste. On observe à l’occasion que le chapitre procède aux nouvelles admissions avec prudence, exigeant un complément de formation musicale et surtout une meilleure maîtrise du « chant sur le livre », retenues sur gages à l’appui. De temps à autre, les chanoines reçoivent d’anciens enfants de chœur, en particulier ceux qui jouent d’un instrument, tel Joseph Barthélémy BOREL-ROGAT en 1775. Nombre de gagistes sont recrutés jeunes, encore à l’état laïc. Pour qui entend obtenir de l’avancement, la tonsure est un préalable : elle seule permet d’accéder à un bénéfice. En 1790, François Joseph GUICHARD, machicot vétéran, demeure laïc au bout de 22 ans de carrière, cas unique dans les annales de la métropole de la seconde moitié du XVIIIe siècle ; il est assimilé aux bénéficiers mais n’a pas l’obligation d’assister aux offices.
Une gestion des carrières très particulière
Le déroulement de la carrière des musiciens qui décident d’opter pour un bénéfice a été minutieusement codifié en 1638. Une trentaine de bénéfices leur sont réservés, sans possibilité de permutation. Dans le cloître, les plus anciens sont les deux chanoines semi-prébendés de Saint-Aignan qui ont voix au chapitre avec tous les droits afférents, y compris celui de nommer aux bénéfices de la cathédrale, et qui possèdent leur propre maison canoniale, privilège suprême. Il faut avoir blanchi sous le harnais capitulaire avant d’obtenir l’un de ces canonicats dévolus uniquement à des titulaires de la prêtrise. En 1790, Jean CHEVALIER et Jacques Nicolas DUCHESNE sont tous les deux septuagénaires et possèdent au moins 50 ans de carrière. Ils ont gravi tous les échelons. Le processus débute avec un bénéfice sous-diaconal qui nécessite l’obtention du sous-diaconat dans l’année qui suit, après un séjour de neuf mois au séminaire, souvent à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, afin d’y suivre les exercices préparatoires. Ensuite les séjours obligatoires avant les ordinations au diaconat et à la prêtrise ne sont plus que de trois mois. À son retour, le bénéficier est dédommagé de ses pertes financières au chœur. Voici la liste des bénéfices accessibles aux musiciens de Notre-Dame :
Bénéfice sous-diaconal (5) | Bénéfice diaconal (6) | Bénéfice sacerdotal (11) | |
Chapitre Saint-Jean-le-Rond | 3 canonicats | 3 canonicats | 2 canonicats |
Chapitre Saint-Denis-du-Pas | 2 canonicats | 3 canonicats | 5 canonicats |
Autres bénéfices |
Chapellenie de Saint-Aignan Chapellenie de Sainte-Catherine |
2 vicairies de Saint-Aignan 2 canonicats de Saint-Aignan |
La durée du cycle est variable. GONTIÈS reste deux mois chapelain de Sainte-Catherine en 1786 alors que son prédécesseur DUMONT l’était resté près de deux ans. On ne peut parler d’une mécanique bien huilée puisque le système repose sur le décès d’un titulaire de bénéfice sacerdotal, événement par définition aléatoire. Sa disparition entraîne alors une cascade de démissions et de collations transcrites en latin sur le registre capitulaire. Parfois, le cursus ne va pas jusqu’à son terme pour des raisons de maladie ou de comportement inadéquat, mais la sanction suprême de privation du bénéfice n’est jamais mise en pratique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ainsi Claude BOS, alcoolique notoire, conserve-t-il son canonicat sous-diaconal de Saint-Jean-le-Rond de 1761 à 1790. Prendre les ordres ne signifie pas forcément embrasser avec conviction la carrière ecclésiastique. Les registres font état de convocations de chanoines peu exemplaires à la barre du chapitre pour y être admonestés. Toutefois, les deux chanoines-prêtres de Saint-Jean-le-Rond, curés de la paroisse du même nom, s’acquittent avec efficacité de leurs devoirs presbytéraux, tout musiciens qu’ils sont : BLONDEAU enseigne le catéchisme aux enfants en 1775 et FROMENT s’affaire à installer un autel à tombeau dans son église en 1771. Par contre, LE BAULT, qui n’était sans doute pas taillé pour de telles responsabilités, obtient d’être réintégré dans sa vicairie de Saint-Aignan en février 1780.
Les chapitres de Saint-Jean-le-Rond et de Saint-Denis-du-Pas possèdent l’un comme l’autre une personnalité juridique propre, des registres, des commissaires, une comptabilité et des cérémonies liturgiques spécifiques. Alors que les va-et-vient sont permanents d’une compagnie à l’autre, il existe dans chacune, aussi curieux que cela puisse paraître, un esprit de corps typique de la société d’Ancien Régime. Des tensions peuvent même naître entre les deux chapitres : en 1783, les chanoines de Saint-Denis-du-Pas exposent que « depuis la démolition de l’Eglise de St-Jean Le Rond, le service paroissial a été célébré et les fondations de ladite Eglise ont été acquittées dans l’Eglise de St Denis du Pas », mais cette dernière n’a pas de fabrique contrairement à Saint-Jean-le-Rond qui perçoit des droits utiles. Ils demandent que ces chanoines « soient tenus aux réparations nécessaires à ladite église, et à la fourniture des ornements, du linge et du luminaire pour l'acquit des fondations des deux corps » ; le chapitre de Notre-Dame sert d’intermédiaire et transmet la requête.
Les revenus des musiciens
Cette affaire met en lumière l’extrême médiocrité des revenus de Saint-Denis-du-Pas qui ne déclare que 3 137 livres de recette en 1790 et reçoit du chapitre de Notre-Dame plus de 16 800 livres « pour les assistances de l'année ». On retrouve cette fragilité financière de Saint-Denis-du-Pas jusque dans les revenus des canonicats que révèlent les déclarations de 1790 : un chanoine-prêtre perçoit 2 256 livres et un chanoine diacre ou sous-diacre 1 747 livres. Nous ne possédons pas les déclarations des chanoines-prêtres de Saint-Jean-le-Rond, mais on sait que les chanoines diacres et sous-diacres de ce chapitre touchent 2 153 livres par an. Les musiciens bénéficiers perçoivent à la fois les fruits des distributions aux offices de jour et de nuit à Notre-Dame, aux offices de leurs petites collégiales et aux diverses fondations. Le chapitre leur accorde en outre le « pain capitulaire » et prend en charge leur loyer. Certains bénéficiers reçoivent des gages supplémentaires pour des offices qu’ils occupent à la cathédrale comme Jean MORTIER, à la fois vicaire de Saint-Aignan – touchant à ce titre 2 377 livres – et trésorier du chapitre, une fonction de très grande responsabilité (soin des reliques, des vases sacrés…) qui lui rapporte 2 254 livres par an. On pourrait citer aussi les offices de grand et petit distributeur, de clerc de chantre, etc. Enfin, les deux chanoines semi-prébendés perçoivent respectivement 7 662 livres et 6 383 livres grâce aux fruits d’une semi-prébende et à la fructueuse location de leur maison canoniale. Tout au bas de l’échelle des bénéficiers, le chapelain de Sainte-Catherine déclare 1 842 livres en 1790. Quant aux gagistes, nous savons par la déclaration du chapitre qu’un machicot touche 1 481 livres par an de distributions aux offices de jour et de nuit à Notre-Dame et un clerc de matines 1 536 livres. À la même époque, les musiciens de province les mieux rémunérés reçoivent jusqu’à 1 300 livres de gages, à l’instar de Jean CARRIÈRE, serpent et basse-contre à la cathédrale de Cambrai.
Profils des musiciens de la cathédrale
Du point de vue géographique, les musiciens en place en 1790 à Notre-Dame sont originaires de quatorze diocèses, presque tous situés dans un grand bassin parisien (le plus éloigné des diocèses est celui de Carpentras d’où arrive François FROMENT ; les trois quarts des musiciens viennent du diocèse de Paris et des diocèses picards et normands). Certains ont pu entrer à Notre-Dame sur la recommandation ou le conseil d’un proche issu du même pays ou formé dans la même psallette. Il faut noter la présence de deux étrangers natifs de Suisse et des Pays-Bas autrichiens mais ayant effectué une grande partie de leur carrière en France : Jacques Marie CORNU à Auxerre et Jean Joseph BAUWENS en Champagne et dans le Berry. Ceux qui disposent d’un bénéfice ecclésiastique restent en place jusqu’à leur décès : c’est le cas de cinq chanoines dans la décennie 1780 alors que durant la même période seize gagistes quittent la cathédrale après des séjours plus ou moins longs. Sept d’entre eux, au moins, ont trouvé à se placer dans une autre église de premier plan, sans doute munis d’un excellent certificat. Parmi les musiciens de la génération 1790 antérieurement passés par Notre-Dame et ayant trouvé à se placer ailleurs, citons LHOSTE à la Musique du Roi, DESACHY à la Sainte Chapelle de Paris, PORTEMER, THIERCELIN et DUSART respectivement dans les cathédrales de Beauvais, Meaux et la collégiale Saint-Pierre de Lille. D’autres, à l’instar de Louis PRIMO, ont fini par opter pour une reconversion dans les salles de spectacle, préfigurant certains choix de la période révolutionnaire. On peut penser que les principaux motifs de départ, hormis le renvoi pour acte de violence comme dans le cas de THIERCELIN en 1789, résident dans le désir de se marier et de gagner en liberté, quitte à renoncer à des avantages substantiels. Jean-Baptiste Marie GONTIÈS, resté jusqu’à la suppression du chapitre, n’épouse qu’en 1793 Marie Geneviève Delorme, sur laquelle il avait des vues depuis des années, comme il le précise lui-même dans sa requête de 1802 au cardinal Caprara pour faire reconnaître la validité de leur mariage. La résidence à l’intérieur du cloître et le statut de bénéficier n’interdisent pas aux musiciens de Notre-Dame de se livrer à l’enseignement afin d’étoffer leurs revenus. Les Tablettes de renommée des musiciens… en mentionnent pas moins de seize en 1785, tant chanoines que gagistes. Parmi eux, on peut citer Pierre François Joseph BRIEL, « Haute-Contre de l’Eglise de Paris, Maître de [musique] Vocale, [qui] est doué d’une voix très-agréable [et qui] chante avec beaucoup de goût ».
La moyenne d’âge s’élève à 47 ans en 1790 mais en réalité elle est un peu plus basse car nous ne connaissons pas l’âge de cinq gagistes. Le doyen d’âge est Jean CHEVALIER, chanoine semi-prébendé de Saint-Aignan, âgé de 77 ans, qui a débuté son service en 1740 et le doyen d’ancienneté est Jacques Nicolas DUCHESNE, recruté en 1738. Le plus jeune (22 ans) est Nicolas PRÉVOST, qui joue du serpent et vient de la collégiale Saint-Honoré, le dernier admis Jean Louis MESSIER, reçu le 26 juin 1789. Quelques jours auparavant a eu lieu le dernier mouvement bénéficial, avec la promotion de Charles Albert VARLET comme chapelain de Sainte-Catherine. Tout le système se fige ensuite pendant près d’un an et demi, jusqu’à la suppression du chapitre métropolitain.
Le logement des musiciens : une vie communautaire cadrée non exempte de tensions
Maison de la communauté des chantres ; Plan de la Cité, dessin à la plume et encre de Chine, vers 1750 (détail), Coll. H. Destailleur, BnF, Estampes et photographie, RESERVE FT 6-VE-53 (J), http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53082977t
Un si grand nombre de musiciens nécessite des structures de logement adéquates, à proximité de la cathédrale. Dans le cloître, un vaste bâtiment appelé « communauté » s’élève sur trois étages au débouché de la rue des Chantres, en bordure de Seine, tout près du Pont Rouge qui reliait l’île de la Cité à l‘île Saint-Louis (édifice disparu depuis le percement du Quai aux Fleurs au début du XIXe siècle). La vie en collectivité est sévèrement encadrée, avec des règlements qui s’adressent à tous les bénéficiers (hormis les prêtres qui possèdent une maison dans le cloître) et gagistes (textes de 1707, 1762, 1770, 1784). Chacun dispose d’un logement de fonction attribué par le chapitre, dont le loyer est évalué à 200 livres en 1790. Il correspond à la place occupée dans la hiérarchie des ordres, même s’il existe des logements affectés à un titre comme pour le chapelain de Sainte-Catherine. En 1762, les chanoines de Saint-Denis-du-Pas y ont emménagé avec les musiciens gagistes mais dans un bâtiment annexe, alors que ceux de Saint-Jean-le-Rond occupent dans le corps de logis principal six chambres avec cabinet, « sçavoir les trois du côté de la rivière aux diacres et les trois du côté du cloitre aux sousdiacres » (19 avril 1762). Toute promotion dans l’ordre supérieur s’accompagne de l’obtention d’un nouveau domicile, plus spacieux, confortable ou lumineux que le précédent. Il est interdit de sous-louer son logement ou d’y héberger quelqu’un, sauf permission capitulaire exceptionnelle. Même les laïcs doivent respecter ces règles. Un portier, remplacé en 1767 par « l’éveilleur de la communauté », a pour mission de faire régner l’ordre, le silence, les bonnes mœurs et de veiller au respect des horaires fixes qui rythment la journée, de six heures du matin à neuf heures du soir. Un dernier remue-ménage s’effectue peu avant minuit, lorsque chacun se hâte vers Notre-Dame afin d’y chanter les matines. Les musiciens, qui portent la soutane – ou, pour les clercs, une « soutanelle honneste » – peuvent déjeuner à onze heures et souper à dix-huit heures, le montant des repas étant prélevé par le distributeur. Il leur est permis de recevoir des invités, y compris des femmes de leur parenté, mais uniquement dans la salle commune. Tout débordement (insultes, blasphème, ivresse…) est puni d’une amende et, dès la seconde récidive, c’est le renvoi pour celui qui fait alors figure de « une pierre de scandale ». C’est à l’occasion des repas que le chantre en dignité tente parfois de réconcilier deux musiciens querelleurs. Les bénéficiers fauteurs de troubles sont généralement condamnés à plusieurs mois de séminaire avec interdiction de paraître au chœur et privation du pain du chapitre. Deux exemples suffiront à montrer qu’en dépit des objurgations capitulaires, l’ordre ne règne pas vraiment dans la maison de la communauté et que les relations entre les musiciens, qu’on peut exceptionnellement entrapercevoir, ne sont pas toujours sereines. En août 1776, Pierre LARSONNIER, haute-contre et chanoine-diacre de Saint-Jean-le-Rond, fou de colère d’avoir été inscrit sur les tables de la pointe (ce qui impliquait pour lui une retenue sur salaire prochaine) par son confrère GAURIER, petit distributeur, s’empare des dix-sept tables entreposées chez ce dernier, les rature, y inscrit des « réserves insolites » et les jette dans la Seine. Pris de remords, il descend les récupérer avec l’aide d’un marinier. Il est malgré tout condamné à se retirer chez « les prêtres de la congrégation de la mission de st Lazare et ce pendant l'espace de deux mois pour y reprendre l'esprit de son état ; la modération et la gravité qui doivent animer et diriger un prêtre dans toutes ses actions et fonctions de ses ordres ». La même année, Claude BOS, chanoine de Saint-Jean-le-Rond et serpent à la cathédrale, fait lui aussi trois mois de séminaire car « depuis très longtems [il] mène une vie tout a fait contraire à l'esprit de son état, qu’il se prend très souvent de vin, ce qui le met hors d'état de pouvoir assister a l’office et de remplir les fonctions auxquelles il est obligé par son bénéfice… ».
Les organistes à Notre-Dame
Les organistes forment un petit monde à part. Le pluriel est de mise, car depuis 1755 ils sont quatre, servant par trimestre. Tous laïcs, ils résident hors du cloître et ont souvent femme et enfants. Leur rémunération paraît dérisoire si on la compare à celle des bénéficiers et des gagistes : 200 livres par an, soit une dépense globale de 800 livres pour le chapitre. Il faut dire qu’ils ne montent pas quotidiennement à la tribune : seulement les dimanches et les jours de fête solennelle (65, ce qui représente un total de 160 offices où l’on touche l’orgue), qui se répartissent au surplus entre quatre musiciens différents, chaque organiste ne servant qu’un quart de l’année. En fait, la rémunération ne représente pas pour eux un enjeu essentiel. Si la fonction d’organiste de Notre-Dame attire les plus célèbres artistes, c’est avant tout en raison du prestige attaché à ce lieu.
Jean Jacques Beauvarlet-Charpentier, portrait gravé par Simon Charles Miger, d’après Charles Nicolas Cochin fils, eau-forte, 1781, BnF, département Musique, Est. Beauvarlet-Charpentier 001, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84155938 |
Les quatre titulaires en place en 1790, Jean-Jacques BEAUVARLET-CHARPENTIER, Philippe Antoine DESPREZ (qui a succédé en octobre 1789 au fils aîné d’Armand Louis COUPERIN, lui-même décédé accidentellement en février), Nicolas SÉJAN et Claude BALBASTRE, vivent par ailleurs très confortablement de leur art, car ils cumulent plusieurs tribunes en ville et donnent des leçons de clavecin et de piano aux jeunes gens des milieux favorisés de la capitale. Dans une requête adressée en 1795 à la Convention, SÉJAN écrit que ses quatre places (Saint-André-des-Arts, Saint-Sulpice, la Chapelle royale et Notre-Dame), à la veille de la Révolution, lui rapportaient 4 400 livres et ses « écoliers » 1 200 livres. L’organiste joue en soliste à l’offertoire et aux vêpres (entre les psaumes et les versets du Magnificat), mais ne jouit pas d’une grande liberté de manœuvre. Les chanoines n’encouragent pas les improvisations et rappellent en 1775 l’interdiction « d’aucuns airs vulgairement dits noëls », jugés indécents (il n’en va pas de même dans les paroisses, où BALBASTRE à Saint-Roch et même COUPERIN à Saint-Gervais se permettent de multiples fantaisies, comme des airs de chasse, si l’on en croit l’Anglais Burney qui rend visite aux deux hommes en 1770). Entre 1784 et 1788, le grand orgue fait l’objet d’une restauration par le facteur François Henri Clicquot, chargé depuis 1765 de l’entretien annuel de l’instrument. Pour le récompenser d’avoir parfaitement honoré son devis, les chanoines lui font don du petit orgue portatif du chœur, qui n’était plus utilisé depuis 1780.
La maîtrise des enfants de chœur
La maison des enfants de chœur est installée depuis le XVe siècle dans un hôtel proche du transept sud de la cathédrale, rénové en 1740, que l’on peut encore contempler au n° 8 de la rue Massillon.
La maîtrise des enfants de chœur de Notre-Dame au milieu du XVIIIe siècle ; Plan de la Cité, dessin à la plume et encre de Chine, vers 1750 (détail), Coll. H. Destailleur, BnF, Estampes et photographie, RESERVE FT 6-VE-53 (J), http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53082977t |
L’endroit comporte une vaste cuisine, un réfectoire, un « revestiaire » où les enfants s’habillent pour les cérémonies, une lingerie, une infirmerie, un dortoir de treize lits (douze pour les enfants, un pour le « garçon » qui les surveille et bien sûr une salle de classe, sommairement meublée : un poêle, deux grandes tables à écrire avec deux bancs, deux tables à écrire plus petites, deux pupitres, une armoire, un bas d’armoire et un bas de buffet. Trois adultes résident à la maîtrise : le maître de musique qui dispose d’un appartement de deux chambres, la cuisinière et le maître de latin, qui occupent chacun une chambre.
Théoriquement au nombre de douze, les enfants de chœur ne sont que dix au moment de la suppression du chapitre, les frères François Gabriel et Jean Marie Ambroise POTTIER, sortis en cours d’année, n’ayant pas été remplacés. Depuis 1748, le chapitre recrute presque toujours les enfants sur concours à l’âge de 7 ans, mais il existe des exceptions. Des enfants signalés aux chanoines pour leurs qualités hors du commun dans le domaine du chant, ayant souvent entamé une formation dans une autre psallette, peuvent intégrer la maîtrise à un âge plus avancé. Jean Louis PEUTAT, fils d’un maître de musique d’Avallon en Bourgogne, est dans ce cas : il fait son entrée en 1787, à presque 12 ans. Les enfants de chœur sont recrutés dans tous les milieux sociaux. Parmi ceux en place en 1790, on trouve des fils de domestiques, d’artisans, de familles de la petite bourgeoisie (payeur des rentes, marchand). L’un d’eux est même de noble lignage, ce qui ne doit pas être si courant : Louis Antoine Henri de SEGRAVE, né à Dole d’un colonel titulaire de la croix de Saint-Louis. La présence d’enfants de musiciens d’Église à la maîtrise de la cathédrale ne saurait étonner dans une société qui fait de la reproduction sociale une norme usuelle : outre PEUTAT, le chapitre a reçu le fils du célèbre surintendant de la Musique du roi François GIROUST, lui-même formé à Notre-Dame de Paris.
Ce petit groupe est fortement hiérarchisé. Le plus ancien des enfants, dénommé spé (terme d’origine incertaine), jouit d’une réelle autorité sur ses camarades : il doit veiller à leur bonne conduite et peut leur infliger des pénitences. Aidé des deuxième et troisième enfants de chœur, il leur fait répéter leurs leçons, leur explique ce qu’ils doivent chanter et la manière dont il convient de se tenir pendant les cérémonies (façon de porter l’encensoir, révérences…). L’aîné des frères POTTIER, qui fut l’assistant du spé, devait des années plus tard faire l’éloge de ce système d’enseignement mutuel : « Ceux qui commençaient à savoir quelque chose étaient les premiers instituteurs de ceux qui ne savaient rien, et recevaient à leur tour les conseils de leurs aînés, qui puisaient dans les leçons du maître les nouvelles instructions qu’ils se hâtaient de communiquer à leurs camarades » (1818). Dans le domaine musical, les enfants reçoivent à la fin de l’Ancien Régime les leçons d’Adrien Quentin BUÉE, le secrétaire du chapitre, un professionnel chevronné (il fut maître de musique à Coutances et à Saint-Martin de Tours), bon compositeur de surcroît – ses motets ont autrefois enthousiasmé l’auditoire du Concert spirituel. Sans doute profitent-ils aussi des conseils du sous-maître officieux, Jean Louis BERTIN, qui occupe l’appartement du maître à partir d’octobre 1788. Depuis 1738, il existe un clavecin à la maîtrise, curieusement placé à l’infirmerie en 1790. Les journées se déroulent au rythme des cours et des offices à la cathédrale, mais seuls les plus âgés des enfants se lèvent pour aller à matines au beau milieu de la nuit. L’enseignement des humanités est assuré par le maître de latin ou de grammaire, l’abbé Jean Pierre Égasse, dont les gages s’élèvent à 600 livres. Un maître d’écriture externe intervient à l’occasion pour enseigner les bases de la lecture et de l’écriture aux plus jeunes. Chaque année, le chapitre fait distribuer des ouvrages de dévotion aux enfants de chœur, en réservant la première part au spé pour lequel on dépense 25 livres, soit le tiers de la somme destinée à cet usage. Des temps de pause sont heureusement programmés dans la journée, et chaque jeudi après-midi la petite troupe a l’autorisation de faire une sortie en ville, sous la conduite d’un des maîtres. Ce régime peut paraître rude pour les enfants, privés d’intimité, voyant rarement leur famille (sauf éventuellement le dimanche) et contraints de demeurer à la maîtrise pendant les vacances qui ont lieu en septembre. En réalité, leur sort est plus enviable que celui de la majorité des jeunes Parisiens, mis très tôt au travail, traités ordinairement avec dureté par les adultes, pas toujours convenablement nourris, exposés au froid l’hiver, mal voire jamais soignés en cas de maladie. Sur ce dernier point, les enfants de chœur de Notre-Dame n’ont pas à se plaindre : au moindre problème de santé et à plus forte raison en cas de risque de contagion, le médecin et le chirurgien de la compagnie accourent. Ce dernier examine systématiquement chaque enfant nouvellement reçu et touche 40 sols pour ce travail. Malgré cette vigilance, la maladie ne s’arrête pas à la porte de la maîtrise : le 13 avril 1774, les chanoines autorisent les nommés KOP, LEBRUN et TOUSSAINT, enfants de chœur « convalescents de la petite vérole », à aller passer une quinzaine de jours chez leurs parents pour se remettre complètement.
Les maîtres de musique de la cathédrale Notre-Dame
Premier début de Lesueur, compositeur de musique, par Laurent Detouche, estampe gravée sur bois, 1857 (détail), BnF, département Musique, Est.LeSueurJ.F.006, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84217915
Le maître de musique occupe une place centrale à Notre-Dame de Paris. On en compte dix au XVIIIe siècle, dont un seul n’est resté que quelques mois, CABASSOLLES en 1734, et trois moins de quatre ans. Le record de longévité est détenu par Jean François LALOUETTE (1700-1716 puis 1718-1727) suivi par Jean-Baptiste GUILLEMINOT-DUGUÉ qui est le maître en poste en 1790. Ancien enfant de chœur de la cathédrale, formé par Louis HOMET, il se fixe dans la capitale après un passage par Blois et Noyon. Une dizaine d’années durant, il est maître de musique de Saint Germain-l'Auxerrois, époque faste en compositions données publiquement, en particulier au Concert spirituel, et fort bien reçues par la critique. Très tôt, il devient une autorité musicale incontournable à l’échelle du royaume. Nombreux sont les chapitres qui s’adressent à lui pour obtenir conseil ou informations sur les sujets aptes à diriger leur musique. Il fait émerger de nombreux talents. En 1786, fatigué, il obtient le droit de se retirer dans le cloître, dans l’expectative d’une semi-prébende de Saint-Aignan. Les déboires rencontrés par son successeur Jean François LESUEUR et les difficultés éprouvées à le remplacer contraignent les chanoines à envisager une organisation tripartite de la maîtrise, sans doute alors unique dans le monde capitulaire. Le 2 avril 1788, on demande à l’abbé DUGUÉ de donner « la musique au chœur et d’y battre la mesure toutes les fois qu’il en sera besoin » alors que le secrétaire du chapitre, BUÉE sera chargé « d’enseigner la musique et la composition aux enfants de chœur ». Quant aux tâches ingrates de surveillance des enfants, elles sont confiées à Martin, sous-garde revestiaire, puis à la basse-taille BERTIN.
Ce curieux arrangement, dont on ne saura jamais s’il était provisoire, s’explique par les deux refus polis que la compagnie a essuyés après avoir proposé le poste successivement à HERISSÉ et VOILLEMONT, respectivement maîtres de musique de la cathédrale d’Orléans et d’Angers. Sans doute, les conditions troubles du congédiement de LESUEUR sont-elles à l’origine de ce qui ressemble fort à un boycott. Ce jeune compositeur de 26 ans semble d’abord avoir eu carte blanche, ce qui laisse à penser qu’il n’a pas été choisi au hasard en juin 1786. Depuis plusieurs années, des chanoines faisaient l’amer constat que les chanteurs de la cathédrale n’atteignaient plus le niveau d’excellence que l’on était en droit d’attendre de la métropole parisienne. Dès la fête de l’Assomption 1786, il obtient les crédits nécessaires à l’engagement lors des grandes cérémonies de chanteurs et instrumentistes issus de l’Opéra. Cette décision déchaîne les passions en ville comme dans le chapitre, tout en provoquant une très forte affluence de tout ce que Paris compte d’amateurs de musique. La polémique est reprise sous diverses plumes. Bachaumont, dans ses Mémoires secrets, explique que le chapitre a eu raison même si « on se doute bien que les vieux chanoines ont grommelé » contre ce « spectacle purement mondain ». Les opposants, en particulier l’auteur des Observations sur la musique à grand orchestre, critiquent vertement le « fatras de notes », la « confusion d’instruments » et la « musique d’écolier » du compositeur. Néanmoins, les chanoines dégagent de nouveaux fonds à condition « que le nombre des symphonistes ne sera jamais assés multiplié pour gêner les cérémonies du chœur ; 2° que l’accès sera sévèrement interdit à tout chanteur de Théâtre, et qu’aucun ne pourra y être admis sous aucun prétexte ». Peut-être peut-on déjà déceler dans ces restrictions les indices d’un début de désaffection, un gage donné à ceux qui rejettent cette musique dont LESUEUR a tenté d’expliquer la nature et les principes dans son Exposé d’une musique imitative : elle doit être capable de dépeindre les sentiments exacts et pour cela le compositeur doit pouvoir écrire selon son inspiration les paroles de l’office du jour. Finalement, face à cette remise en cause de la tradition, encore perçue comme indécente, un faux prétexte suffit à le renvoyer en 1787. En 1790, il n’a plus de poste et se consacre exclusivement à la composition.
En reprenant du service, l’abbé DUGUÉ ne replonge pas la musique de Notre-Dame dans les ténèbres de la médiocrité créative. Lui aussi, au cours de ses longues années de service, s’est employé à rehausser l’éclat de la musique lors des grandes célébrations liturgiques.
In Exitu Israël de Aegipto, motet à grand chœur par l’abbé Dugué, maître de musique de la métropole de Paris, donné à l’occasion de la venue à Notre-Dame du comte d’Artois en 1775, p. 1 de la partition, BnF, département Musique, D-6544, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10315747z
À l’instar de ses prédécesseurs, il a fait appel à des musiciens externes afin de renforcer les effectifs et la diversité des instrumentistes : n’a-t-il pas ajouté des cors de chasse dans le Requiem composé en 1766 à l’occasion de la mort du Dauphin ? Le chapitre lui demande de « supprimer tous les récits dans le Te Deum et de substituer dans la symphonie ordinaire une symphonie d'instruments militaires » au moment de célébrer de traité de Versailles en 1783. Par ailleurs, DUGUÉ a cherché à améliorer l’acoustique dans la cathédrale en faisant des essais de placement des chanteurs et musiciens. Traditionnellement, ils étaient réunis au milieu du chœur, devant le somptueux lutrin en forme d’aigle déployé qui soutient le livre de chant, œuvre de Du Plessis en 1755.
Le Te Deum chanté dans nostre Dame, gravure de Michel Marot, vers 1660 (détail), estampe, taille douce, Bibl. numérique de l’INHA, http://bibliotheque-numerique.inha.fr/collection/7109-le-te-deum-chante-dans-nostre-dame/
Lors des cérémonies extraordinaires, les musiciens sont regroupés autour d’un lutrin de bois sur le jubé, ou bien comme lors de la venue du Dauphin en 1773 « vis-à-vis la chapelle de St Denis », adossée au jubé, à gauche lorsqu’on regarde de la nef, où « a été établie une estrade solide en menuiserie capable de contenir toute la musique ». En 1783, une nouvelle expérience est tentée : la musique est placée « dans les galleries au-dessus du sanctuaire autrement dites du Rond-Point pour procurer un plus grand effet ». Après cet essai jugé concluant, les chanoines constatent « qu’au moyen de deux cloisons pratiquées des deux côtés de la gallerie aux endroits où elle cesse d’être circulaire, et d’un amphithéâtre commodément disposé pour les Musiciens, on avoit lieu d’espérer un effet suffisant ». La chapelle de la Vierge qui s’appuie au jubé, du côté droit en regardant de la nef, est un lieu de musique également très important à Notre-Dame. On y chante depuis 1584 un motet à grand chœur après les complies du samedi, avec plus ou moins de solennité selon le calendrier liturgique. Il est de la composition du maître de musique et attire également des fidèles et des amateurs. C’est encore devant cette chapelle qu’est célébrée la messe lorsque le roi ou un membre de la famille royale vient à Notre-Dame, où retentit alors le Salve Fac Regem. Enfin, les spés y donnent le plus souvent leur composition de sortie de maîtrise.
Que deviennent les musiciens après la suppression du chapitre ?
Le destin postérieur à 1790 est connu pour les trois quarts des 55 individus en activité cette année-là, malgré des renseignements dans certains cas parcellaires. Pour ces musiciens d’excellent niveau, qui avaient parfois fait le choix de l’ordination pour faire carrière avec ce que cela implique de sacrifices, le choc de la suppression des chapitres dut être rude, même si douze d’entre eux déclarent approuver la Constitution civile du clergé. Beaucoup (plus de la moitié) parviennent cependant à se recycler dans l’univers de la musique. Il y a bien sûr ceux qui restent employés par la fabrique de Notre-Dame, dans un contexte de réduction drastique des dépenses somptuaires : BAUWENS, PICARD, GROUX, ROUGET, DEVILLIERS, MESSIER, l’aîné des enfants de chœur GUÉRIN, promu chantre gagiste, sont dans ce cas. Peu satisfaits de la rémunération offerte et désireux de saisir toutes les opportunités, PICARD et DEVILLIERS ont décidé dès 1791-1792 de se tourner vers la scène que le chapitre ne peut désormais plus leur interdire. Pour les théâtres parisiens, la fermeture des églises (1793) représente une véritable aubaine : des dizaines d’artistes formés aux meilleures écoles se retrouvent sans emploi. Une quinzaine d’acteurs, chanteurs et instrumentistes employés par le Théâtre de l’Égalité en mars 1796 sont issus des anciens corps de musique d’Église, parmi lesquels trois viennent de Notre-Dame : HUBY, MERLIN et BOREL-ROGAT. Établissement le plus prestigieux de la capitale, l’Opéra ou Théâtre des Arts, leur ouvre largement ses portes : 11 anciens musiciens de la cathédrale y signent un engagement entre 1791 et le début de l’Empire, tel Guillaume André VILLOTEAU, formé dans une psallette du Mans, qui participera à l’expédition d’Égypte de 1798. Les organistes ne délaissent pas la musique mais vivent des heures difficiles, privés de tribunes et souvent d’élèves, beaucoup de jeunes nobles ayant émigré avec leurs parents. SÉJAN et BALBASTRE composent des airs révolutionnaires et s’emploient à sauver les orgues de Paris, dont ils préconisent l’utilisation dans le cadre des cérémonies décadaires. Le chantre vétéran GUICHARD reste professeur de musique, plus particulièrement de guitare. Certains rongent leur frein en attendant des jours meilleurs. L’ex-enfant de chœur Jean Marie Ambroise POTTIER intègre l’administration des postes avant de renouer en 1814 avec le métier qui lui tient à cœur en rejoignant la Chapelle royale pour y tenir le rôle de ténor. Son camarade Pierre Jean Valéry VARET, en province, suit une trajectoire similaire. Après avoir combattu en Vendée dans l’armée républicaine, il devient percepteur dans le Maine-et-Loire. La signature du Concordat lui permet de reprendre le cours d’une carrière prématurément interrompue : il s’installe à Angers, où il obtient le poste de maître de musique de la cathédrale. Parallèlement, il enseigne et travaille comme organiste de paroisse. La maîtrise de Notre-Dame renaît sous le Consulat grâce à la ténacité de Jacques Marie CORNU qui en devient le sous-maître. La musique résonne à nouveau dans la cathédrale : Jean Charles François BOUTILLIER reprend du service en qualité de chantre gagiste, sous l’autorité du régulateur du chœur Louis LE VASSEUR. Si l’on tient compte du fait qu’une douzaine d’anciens musiciens, souvent âgés, titulaires d’une pension ecclésiastique, n’exercent vraisemblablement plus aucune activité rémunérée après 1790, ceux qui bifurquent radicalement sur le plan professionnel sont en définitive peu nombreux. Citons l’enfant de chœur Jean Denis Ignace BAUDRON, qui gagne sa vie comme pharmacien à Calais en 1812, ou l’ancien chanoine de Saint-Denis-du-Pas Michel Bernard LACRAMPE, qui a trouvé un emploi de commis chez une serrurière-mécanicienne de la Monnaie de Paris.
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En dépit de graves lacunes archivistiques, l’enquête MUSÉFREM a permis de faire avancer de manière significative le recensement et l’identification des musiciens au service de la cathédrale de Paris à la fin de l’Ancien Régime et de mettre en lumière l’importance d’un certain nombre d’entre eux dans la vie musicale du début du XIXe siècle. Ces hommes ont été les passeurs à la fois d’un savoir musical de premier plan et de la mémoire d’une institution qui semblait déjà, au moment de sa disparition, confrontée à des impératifs de choix quant à ses finalités et sa façon de fonctionner.
Plaise au lecteur nous aider à poursuivre ce long et patient travail d’enquête, en particulier pour suivre les pistes encore inabouties concernant soit les origines, soit inversement les destins ultérieurs des musiciens de 1790.
François CAILLOU et Christophe MAILLARD,
CERHIO-UMR 6258, Université du Maine (février 2016)
Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de, notamment : Guillaume Avocat, Youri Carbonnier, Bernard Dompnier, Stéphane Gomis, Sylvie Granger, Aurélien Gras, Isabelle Langlois, Pierre Mesplé, Françoise Noblat...
Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne)
>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.
L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.
Les lieux de musique en 1790
Diocèse de Paris
- Cathédrale
- Collégiale
Pour en savoir plus : indications bibliographiques
SOURCES IMPRIMÉES
- Almanach musical, t. V, année 1779, Genève, Minkoff Reprints, 1972.
- Louis PETIT DE BACHAUMONT, Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la République des Lettres en France, depuis MDCCLXII, ou Journal d'un observateur, contenant les analyses des pièces de théâtre qui ont paru durant cet intervalle, les relations des assemblées littéraires (...), t. 32, Londres, chez John Adamson, MDCCLXXXVIII.
- Charles BURNEY, Voyage musical dans l’Europe des Lumières, éd. Michel Noiray, Paris, Flammarion, coll. Harmoniques, 2010, 523 p.
- Description historique des curiosités de l’Eglise de Paris contenant le détail (…), par M.C.P.G, Paris, C. P. Gueffier, MDCCLXIII, 462 p.
- Nicolas Étienne FRAMERY, Calendrier musical universel, suite de l’Almanach musical, t. X. Année 1789, Genève, Minkoff Reprints, 1972, 331 p.
- La France ecclésiastique pour l’année 1790, Paris, Duchesne, 1790, 468 p.
- Jean François LESUEUR, Exposé d’une musique une, imitative, et particulière à chaque solemnité, Paris, 1787, 109 p.
- Observations sur la musique à grand orchestre, introduite dans plusieurs églises, et en dernier lieu à Notre-Dame de Paris ; et sur l’admission de musiciens de l’Opéra dans ces églises, Paris, 1786, 100 p.
- Tablettes de renommée des musiciens, auteurs, compositeurs, virtuoses, amateurs et maîtres de musique vocale et instrumentale, les plus connus en chaque genre… pour servir à l’Almanach-Dauphin, Paris, 1785, non paginé.
BIBLIOGRAPHIE
- François Léon CHARTIER, L’ancien chapitre de Notre-Dame de Paris et sa maîtrise d’après les documents capitulaires (1326-1790), Paris, Perrin, 1897, 303 p.
- Bernadette GÉRARD et Roberte MACHARD, Le grand orgue et les organistes de Notre-Dame de Paris, Paris, C. Borreda, 1980, 49 p.
- Cédric GIRAUD (éd.), Notre-Dame de Paris (1163-2013). Actes du colloque scientifique tenu au Collège des Bernardins, à Paris, du 12 au 15 décembre 2012, Turnhout, Brepols, 2013, 658 p.
- Jean LEFLON, « Notre-Dame de Paris pendant la Révolution », Huitième centenaire de Notre-Dame de Paris (Congrès des 30 mai-3 juin 1964). Recueil de travaux sur l’histoire de la cathédrale et de l’Église de Paris, Paris, J. Vrin, 1967, p. 401-416.
- Joseph MEURET, Le chapitre de Notre-Dame de Paris en 1790, Paris, Picard & Fils, 1903, 297 p.
- André VINGT-TROIS (dir.), Notre-Dame de Paris, Strasbourg, La Nuée bleue, 2012, 501 p.
- Anne-Marie YVON-BRIAND, La vie musicale à Notre-Dame de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, 2 vol., Thèse pour le diplôme d’archiviste-paléographe, Paris, 1949, 333 p.
- Anne-Marie YVON-BRIAND, « La maîtrise de Notre-Dame aux XVIIe et XVIIIe siècles », Huitième centenaire de Notre-Dame de Paris (Congrès des 30 mai-3 juin 1964). Recueil de travaux sur l’histoire de la cathédrale et de l’Église de Paris, Paris, J. Vrin, 1967, p. 359-399.
Bibliographie élaborée par François Caillou et Christophe Maillard
(février 2016)