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Creuse

Musique et musiciens d’Église dans le département de la CREUSE autour de 1790

Sommaire

Liste des musiciens de la Creuse

Url pérennehttp://philidor.cmbv.fr/musefrem/creuse

1-Vue de Guéret

Vue de Guéret (1792-1802), gravure d’après un dessin de Louis Brion de la Tour extrait de Voyage dans les départemens [sic]de la France, de Joseph Lavallée (Bm Limoges/ MAG.P LIM B1335)

La Creuse est aujourd’hui un département rural à l’écart des grands axes de circulation et en voie de désertification. Faiblement urbanisé, il a peu retenu l’attention des historiens et des musicologues. En témoigne l’absence totale de ce qui deviendra la Creuse dans les principaux ouvrages musicologiques à l’image du Dictionnaire musical des villes de province de François Lesure. Bien que les archives spécifiquement consacrées aux activités musicales soient rares, le futur département de la Creuse n’était pas pour autant un total désert musical au XVIIIe siècle. Comme le prouvent l’orgue de Genouillac, réalisé vers 1750 par « un prêtre qui n’avoit jamais appry à faire des instruments de cette nature » ou les deux violons, l’épinette et les livres de musique retrouvés en 1759 dans le presbytère de Colondannes, de modestes curés de campagne pouvaient développer des talents d’instrumentistes. La province n’était pas non plus coupée du monde musical national puisqu’en 1766 le Mercure de France publiait une ariette composée par « M. Malidor, à Guéret ».

Jean-Baptiste Huard, sculpteur à la manufacture royale de porcelaine de Limoges, écrit ainsi en 1788 que « la musique fut fort pratiquée mais le Limousin ne compte pas de compositeurs célèbres. En revanche, de nombreux maîtres de musique, organistes, maîtres à danser ont laissé le souvenir de la pratique d’un art de qualité ». En effet, dès le Moyen Âge la musique limousine se diffuse à partir de l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Les fragments d’antiphonaires médiévaux conservés aux archives départementales de la Creuse et étudiés par Sylvain Margot attestent ces pratiques musicales anciennes dans les institutions religieuses marchoises.

L’enquête Muséfrem permet de faire le point sur ce qu’il en était à la veille de la Révolution.

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DE LA MARCHE À LA CREUSE : UN TERRITOIRE RURAL

• • • Pour l’essentiel de son territoire, la Creuse correspond à l’ancienne province de la Marche, et plus exactement à la Haute-Marche – une partie de la Basse-Marche se situant autour de Bellac dans l’actuelle Haute-Vienne. Les secteurs de Bourganeuf et de Pontarion dépendaient quant à eux de la province voisine du Poitou, les environs de la Souterraine appartenaient au Haut-Limousin, La Cellette et Lavaufranche au Berry, et Gouzon comme Évaux au Bourbonnais. D’un point de vue administratif, la Haute-Marche et la Combraille relevaient de la généralité de Moulins tandis que La Souterraine, Bénévent, Bourganeuf, Le Grand-Bourg et Saint-Vaury relevaient de celle de Limoges. Même complexité sur le plan judiciaire : selon Annie Moulin, le présidial de Guéret avait autorité sur tous ces espaces, ce qui l’obligeait à juger soit d’après la coutume de la Marche, soit d’après celle de l’Auvergne ou encore celle du Poitou.

2-Le département de la Creuse

Département de la Creuse en 7 districts, dans l’atlas portatif de la France destiné à l’instruction publique, Paris, 1792 (bibliothèque de la SSNAHC).

• • • En 1790, le nouveau département compte environ 220 000 habitants répartis entre 1 900 bourgs, villages et hameaux. Guéret (3 453 habitants) et Aubusson (4 442 habitants), les deux principales villes, deviennent provisoirement chef-lieu par alternance, avant que la préfecture se fixe définitivement à Guéret en 1791. À l’exception de ces deux cités rivales et de La Souterraine (2 900 habitants), les autres petites villes atteignent rarement les 2 000 habitants : Felletin (2 300 habitants), Bourganeuf (2 000 habitants), Évaux (1 000 habitants) et Boussac (600 habitants). Le nouveau département compte sept districts dont les chefs-lieux correspondent aux principales localités recensées : Aubusson, Bourganeuf, Boussac, Évaux, Felletin, Guéret et La Souterraine.
 
• • • L’activité économique du territoire, dans son ensemble, est dominée par la production agricole. En 1792, dans son Voyage dans les départements de la France, Joseph Lavallée présente le sol creusois comme « des terres graveleuses et argileuses de montagnes [qui] ne permettent pas que l’on y cultive le froment, mais l’on trouve dans les vallées des pâturages excellents, et conséquemment les chevaux, les moutons et les bœufs en sont les principales richesses ». Les paysages creusois sont en effet principalement constitués de prairies, de rivières, d’étangs et de forêts bocagères. Dans la montagne limousine, les châtaigniers remplacent les céréales pour nourrir la population pauvre. Sur ce terroir peu fertile, l’élevage ovin s’est développé dans les landes parsemées de bruyères. Dans l’essentiel des petits bourgs, les activités tournent autour de l’élevage telles la boucherie, la tannerie et la ganterie. De multiples petites mains transforment la laine issue des troupeaux : fileuses, cardeurs, chanvreurs, tisserands, teinturiers, peigneurs, drapiers et chapeliers. Ces productions n’ont d’abord qu’un rayonnement local mais leurs débouchés se développent avec la seule activité manufacturée ayant acquis une incontestable notoriété : la fabrication de tapis et de tapisseries. La présence des nombreux ovins mais aussi les eaux acides propices au dégraissage des laines et à la fixation des teintures expliquent le développement de la tapisserie autour des cités de Felletin puis d’Aubusson. Depuis le XIVe siècle, Felletin, placée au pied des montagnes sur la route menant de Bordeaux à Lyon, produit des draps servant à habiller les gens de guerre. Les moulins à draps et les cent quarante-deux métiers à tisser présents dans la ville en 1769 fabriquent aussi des tapis de pied en points de Turquie. Au moment de la Révolution, la manufacture occupe huit cents ouvriers mais la production décline avec le développement des papiers peints. D’autant plus que c’est Aubusson, sa rivale et voisine qui, au fil du temps, a vu sa renommée grandir. La production tapissière, encouragée au XVIIe siècle par la politique colbertiste, avait permis en 1664 d’élever la ville au rang de manufacture royale. Malgré l’exil de deux cents lissiers protestants en 1685, l’activité s’est développée jusqu’à la Révolution grâce à la reproduction d’œuvres des peintres de la cour. En dehors de cette activité, le territoire marchois n’a jamais été un important centre industriel ou commerçant.

• • • Les difficultés de circulation, aggravées à la mauvaise saison par les conditions climatiques, contribuent à handicaper le commerce. Dans un texte souvent cité, tiré de son Entretien des Musiciens (1643), Annibal Gantez évoquait ainsi ce rude territoire :

 

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« La pluye me saisit si fort dans ces montagnes du Lymosin, que […] j’eus recours au ciel, et après avoir dit toutes les prières que je sçavois par mémoire, je composai en Musique un Psaume de David qui me sembla venir à propos : Salvum me fac Deus […], lequel je vous envoye, croyant que par iceluy vous comprendrez mieux en quelle douleur j’estois… »

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Peu de temps après, en 1684, le récit de voyage du comte de Forbin confirme cette impression de rudesse :

 

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« La route que j’avois à suivre étoit par le Périgord, le Limousin et l’Auvergne. La quantité de neige dont le pays étoit couvert le rendoit impraticable à un homme qui n’en avoit d’ailleurs aucune connoissance. Pour obvier à cet inconvénient, je me joignis aux muletiers qui partent deux fois la semaine de Limoges pour Clermont. […] Il tomba dans la nuit une si grande quantité de neige que les chemins en furent entièrement couverts. Mais ces marchands les avoient si fort pratiqués que, se conduisant d’un arbre à l’autre, ils ne s’égarèrent jamais… »

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Comme en témoigne le comte de Forbin, les habitants de la Marche eux-mêmes se déplacent aisément, à pied pour l’essentiel. L’étude menée par Alain Blanchard confirme la très piètre qualité du réseau routier limousin à la fin de l’Ancien Régime mais montre également que si le « roulage » est difficile, le « portage » permet d’acheminer partout des marchandises à dos d’hommes et de mulets. Une active circulation pédestre irrigue ces territoires pauvres, moins enclavés que leur réputation le dit.

• • • Ainsi, d’importants flux d’exils saisonniers caractérisent le Limousin et la Marche. C’est ce que les magistrats de la ville de Guéret soulignaient déjà en 1631 : « La province est la plus pauvre et la plus infertile de toute la France, [les habitants] sont réduits à une telle nécessité que les deux tiers sont contraints d’aller annuellement travailler du mestier de maçon en autres provinces du royaume. »
Si c’est au XIXe siècle, à travers Martin Nadaud, que les « maçons de la Creuse » ont acquis une certaine célébrité, le mouvement avait commencé bien longtemps avant. On peut penser qu’en compagnie des maçons circulaient aussi des chansons et des musiques.

• • • À la fin de l’Ancien Régime, la Haute-Marche était divisée entre trois diocèses appartenant à la province ecclésiastique de Bourges. L’essentiel de l’actuel département constituait la partie nord-orientale du diocèse de Limoges, les paroisses situées au sud-est (Crocq, Mérinchal, etc.) appartenaient quant à elles au diocèse de Clermont et quelques-unes au nord (Aubignac) relevaient du diocèse de Bourges.

En 1790, dans la logique de la départementalisation de l’organisation religieuse, Guéret accède au statut de siège épiscopal, le diocèse constitutionnel correspondant au département fraîchement créé. Le 28 novembre 1790, Léonard Maritaud relate que les « amateurs ont exécuté avec art quelques pièces de musique » durant la messe précédant l’élection de Jean-François Mourellon, premier évêque creusois. La charge étant trop lourde, il renonce rapidement. C’est alors le curé de Bourganeuf, Marc-Antoine Huguet, qui accepte la fonction. En mai 1791, la cérémonie d’installation est rehaussée par les motets d’un orchestre placé au fond du chœur. Mais à peine élu, le nouvel évêque devient président de l’assemblée électorale de la Creuse puis député Montagnard avant de renoncer à ses fonctions ecclésiastiques en décembre 1793. Finalement, le jeune diocèse disparaît rapidement sans être parvenu à s’entourer d’institutions musicales véritables. Il sera supprimé à la suite du Concordat de 1801 et entièrement intégré à celui de Limoges.

À la veille de la Révolution, c’est donc à un territoire sans cathédrale que l’enquête Muséfrem doit se consacrer. On y trouve néanmoins quelques abbatiales et quelques églises paroissiales importantes mais la musique s’exprime surtout dans les collégiales.

LES COLLÉGIALES, PRINCIPAUX LIEUX DE MUSIQUE

En 1790, les deux principales villes du territoire abritent l’essentiel des musiciens « creusois ».

• • • Guéret, chef-lieu du département, est selon Joseph Lavallée, en 1792, « une petite [ville], bien percée, agréablement bâtie […] mais déserte ». Étant le siège des juridictions de la Marche, elle accueille de nombreux officiers mais, bien que sa fondation soit liée aux reliques de saint Pardoux, la cité n’a jamais été un grand centre religieux. C’est pourtant un pôle musical avec une Chantrerie de Saint-Martial mentionnée dès 1577. À la veille de la Révolution, Guéret abrite une collégiale récemment transférée en ses murs. Ce chapitre, placé sous la protection de Notre-Dame, avait été fondé au XIVe siècle par le cardinal de la Chapelle-Taillefert afin que sa mémoire soit honorée en son village natal. Les registres paroissiaux de la Chapelle-Taillefert conservent d’ailleurs la trace de quelques musiciens du XVIIe siècle, tels l’organiste Anthoyne Desheraud et le chantre organiste Jacques Sallé, mais aussi les chantres Louis Doudy et Mardiniau. En 1763, les chanoines décidèrent de s’installer dans la chapelle des pénitents blancs de la ville voisine de Guéret. C’est dans ce nouveau cadre qu’en 1766 le chapitre engage Pierre MALIDOR. Originaire de Pithiviers, ce musicien, dont la carrière est marquée par la mobilité, ne reste qu’environ quatre ans à Guéret. Serpent à la collégiale tout en étant maître de musique en ville, « M. Malidor à Guéret » a l’honneur de voir une ariette de sa composition publiée par le Mercure en 1766. Il quitte la cité à Pâques 1770 pour accéder à un poste plus prestigieux en la cathédrale de Bourges.

L’année suivante est mentionné pour la première fois le chantre Jean JAQUET. La collégiale Notre-Dame de Guéret était alors composée de quinze chanoines et de deux titulaires du bas chœur selon l’abbé Expilly. Pourtant, en 1777, les Mémoires pour la noblesse de la province de la Marche affirmaient qu’il n’y avait ni bas chœur, ni chantres, ni enfants de chœur en raison de l'insuffisance des revenus du chapitre. Toutefois, la situation financière s’améliora sans doute car, lorsqu’il décède en février 1787, Jean JAQUET était toujours qualifié de chantre. Jean HERMAND lui succède la même année. Toujours en activité en 1790, il est alors accompagné d’un second chantre, Antoine MALTERRE. La présence d’un organiste attaché au chapitre guéretois est beaucoup plus incertaine. En effet, en octobre 1791, les officiers municipaux de Guéret trouvent dans le grenier du doyen du chapitre seize pièces de tuyaux d’orgue ou fragments en étain et quatre pièces en bois garnies de fer, servant de support aux tuyaux. Ces probables vestiges de l’ancien orgue de la Chapelle-Taillefert semblent indiquer que celui-ci n’avait pas été remonté à Guéret.

• • • Aubusson est le second centre musical de la province. À la jonction entre le XVIIIe et le XIXe siècle, la cité est ainsi dépeinte par Mieville, Piganiol de La Force et Delaborde dans leurs Voyages en France :

 

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« Vous ne verrez l’église d’Aubusson qu’en commençant à descendre dans la ville. Ce lieu, long et étroit, est bâti dans une vallée profonde et serrée qui forme le coude vers son milieu. Je n’ai pas vu rire, je n’ai pas entendu chanter dans ce souterrain ; on y fait tristement des tapisseries de verdure. Je ne vous avais annoncé qu’une église ; il y en a deux fort près l’une de l’autre et toutes deux sur une hauteur ».

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3-Vue d’Aubusson

Vue d’Aubusson (1792-1802), gravure d’après un dessin de Louis Brion de la Tour extrait de Voyage dans les départemens [sic] de la France, de Joseph Lavallée (Bm Limoges/ MAG.P LIM B1335).

Ces deux églises ne sont autres que l’église paroissiale Sainte-Croix et la collégiale Saint-Martin. Cette dernière est l’héritière d’un monastère fondé au VIe siècle dans la localité voisine de Rozeille puis sécularisé vers l’an mil. Comme son nom l’indique, cette collégiale dépendait du chapitre de Saint-Martin-de-Tours. Dès 1662, y est attestée la présence d’un chantre nommé Bertrand Delormand. Toutefois, en raison de sa vétusté, le Moutier-Rozeille fut fermé par l’intendant de Moulins et le chapitre transféré à Aubusson le 16 février 1674. Le procès-verbal stipule qu’on fit enlever les livres de chant de la première église pour les transporter dans l’église de Notre-Dame-du-Mont à Aubusson. Le président Chorllon écrit d’ailleurs y avoir entendu chanter un Te Deum lors de sa visite en 1675. La présence du chantre Pierre Lenustinier dans les actes notariés et registres de cette période laisse penser que seul le plain-chant est en usage. Selon les comptes du chapitre, en 1715 et 1716, l’institution dépensait 30 livres par an pour les gages du chantre Léonard Vialle. Certains chanoines semblaient également avoir une fonction cantorale puisque l’un deux, le dénommé Geoffroy, recevait, en 1743, 5 livres pour la moitié de l’année du « coristage ». C’est ce que tendent à confirmer Jean Aymar Piganiol de La Force et Théodore Legras qui, dans leur Description de la France, évoquent en 1754 un chapitre composé d’un prévôt, de douze chanoines et de cinq ou six titulaires du bas chœur. En 1769, la situation économique du chapitre était telle qu’il a « été obligé de se priver de la musique qu’il possédait autrefois ». Le commissaire visiteur envoyé par Saint-Martin-de-Tours en juillet 1779 avait relevé pour sa part la présence de deux « choristes » Jean VALLENET et Léonard QUENTIN, ce qui laisse penser que les mots « chantre » et « choriste », utilisés indifféremment et alternativement dans la plupart des sources locales, sont peu ou prou synonymes dans l’usage régional.

En 1790, la compagnie capitulaire est toujours composée de douze membres et rémunère deux chantres qui disposent de livres de chant et d’escabelles pour s’asseoir dans le chœur. Il s’agit peut-être des chantres MOREAU et QUENTIN mentionnés dans les actes capitulaires de 1785. Ces chantres sont accompagnés de trois enfants de chœur au moins depuis les années 1750. En 1779 il s’agissait de Pierre LEFAURE, Léonard LUMASSON et Léonard BLANCHON. On apprend d’ailleurs, dans un état des charges du XVIIIe siècle (mais de date indéterminée), que 120 livres sont destinées aux chantres et que 114 livres sont partagées entre le sacristain, le bedeau et les enfants de chœur. Sur ses 609 livres de revenus annuels en 1790, la collégiale verse également douze livres, dix sols et un setier de blé aux chantres de la paroisse sans que l’on sache si ces derniers sont les mêmes que ceux de la collégiale.

• • • Saint-Éloy de Crocq, dans la partie orientale du territoire, est une petite collégiale dépendante du diocèse de Clermont. Son chapitre a été fondé en 1444 par Delphine de Montlaur. Les visites pastorales mentionnent des fondations de messes à voix haute jusqu’en 1783. Malgré la présence d’une aigle du XVIIIe siècle et d’un antiphonaire, les traces de l’activité cantorale à la fin de l’Ancien Régime sont sporadiques. Un Te Deum est chanté en 1790 pour la fête de la Fédération et des messes de fondation chantées sont toujours mentionnées dans l’inventaire de 1791.

ABBAYES ET COUVENTS : DE FUGACES TRACES DE CHANT

• • • Cinq abbayes cisterciennes existent sur le territoire. Les rudes terres marchoises, éloignées des grands axes de communications, furent une contrée d’élection pour les moines de Cîteaux. En 1790, leur activité « musicale » semble être un lointain souvenir dans les cinq monastères de l’ordre. Ainsi, dès 1621, un procès-verbal ne mentionne que de « vieux livres de chants rompus » dans l’abbaye de Prébenoit. De même l’abbatiale Notre-Dame d’Aubignac qui rémunérait un chantre et un sous chantre à la fin du XVIe siècle n’abrite plus en 1790 qu’un « mauvais missel à l’usage de l’ordre, un graduel, un antiphonaire, un psautier et un processionnelle romain ». Les rares mentions de chantres sont souvent anciennes comme c’est le cas pour l’abbaye de Bonlieu. Du XIIe au XVIIe siècle, Henri Delannoy n’a pu y répertorier que huit chantres, le dernier identifié, Jean du Peyroux, ayant vécu au milieu du XVIIe siècle. Le chant des moines blancs a également résonné sous les voûtes de Notre-Dame-du-Palais et de l’abbaye d’Aubepierre puisqu’en 1790 on y trouve quelques livres de chant et un pupitre qui peuvent laisser supposer une modeste activité cantorale. Fragilisée depuis l’attaque protestante de 1569, la communauté d’Aubepierre déclina jusqu’à ne compter que deux membres en 1790. On peut toutefois relever qu’en 1756, selon les registres comptables, les moines dépensaient 28 livres pour habiller un « choriste » surnommé « St-Jean ». Au début des années 1760, le choriste est le « petit Létang  », remplacé en 1765 par un certain Lanry. On peut se demander si le « petit Létang », si jeune que sa rémunération est versée à sa mère, ne serait pas plutôt un enfant de chœur chargé de servir la messe. Dans tous les cas, les dépenses liées aux choristes sont classées dans la rubrique des « domestiques ». La présence d’un autre choriste en ces lieux au moment où éclate la Révolution n’a pu être démontrée.

• • • L’abbaye Sainte-Valérie de Chambon [Chambon-sur-Voueize] est la plus ancienne des deux abbayes bénédictines du territoire. Fondé vers 985 pour protéger les reliques de sainte Valérie lors du pillage de Limoges, le monastère devient au Moyen Âge un lieu de pèlerinage important. Il fut d’abord sous la dépendance du monastère Saint-Martial de Limoges puis sous celle de Cluny à partir de 1708. Les clunisiens qui accueillaient volontiers les fondations de messes ont très probablement pratiqué le plain-chant sous les voûtes de la plus grande église creusoise. On dispose malheureusement de peu d’informations puisqu’une grande partie des archives a brûlé durant la Révolution avec l’incendie de la tour du Trésor. Les traces de chant sont donc rares, exception faite du chantre Jehan Perigaud au début du XVIIe siècle et des 130 livres de gages versés en 1750 aux enfants de chœur et au bedeau. En 1788, le curé d’une paroisse voisine nota la mort soudaine, à 36 ans, du religieux COURCELLE, qualifié « d’excellent chantre et joueur d'instruments expérimenté ». Il s’agissait peut-être d’un parent du sieur Duchier de la Courcelle, curé de Saint-Silvain de Ballerot qui, en 1750, avait un clavecin dans lequel il avait mis un orgue. Après l’interdiction de recruter des novices faite aux monastères suivant l’Ancienne Observance clunisienne, le noviciat de Chambon avait été évacué le 18 août 1788. La communauté n’était plus alors composée que d’un prieur et de trois religieux. L’abbaye de Chambon n’est donc plus un lieu de musique actif en 1790, mais il paraissait important de l’évoquer afin que le panorama soit le plus complet possible. 

5-Le Moutier d’Ahun. Lutrin

Lutrin et stalles du XVIIe siècle ainsi que deux tabourets de chantre du Moutier d’Ahun. (cl. A. Malaqui, août 2020).

• • • Le Moutier d’Ahun est la seconde abbaye bénédictine du territoire. Elle avait été fondée en 997 par Boson, comte de la Marche. Pendant les Guerres de religion, une grande partie de la nef fut détruite mais l’abbatiale, lieu de tournage de Tous les matins du monde, conserve ses boiseries du XVIIe siècle auxquelles elle doit sa notoriété. On y remarque un lutrin orné de figures de lions. Le bâton de chantre mentionné dans un procès-verbal de 1770 a pour sa part disparu. Lors de son rattachement à Cluny, en 1611, un procès-verbal mentionnait un antiphonaire à l'usage de l'ordre et des livres « où l'on chante mal en ordre ». Le visiteur de Cluny demandait alors aux huit religieux que « tous escoutent et prestent l'oreille à celui qui, à raison du chant, commande au cœur, pour obvier aux dissonances ou tumultes qui y arriveroient ». Deux titulaires de la fonction de chantre sont connus pour le XVIIe siècle, mais cet office n’est plus mentionné en 1703. On trouve toutefois des mentions de chantres parmi des religieux qui, provenant de maisons entrées dans l’orbite de Cluny, doivent faire un nouveau noviciat afin d’obtenir un office ou un bénéfice. Tel est ainsi le cas, en 1752, de Dom Jean Gilbert Pouriet, bénédictin et chantre de l’abbaye d’Ebreuil. En 1782, quatre services chantés étaient encore mentionnés dans le règlement des honoraires de messes. Il n’en demeure pas moins que durant tout le XVIIIe siècle l’abbaye a manqué de ressources et il n’y avait que cinq religieux lors de sa suppression en 1789.
 
• • • Saint-Barthélemy de Bénévent, abbaye de chanoines réguliers de saint Augustin, est située à 25 km à l’ouest de Guéret. La ville doit sa dénomination à la cité italienne de Bénévent de laquelle ont été rapportées les reliques de saint Barthélemy vénérées dans l’abbatiale. Pierre René COURBOULAY, maître tisserand venu du Maine et marié à Bénévent en 1723 occupe la fonction de chantre au moins jusqu’en 1745. Les chanoines, qui étaient tenus de chanter une messe hebdomadaire dans la chapelle Saint-Germain (fondée dans l’abbatiale par d’anciens abbés de la maison de Saint-Germain-Beaupré) ne semblent plus présents en 1790. La modicité des revenus et l’état inquiétant des bâtiments a en effet conduit le roi, en 1737, à placer l’abbaye en régie, puis à nommer son ancien aumônier Silvain-Léonard de Chabannes, abbé commendataire de 1767 à 1791.

4-Évaux

Tribune d’orgue et deux tabourets de chantres dans l’abbatiale Saint-Pierre d’Évaux (cl. G. Estève, avant 1932, MAP, Base Mémoire). 

• • • La prévôté génovéfaine de Saint-Pierre d’Évaux est située à l’extrême est du département, dans la bourgade d’Évaux, jadis capitale des Combrailles. Située en dehors de l’ancienne province de la Marche, à la jonction entre l’Auvergne et le Bourbonnais, celle-ci est depuis l’antiquité romaine une ville thermale (d’où son nom actuel : Évaux-les-Bains). Dès 513, une communauté de clercs s’y est installée pour honorer les reliques de saint Marien, un ermite mort en ce lieu. Les premières traces de l’abbaye remontent à 937 et on sait avec certitude que depuis le XIIe siècle, elle observait la règle de saint Augustin. La communauté, rattachée à la congrégation de Sainte-Geneviève en 1634 est, au début du XVIIIe siècle, unie à la mense capitulaire de la Sainte Chapelle de Riom qui connaissait alors d’importantes difficultés financières. La présence de chantres est attestée à Évaux depuis le XIVe siècle mais on ne connaît pas leur nom après Jacques Bretanges en 1615. On sait seulement qu’en 1747, selon le tableau des honoraires du chapitre, le chantre devait recevoir 5 sols pour une messe chantée. D’après le pouillé historique du diocèse de Limoges, dressé en 1775, c’est le chapitre de la Sainte Chapelle de Riom qui doit entretenir un sous-chantre et deux enfants de chœur. Lors de sa suppression en 1790, l’abbaye est composée de six chanoines réguliers. La sacristie conserve un bâton de chantre en argent garni de fleurs de lys, surmonté d’une représentation de saint Pierre. L’inventaire de l’abbatiale fait également référence à un tapis pour la « parquette » des chantres mais il oublie de mentionner la tribune d’orgue encore visible avant l’incendie de 1942. L’orgue était tenu au moins depuis les années 1750 et jusqu’à une date indéterminée par Anne JOSSOT, veuve de Jean-Guillaume GOYON, organiste à Gannat, et fille de Pierre Toussaint JOSSOT, ancien organiste de Saint-Amable de Riom. Sa fille Gilberte-Thérèse GOYON a été, elle aussi, organiste jusqu’à son mariage, dans un prieuré du Charolais.

• • • Le monastère de Blessac, situé à une lieue à l’ouest d’Aubusson, a été fondé par la famille d’Aubusson. D’abord prieuré masculin, il hébergea des religieuses fontevristes dès 1120. Les 15 religieuses de chœur, issues de la noblesse locale, chantaient et récitaient l'office. Ainsi, le visiteur de l’ordre louait en 1691 « le zelle de celles qui s’occupent à joüer de la violle et à chanter à l’église des motets dont [il a] été fort édifiez ». Comme le décrivent Catherine et Jean Chapagnat, chaque religieuse de chœur avait sa fonction dans la communauté. La prieure, élue tous les trois ans, était secondée par une sous-prieure. On trouvait aussi une religieuse infirmière, une apothicaire, une sacristine, une jardinière et une chantre. En 1790, c’est Catherine DURIEUX DE VILLEPRAUD, âgée de 51 ans, professe depuis le 1er mai 1764, qui cumule les fonctions de chantre et d’infirmière. On peut supposer qu’elle n’était pas seule à chanter dans l’église mais qu’elle dirigeait ses consœurs, jouant en somme un rôle de cheffe de chœur.

LE CHANT DES COMMUNALISTES DANS UN DÉSERT MUSICAL

Étudiées par Pascale Jeuniaux dans le diocèse de Limoges et par Stéphane Gomis pour celui de Clermont, les communautés de « prêtres-filleuls » étaient nombreuses dans les régions de montagne. Dans les petites villes qui ne possédaient pas de collégiale, elles participaient à rehausser les cérémonies en adoptant l’apparence d’un petit chapitre. Ces prêtres qui avaient la particularité d’avoir tous été baptisés dans la paroisse desservie étaient nombreux en Creuse ; Louis Pérouas en comptait encore une quarantaine en 1790. Leur rôle principal était de célébrer des messes d’obit. Les fondations encore nombreuses au XVIIe siècle étaient cependant en baisse à la fin de l’Ancien Régime. Pour pouvoir honorer les messes des morts, ces prêtres devaient parfaitement chanter, c’était d’ailleurs un des critères pour entrer dans la communauté. Ils désignaient un chantre parmi eux et les plus grandes communautés entretenaient des enfants de chœur. Il arrivait aussi parfois qu’ils fassent appel à des chantres laïcs pour les assister dans le chant lorsque les compétences en leur sein étaient insuffisantes.

• • • L’église paroissiale Saint-Pierre-Saint-Paul de Guéret
En 1790, la capitale de la province héberge huit prêtres habitués dans l’église paroissiale Saint-Pierre-Saint-Paul. Leur effectif était en diminution puisqu’au XVIIe siècle ils étaient encore vingt-huit communalistes, sacristains et chantres, pour chanter à l’occasion des fêtes religieuses. Pour la messe de Noël 1695 le curé chanta « aidé des seuls chantres […] et de quelques enfants [qui] ont pris le chant ». Parmi ces enfants de chœur, on a pu identifier Étienne CRABOUILLET et Jean-Baptiste MALAURON au début du XVIIIe siècle. Dans les années 1750 et 1760, les registres paroissiaux font émerger le nom de quatre autres enfants : Silvain DUBREUIL, Joseph BOURBON, Louis et Pierre SIMONNET. Les deux bâtons de chantres reçus par les communalistes en 1764 laissent supposer que, dans la communauté, l’autorité sur le chant était détenue par un ou deux chantres. Pour des services solennels au moins, et peut-être plus fréquemment, il est fait appel à des « choristes » laïcs pour donner plus de lustre au chant. C’est ce que suggèrent les comptes de 1786. Jean DALBY, cordonnier à la fin du XVIIIe siècle et qualifié de chantre à Guéret en 1806, pourrait avoir fait partie de ces choristes à la fin de l’Ancien Régime. En revanche l’organiste de 1790 a été identifié : durant les dernières années de l’Ancien Régime, les cérémonies étaient accompagnées à l’orgue par Pardoux PAROT. Celui-ci a dû participer aux Te Deum chantés et consignés par Jean-Baptiste Niveau dans les années 1780 puis par Léonard Maritaud en 1790.

Des messes continuent à être chantées dans cette église après son érection en cathédrale en 1790. C’est le cas pour les cérémonies de proclamation des deux évêques mais aussi pour celles accompagnant des moments plus douloureux. Ainsi, le 4 octobre 1790, les Gardes nationaux morts à Nancy sont honorés par une messe de Requiem durant laquelle des amateurs exécutent quelques pièces de musique. Les enfants de chœur sont également présents lors de ces cérémonies. Ils sont probablement au nombre de quatre si on en croit les achats d’aubes, soutanes et bonnets répertoriés dans les comptes de la fabrique.

• • • Sainte-Croix d’Aubusson
La plus grande ville de la province, Aubusson, avait aussi une communauté de prêtres. Ces derniers siégeaient dans l’église paroissiale Sainte-Croix édifiée à l’origine pour accueillir les reliques de la Passion. Durant tout le XVIIe siècle, ils avaient reçu de nombreuses fondations d’offices chantés qu'ils exécutaient tous les soirs en l’honneur des défunts. Mais le nombre de communalistes diminuant, le curé, M. Gerbaud, avait recruté vers 1750 deux chantres laïcs pour les suppléer. On peut supposer qu’il en allait toujours de même en 1790, mais les deux chantres n’ont pu être identifiés.

• • • Les deux communautés de Felletin

6-Vue de Felletin

Vue de Felletin (1792-1802), gravure d’après un dessin de Louis Brion de la Tour extrait de Voyage dans les départemens (sic) de la France de Joseph Lavallée (Bm Limoges/ MAG.P LIM B1335).

Selon Joseph Lavallée, cette petite ville n’était « pas faite pour donner une haute idée de son commerce et de son industrie ». On y fabriquait quelques tapisseries, mais elles n’étaient pas aussi belles ni aussi estimées que celles d’Aubusson. Felletin rivalisait en revanche avec Aubusson sur le plan religieux et culturel grâce à un collège, fondé en 1589, dans lequel chaque élève apprenait à chanter. Tous les ans, une grande messe avec enfants de chœur y était donnée en l’honneur de Sainte-Catherine, patronne des écoliers. Si elle n’accueillait pas de collégiale, la cité s’organisait autour de deux paroisses, trois églises et trois confréries de pénitents. Les paroissiens du Moutier se réunissaient dans l’église Sainte-Valérie. Ceux de Beaumont ayant l’église Saint-Blaise sur les hauteurs, à l’écart du bourg, disposaient aussi de la chapelle Notre-Dame du château à l’abri des murs de la ville. Comme dans beaucoup de localités marchoises, les deux paroisses étaient desservies par des prêtres communalistes.

Au nombre de neuf en 1791, ceux de Beaumont devaient savoir le plain-chant et chanter durant les offices comme le rappelaient les statuts de 1509 à 1625. D’après ses revenus de 1791, la communauté devait annuellement célébrer 370 messes à haute voix. Certains communalistes, au moins deux durant le XVIIe siècle, tenaient alors le rôle de « maîtres chantres » probablement pour diriger le chant des autres prêtres. À l’image des chapitres collégiaux, les « enfants-prêtres » faisaient aussi appel à des laïcs pour soutenir le chant. C’était notamment le cas d’une famille d’organistes : Jean, Jacques et François Dumonteil exerçant de 1624 à 1676. Il est également probable que Nicolas LEGRAND, organiste de 1738 à 1746, ait joué dans la même paroisse. Tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, les registres paroissiaux mentionnent aussi des tribunes d’orgues dans les deux lieux de culte de la communauté. Celle de Beaumont a disparu avec la destruction de l’église Saint-Blaise ; quant à celle de Notre-Dame du Château, elle existait toujours au début du XIXe siècle, puisqu’en 1810 elle a accueilli un orgue du facteur Sandon du Cluzeau. Toutefois, aucun organiste n’a pu être repéré en 1790.

La seconde paroisse de la ville était celle du Moutier Sainte-Valérie. Ancien prieuré bénédictin fondé en 1125 par les moines de Chambon, l’église du Moutier devenue paroissiale en 1581 a pour sa part conservé sa tribune. L’orgue actuel date du XIXe siècle mais il en existait un autre précédemment, attesté en 1788. C’est probablement cet orgue qu’avait tenu Pierre DANGÉ à partir de 1758. À l’occasion de la visite pastorale de 1787, on apprend également qu’une aigle était placée au milieu du chœur  « pour les deux grands livres de chant » utilisés par les plainchantistes. En effet, malgré les oppositions récurrentes entre les communalistes du Moutier et ceux de Beaumont, une convention passée en 1714 entre les deux groupes de prêtres obligeait les maîtres chantres des deux communautés à assister mutuellement aux enterrements de leurs membres. Parmi eux on peut citer Blaise FOURNIER exerçant en 1705 au Moutier. En 1737, la communauté du Moutier avait décidé de remplacer le chantre par trois enfants de chœur et de leur donner à chacun un setier de blé et une paire de souliers, mais les communalistes refusèrent finalement en 1743 de supporter cette charge. On peut toutefois relever que l’inventaire dressé en l’an II de la République mentionne quatre dalmatiques à l’usage des enfants de chœur. En 1781, les communalistes faisaient épisodiquement appel à des musiciens puisque la prise de possession d’un nouveau membre de la communauté se fit alors « au son et carillon des cloches et jeu d’instruments ». Enfin, en 1792, Annet SARCIRON est mentionné comme occupant la fonction de chantre depuis trente-trois ans.

• • • Saint-Jean-Baptiste de Bourganeuf
Du XIVe au XVIIIe siècle, Bourganeuf, chef-lieu du Grand Prieuré de la Langue d'Auvergne de l'ordre des Hospitaliers, avait connu une période de splendeur qui avait pris fin en 1750. À cette époque, les Grands Prieurs transportèrent leur résidence à Lyon où les communications avec leurs commanderies et avec Malte, devenue chef-lieu de l’Ordre, étaient plus faciles. Toutefois Bourganeuf conserva le titre de chef-lieu du Grand Prieuré jusqu’en 1787. Devenue simple église paroissiale, Saint-Jean-Baptiste n’était plus en 1790 que le siège de communalistes longtemps dépendants du Grand Prieur. La communauté de prêtres-filleuls existait déjà en 1477 mais c’est avec leurs statuts de 1506 qu’on apprend qu’ils avaient l’obligation de chanter les heures canoniales et surtout que le pater (curé) et les prêtres de la communauté étaient tenus de payer quatre choristes choisis parmi eux ou ailleurs. Chacun des choristes recevait six setiers de seigle par an pour continuellement tenir le chœur. Ces quatre choristes devaient diriger le chant des autres prêtres pour faire « sonner les anthiphones ». Ils étaient toujours présents en 1775 si on en croit le pouillé de Limoges.

Au XVIIIe siècle, pour respecter les titres de fondation, la communauté devait entretenir un chantre qui, payé sur le casuel, recevait en plus quinze setiers de seigle. En 1788 les huit prêtres disposaient toujours d’un antiphonaire et de plusieurs livres de chant mais aussi « d’un aigle sur un très beau piédestal formant une masse d’or sous laquelle étaient les armes de M. le grand prieur de l’Aubepin ». Si peu de chantres ont pu être identifiés, il est certain que la fonction était régulièrement confiée à des laïcs : Erme CATTIER, mentionné en 1744, est également marchand. Il est probable que Jean-Baptiste CALINAUD, tourneur sur bois dans la paroisse et désigné comme chantre à son décès en 1808 l’avait déjà été avant la Révolution. La communauté ne semble pas avoir entretenu d’instrumentiste puisque, bien qu’on ait retrouvé des parchemins des années 1760 dans les tuyaux de l’orgue actuel, il n’y a aucune mention d’un tel instrument avant le XIXe siècle.

• • • La Souterraine
Bien que troisième ville du département en 1790, la Souterraine n’a que très peu intéressé les historiens modernistes. C’était pourtant une cité assez importante au XVIIIe siècle puisque, dépendant de l’intendant de Limoges, elle accueille un de ses subdélégués, mais aussi, un subdélégué de l’intendant de Bourges chargé de l’administration du pays environnant, la ville de la Souterraine constituant une enclave de la généralité de Limoges au sein du territoire de la généralité de Bourges. Elle accueillait des juridictions, des écoles, un hôpital et deux établissements religieux. Le principal monument reste cependant l’imposante église paroissiale. Après avoir été une dépendance de l’abbaye Saint-Martial de Limoges, l’établissement change de statut : les moines furent remplacés par des prêtres-filleuls réduits au nombre de quatre en 1783. Ces derniers étaient tenus de célébrer tous les jours une messe chantée et un grand nombre d’anniversaires. Bien que le Pouillé de Limoges de 1775 rappelle la bulle de sécularisation instituant six enfants de chœur et un maître de psallette, il insiste sur la forte diminution des revenus qui ne permet plus d’assurer ces dépenses. On sait toutefois que les prêtres chantaient durant les processions grâce aux indications du Processionnal pour le jour de la Très sainte Trinité de la Souterraine, imprimé à Limoges dans les années 1770.

Les autres communautés de la province sont beaucoup moins documentées. Ainsi, en dehors des fondations et des tarifs pour les messes chantées, on peut relever un legs fait en 1667 à l’église d’Ahun pour acheter des orgues. On remarque aussi la présence de lutrins du XVIIIe siècle à Aubusson, Chénérailles, Saint-Vaury et à Auzances. Jean-Baptiste RAVAUD, boulanger de cette localité, cumule les fonctions de chantre et maître d’école dans les années 1780.

• • • Une terre de pénitents 
Apparues dans le Sud du royaume, les confréries de pénitents se développèrent rapidement en Limousin avec la Réforme catholique. Les premiers confrères de la Haute-Marche s’installèrent à Felletin dès 1602, puis d’autres groupes étaient apparus le long du sillon où coule la Creuse. Comme l’a démontré Benoît Michel pour Toulouse, les pénitents « chantaient et faisaient chanter ». Ils ne semblaient toutefois pas entretenir de corps de musique permanent, même si cette idée a été soulevée par Philippe Wolff et Pierre-Exupère Ousset. Les confrères pratiquaient généralement eux-mêmes le faux-bourdon pour leurs cérémonies habituelles et réclamaient le soutien de musiciens lors des exécutions musicales « avec symphonie »

Pour sa part, Guéret accueillait deux confréries de pénitents – blancs et noirs – fondées au XVIIe siècle. Lors de leur réception, tous les membres s’engageaient à accompagner leurs confrères décédés en chantant des psaumes. Leur processionnal édité en 1767 montre qu’ils entonnaient des hymnes, motets et Te Deum durant les processions de la Semaine sainte. De même, en 1772, deux des quatre « choristes pénitents » d’Ahun chantaient en alternance avec le chœur. On retrouvait ces pratiques dans les statuts des pénitents blancs d’Aubusson. Leurs registres de délibérations permettent de connaître le nom des six pénitents pourvus de l’office de « choristes » entre 1789 et 1791. Parmi eux, certains sont qualifiés de « chantres » tels les sieurs ROBY et MOREAU, ce dernier n’étant peut-être autre que le chantre du même nom exerçant son art dans la collégiale voisine. Les confréries étaient encore plus présentes à Felletin qui hébergeait des pénitents bleus, blancs et noirs. Pour les célébrations de la Fête-Dieu et du Jeudi saint, les pénitents noirs de la confrérie Sainte-Croix prenaient à leur charge tous les frais des joueurs de serpent et des chantres.

• • • Des chantres isolés dans les paroisses
Comme on pouvait s’y attendre, le territoire qui allait devenir la Creuse n’est pas en 1790 un actif foyer de musique d’Église malgré la présence de quelques musiciens concentrés dans les villes. De nombreux chantres des campagnes demeurent toutefois invisibles. Il est probable que certains individus présentés comme régents participaient aussi aux célébrations religieuses. Comme le soulignait Fernand Autorbe dans ses recherches sur l’éducation en Creuse, l’enseignant, en plus de ses fonctions, s’engageait également à assurer des services d’église en se chargeant du plain-chant au sein de sa classe ou en étant auxiliaire du curé. C’est d’ailleurs ce que demandaient déjà en 1519 les statuts synodaux de l’évêque de Limoges : « chaque curé aura avec lui un clerc de science médiocre, qui chantera au chœur et tiendra école ». Ces chantres isolés et exerçant un autre métier se dévoilent parfois à la lecture des registres paroissiaux. Au XVIIIe siècle, Jean LABROSSE et François DAYAT chantaient à Jarnages, Léonard LAVILLE, à Saint-Éloi en 1750 et Jean FAURE était chantre à Saint Priest-la-Feuille en 1761.

• • •

Au total, une dizaine de musiciens, chantres, et enfants de chœur ont été identifiés à l’heure actuelle comme actifs en Creuse en 1790. Parmi eux, on compte une religieuse chantre. À ces actifs en 1790, s’ajoutent une quinzaine d’autres notices, parmi lesquels se distingue une autre femme, pour sa part organiste. Une douzaine de lieux de musique effectifs à la fin du XVIIIe siècle a été repérée ; Guéret et Aubusson concentrent l’essentiel des musiciens retrouvés. Le reste du département est un quasi désert documentaire sur le sujet, avec seulement des mentions sporadiques de chantres dispersés dans les campagnes et les petits bourgs. Quelques nouveaux noms pourront dans l’avenir s’ajouter avec des recherches complémentaires, et peut-être grâce à votre aide.

Alexandre MALAQUI 
(équipe Muséfrem)

Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de nombreux contributeurs, notamment : François Caillou, Youri Carbonnier, Bernard Dompnier, Sylvie Granger, J.-F. « Maxou » Heintzen, Isabelle Langlois, Bastien Mailhot ainsi que Alain Bregiroux et Géraldine Thévenot … Qu’ils en soient ici remerciés. 
Septembre 2020

Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)

>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.

Les lieux de musique en 1790 dans la Creuse

Diocèse de Limoges

Diocèse de Clermont

Pour en savoir plus : indications bibliographiques

• • • Sources imprimées

  • Jean-Baptiste Alexis CHORLLON, Ecrits de Jean-Baptiste Alexis Chorllon : président au Présidial de la Haute-Marche au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2002, 370 p.
  • Jean-Joseph EXPILLY, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Paris, Desaint et Saillant, t. 4, 1766, 992 p.
  • Joseph LAVALLÉE, Voyage dans les départemens de la France ; enrichi de tableaux géographiques et d’estampes, Paris, Brion, Buisson, Desenne, L’Esclapart et les Directeurs de l’imprimerie du Cercle Social, 1792.
  • Joseph NADAUD, Pouillé historique du diocèse de Limoges, 1775, publié dans Louis DUCOURTIEUX, Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. 53, 1903, p. 5-800.
  • Jean-Baptiste NIVEAU, « Journal historique, 1760-1808 », Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze, t. 23, 1901, p. 576-590.
  • Émile PARINET, « Mémoires de Léonard Maritaud », Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. 24, 1928, p. 604-635.
  • Jean-Baptiste PLANTADIS, « Relation du transfert à Boussac d’une relique de saint Domnolet vers 1750 », in Louis DUVAL, Esquisses marchoises, Paris, Honoré Champion, 1879, p. 305-317.

• • • Sur l’histoire de la Creuse et de ses villes 

  • Fernand AUTORBE, « L’instruction primaire avant la Révolution », Mémoires de la Société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse [désormais MSSNAC], t. 6, 1890, p. 349-391.
  • Bernadette BARRIÈRE (dir.), Moines en Limousin, l’aventure cistercienne, Limoges, PULIM, 1998, 208 p.
  • Alain BLANCHARD, « Le réseau routier en Limousin à la veille de la Révolution : réalité et usage », in Robert Chanaud (dir.), Une histoire des circulations en Limousin. Hommes, idées et marchandises en mouvement de la Préhistoire à nos jours, Limoges, PULIM, 2015, p. 55-77.
  • Catherine et Jean CHAMPAGNAT, « La Révolution aux portes du couvent : Blessac, 1789-1790 », Les débuts de la période révolutionnaire dans la Creuse (1788-1791), Études creusoises IX, t. 43, 1988, p. 186-187.
  • Henri DELANNOY, « Notice sur l’abbaye de Bonlieu », MSSNAC, t. 18, 1911, p. 7-52.
  • Stéphane GOMIS, Les « enfants prêtres » des paroisses d’Auvergne, XVIIe-XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2006, 546 p.
  • Christophe JAMAIN, Le département de la Creuse : ses origines et sa pérennité, Limoges, PULIM, 2000, 256 p.
  • Jean JAMOT, Chambon-sur-Voueize à travers les âges, Ahun, éditions verso, 1995, 377 p.
  • Pascale JEUNIAUX, Les prêtres filleuls dans le diocèse de Limoges du XIIIe siècle à la Révolution, L’exemple des communautés marchoises, thèse de l’école des Chartes, 1984.
  • Pierre LANGLADE, Victor Adolphe MALTE-BRUN, La Creuse, album historique et pittoresque géographie, Histoire et administration, Guéret, éditions Verso, 1979, 265 p.
  • Alfred LEROUX, Documents historiques bas-latins, provençaux et français, concernant principalement la Marche et le Limousin, Limoges, Vve H. Ducourtieux, 1883-1885, 2 volumes, 356 et 380 p.
  • Annie MOULIN, Les maçons de la Creuse, les origines du mouvement, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 1994, 564 p.
  • Cyprien PERATHON, Histoire d’Aubusson, Limoges, Éd. Imprimerie et librairie limousine, 1886, 483 p.
  • Cyprien PERATHON, « Le chapitre de Saint-Martin d’Aubusson au XVIIIe siècle », MSSNAC, t. 17, 1909, p. 64-76.
  • Geneviève PARELON, Guéret à la fin de l’Ancien Régime, démographie et société, Limoges, PULIM, 2000, 371 p.
  • Louis PATAUX, Felletin, XVIIe et XVIIIe siècles, Limoges, Vve H. Ducourtieux, 1880, 399 p.
  • Louis PÉROUAS, Jean-Marie ALLARD, Histoire religieuse des Creusois, Guéret, Société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse, Études creusoises XIII, 1994, 165 p.
  • Louis PÉROUAS, « Les pénitents blancs d’Aubusson au XVIIe siècle, d’après leurs statuts : une forme neuve de religion (1613) », MSSNAC, 1978, p. 81 à 111.
  • Michel PEYNOT, La Combraille, Baronnie-Bailliage de Combraille, Prévôté d’Evaux, Prévôté de Chambon, abbaye de Bellaigue, Guéret, Lecante, 1931, 702 p.
  • Christian POITOU, Paroisses et Communes de France. Dictionnaire d’Histoire administrative et démographique : Creuse, Paris, CNRS éditions, 2000, 865 p.
  • Gilles ROSSIGNOL, Le Moutier-d’Ahun, Ahun et ses environs, Ahun, éditions Verso, 1993, 152 p.
  • Jean-Baptiste Louis ROY DE PIERREFITTE, Études historiques sur les monastères du Limousin & de la Marche, Volume 1, Guéret, Ve Betoulle, 1863.
  • Ambroise TARDIEU, Grand dictionnaire historique de la Haute-Marche, Editions de la tour Gile, 1894, 223 p.
  • Ferdinand VILLARD, Notes sur Guéret, tome II, Paris, Le livre d’histoire, 2005.

• • • Sur la musique et les musiciens en Creuse

  • Bastien MAILHOT, « L’itinérance chez les musiciens auvergnats en 1790 », in Bernard DOMPNIER (dir.), Les bas chœurs d'Auvergne et du Velay : le métier de musicien d’Église aux XVIIe et XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2010, p. 177-190.
  • Sylvain MARGOT, « Les manuscrits médiévaux notés des archives départementales de la Creuse », Archives en Limousin, n°46, 2016, p. 26-34.
  • Robert MARTIN, Orgues du Limousin, Inventaire national des orgues ; départements de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne, ASSECARM Limousin, Aix-en-Provence, Edisud, 1993, 319 p.
  • Benoît MICHEL, « La musique des cérémonies extraordinaires toulousaines d’après les relations de fêtes éditées dans cette ville aux XVIIe-XVIIIe siècles » in Bernard DOMPNIER (dir.), Les cérémonies extraordinaires du catholicisme baroque, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, p. 133-151.
  • Johannès PLANTADIS, Les traditions musicales du Limousin, des origines à la fin du XVIIIe siècle, Tulle, Impr. du Corrézien républicain, 1911, 67 p. (extrait du Bulletin de la Société des lettres sciences et arts de la Corrèze).
  • Pascal TEXIER, « Les trois âges de l’orgue en Limousin (XIVe-XVIIIe siècle) », Archives en Limousin, n°43, 2014, p. 34-35.
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