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Musique et musiciens d’Église dans le département de la VENDÉE autour de 1790
Lors de la publication des tout premiers résultats de l’enquête Muséfrem en 2005 (« Les Musiciens d’Église en 1790. Premier état d’une enquête sur un groupe professionnel », Annales historiques de la Révolution française, p. 57-82), la Vendée était classée parmi les départements possédant « 1 à 2 établissements en fonction ». La suite de l'enquête a permis de confirmer l'existence de ces deux établissements (la cathédrale de Luçon et la collégiale de Montaigu) et surtout d’étoffer le corpus de musiciens initialement identifiés.
I - Présentation du territoire
La création du département de la Vendée
« Jusqu'en 1789, le nom de la Vendée, qui est celui d'une petite rivière de quelques dizaines de kilomètres, affluent poitevin de la Sèvre niortaise, n'est connu que des habitants de ses rives » explique Jean-Clément Martin (La guerre de Vendée, 1793-1800, Paris, 2014, 347 pages). C’est en février 1790 que surgit le nom de la Vendée pour un département qui, à la suite de la loi du 22 décembre 1789, est d’abord provisoirement baptisé « département occidental du Poitou ». Afin de se démarquer de l’ancienne dénomination (Le Bas-Poitou) un débat est lancé pour choisir un nom définitif. On envisage d'abord « département des deux Lay », du nom des deux importantes rivières de cette région, Le Grand Lay et le Petit Lay, qui prennent leur source à l'est du département avant de se rejoindre dans la commune de Chantonnay pour enfin aller se jeter dans l'Océan Atlantique. Ce nom est rejeté de peur d'attirer les calembours quant à la « laideur » de ce département et de ses habitants. C'est donc le nom de Vendée qui est retenu, nom d'une rivière du sud du département, certes plus modeste mais qui a le mérite de n'appeler aucune moquerie.
••• De même que les Deux-Sèvres et la Vienne voisines, le nouveau département a été taillé dans le vaste territoire de l'ancien Poitou dont, avec une partie des Deux-Sèvres, il occupe la partie occidentale que l'on appelle le Bas-Poitou. Cette ancienne division du Poitou correspond approximativement à la Vendée de 1790 et à une partie ouest des Deux-Sèvres. La délimitation du sud du territoire se fait entre le Poitou et l'Aunis où l'occupation humaine était peu dense. Quelques paroisses de l’Aunis sont rattachées à la Vendée telle que l’Île-d'Elle. Au nord, la situation est différente. En effet il existe une zone de « marches » entre la Bretagne et le Poitou, constituée à partir du XVe siècle à la suite des rivalités entre Bretons, Poitevins et Angevins. Une quinzaine de paroisses, dites « marches communes de Poitou et de Bretagne », jouissaient de certains privilèges comme le droit d'envoyer leurs propres députés à la Constituante de 1790. Mais elles n'y obtinrent pas le droit de former un département autonome et furent réparties également entre la Loire-Inférieure (future Loire-Atlantique) et la Vendée. Certaines paroisses demandèrent leur rattachement à la Loire-Inférieure, comme Beauvoir, l'Isle Bouin ou même Noirmoutier, comme l'indique Jean Renard (La Vendée : un demi-siècle d'observation d'un géographe, 2004) en avançant leur éloignement par rapport à Fontenay-le-Comte ( ville choisie comme chef-lieu de la Vendée) et aussi les facilités de relations maritimes avec Nantes notamment. Elles ne furent cependant pas entendues. Ce partage difficile au nord explique les sinuosités des frontières septentrionales de la Vendée.
Pour ce qui est du découpage du territoire poitevin entre la Vendée et les Deux-Sèvres, au nord-est Montaigu et Palluau furent rattachées à la Vendée alors que les subdélégations de Mauléon (une partie) et de Thouars furent elles rattachées aux Deux-Sèvres. Au sud-est il a même fallu attendre août-septembre 1798 pour départager certaines communes entre l'arrondissement de Fontenay-le-Peuple (Benet et Damvix) et celui de Niort (Coulon et Arçais).
••• Le département de la Vendée comprend 6 districts et 58 cantons selon le décret du 26 février 1790. Les chefs lieux de ces districts sont Challans, La Châtaigneraie, Fontenay-le-Comte (bientôt rebaptisé Fontenay-le-Peuple), Montaigu, La Roche-sur-Yon et Les Sables d’Olonne. Cette liste offre une première idée du maillage urbain du territoire : sur ces six localités, seules Challans, Fontenay-le-Comte et Les Sables d'Olonne dépassent le chiffre de 2 500 habitants à la fin du XVIIIe siècle. Fontenay-le-Comte s'impose comme le chef-lieu du département nouveau. C'est là qu'est installé le siège de la préfecture de Vendée (elle y restera jusqu’à ce qu’un décret de 1804 ne la transfère à La Roche-sur-Yon) et c'est sans doute une des raisons qui poussent à donner finalement au département le nom de la rivière Vendée, qui passe par Fontenay-le-Comte, par ailleurs capitale du Bas-Poitou depuis le XIIIe siècle. À cet héritage historique s’ajoute son poids démographique qui la plaçait en tête des rares agglomérations bas-poitevines.
Le territoire de la Vendée entre plaine, marais et bocage
••• Au XVIIIe siècle marais, bocage et plaine coexistent dans le Bas-Poitou. Vers le sud-ouest du territoire le marais poitevin se subdivise lui-même en deux ensembles. Le marais dit « mouillé » dans les alentours de Fontenay, et le « desséché » près de Luçon. Le nord du nouveau département est pour sa part occupé par un bocage avec des champs clos, bordés de haies. Enfin la plaine s'étend du centre du territoire jusqu'à la mer sous forme de champs ouverts, sans clôtures.
Dans sa description de la région et de ses ressources (Nouvelle Géographie universelle, 1ère éd. fr., Paris, an VII, t. II, p. 80), William Guthrie indique que le bocage, très fertile en seigle, orge et sarrasin, offre aussi de « gras pâturages, où l'on nourrit beaucoup de bestiaux » dans un paysage de prairies, bois et plaines entrecoupées de haies bocagères. La zone du Marais est, elle, encore plus fertile, notamment en céréales, on y trouve aussi des troupeaux et de nombreuses salines. Les plaines cultivent le lin, qui y pousse facilement, et des vignes qui donnent « d'excellent vin, quoique mal cultivées ». La façade maritime fournit du poisson et d'autres richesses de la mer. Les surplus d'eau-de-vie et de légumes s'exportent à La Rochelle, le sel est transporté à Thouars ou à Châtillon dans le Poitou, et surtout à Poitiers ; les moutons, mulets et chevaux s'exportent à travers le Poitou. Mais le territoire du Bas-Poitou est surtout riche de son commerce des grains.
••• De nombreux canaux et des digues ont été mis en place pour assécher certaines zones notamment le bassin de la Sèvre Niortaise et de ses affluents, entre le Marais poitevin et la mer. Avec la présence d'autres rivières, telles que le Lay, la Vie ou l'Auzance, qui pour la plupart débouchent sur la mer, la région dispose d’un réseau de voies d'eau dynamiques permettant des échanges commerciaux rapides et amples avec les grands ports voisins comme La Rochelle ou Nantes et avec le reste du royaume. Ce réseau fluvial est complété par un réseau routier. Armel de Wismes (Histoire de la Vendée, 1975, p. 128) souligne toutefois le mauvais état de ce réseau : « Les routes y sont fort mauvaises, les chaussées, les ponts datant de très vieux âges, sont si mal entretenus ». Seuls quelques grands axes traversant le territoire vendéen ouvrent ce dernier sur l'extérieur : les quatre routes partant de Nantes vers Beaupréau, Les Sables d'Olonne, Saint-Gilles et La Rochelle, ainsi que celle qui relie Saumur et les Sables.
••• Peu urbanisé, le territoire vendéen ne comporte pas de grandes villes. S'appuyant sur différents mémoires des intendants au sujet de l'état du Poitou au XVIIIe siècle, J. Dehergne montre que Fontenay-le-Comte était la ville la plus peuplée du Bas-Poitou avec 5 600 habitants, juste devant les Sables d'Olonne, petite ville qui comptait environ 5 000 habitants. Luçon, siège épiscopal à partir du XIVe siècle, n'était peuplé que de 3 234 habitants en 1787.
Les cadres religieux
••• Deux diocèses avaient été érigés en 1317 par décision du pape Jean XXII sur des parties du territoire de l'ancien diocèse de Poitiers, dans le cadre d’une plus vaste opération de réorganisation des circonscriptions ecclésiastiques du sud de la France, qui se traduisit par la création de 16 nouveaux évêchés en 1317-1318. Les deux nouveaux sièges furent établis à Luçon et Maillezais, où les cathédrales se substituèrent à deux anciennes abbayes bénédictines, respectivement Sainte-Marie de Luçon et Saint-Pierre de Maillezais. Le découpage opéré dans le diocèse de Poitiers était très inégal. Autour de Luçon avait été constitué un ensemble cohérent, dont le chef-lieu semblait toutefois un peu excentré au sud-est. En revanche Maillezais se trouvait à la tête d’un ensemble territorial difforme coincé entre les diocèses de Luçon et de Poitiers. Ce diocèse avait du reste disparu quelques siècles plus tard, incorporé en 1648 dans celui de La Rochelle, lors de l’installation d’un évêché dans cette ville.
••• Le diocèse de Luçon, dont le premier évêque avait été l’ancien abbé Pierre Ier de La Veyrie (ou Petrus de La Veyrie, ou de La Voyère), survécut pour sa part jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, même si ce siège épiscopal pouvait être considéré, selon une phrase célèbre et souvent citée de Richelieu, qui en avait été nommé titulaire le 18 décembre 1606, comme « le plus crotté de France ».
À la veille de la Révolution, la majeure partie du futur territoire vendéen appartenait au diocèse de Luçon, mais le sud-est (autour de Fontenay-le-Comte) et le nord-est (autour de Saint-Laurent-sur-Sèvre) dépendaient du diocèse de La Rochelle. Environ 45 paroisses du Bas-Poitou qui dépendaient de La Rochelle furent incorporées au nouveau diocèse de Luçon quand les limites diocésaines furent calquées sur celles des départements à partir de 1790.
••• Le paysage religieux de 1789-1790 comprend très peu de puissantes églises. La principale reste la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption de Luçon, siège de l'évêché. L'enquête Muséfrem bénéficie de nombreuses sources et archives concernant cette cathédrale et ses musiciens autour de 1790. Aux nombreuses requêtes et démarches diverses de la part des musiciens durant les années 1790-1792, trouvées dans la sous-série DXIX des Archives nationales, on peut ajouter les documents conservés en série L aux archives départementales de la Vendée, ainsi que les registres paroissiaux et d'état civil aujourd’hui mis en ligne. Les archives ecclésiastiques, en revanche, se sont révélées assez pauvres, du moins pour celles conservées aux archives départementales (série G). Dans le reste du département on retrouve principalement des églises paroissiales. Pour sa part, La France ecclésiastique de 1790 ne recense pour le diocèse de Luçon que deux chapitres, celui de la cathédrale de Luçon et celui de la collégiale de Montaigu.
Il n’y avait pas d’importantes abbayes dans le territoire, mais seulement quelques prieurés bénédictins, qui apparemment n’employaient pas de musiciens.
II - La vie musicale à Luçon à la fin de l'Ancien Régime
Luçon, petite ville vendéenne, chef-lieu de l'évêché
••• « Ville épiscopale située en Bas-Poitou, à sept lieues de La Rochelle, à vingt de Nantes, à quatre-vingt-quinze de Paris et à deux lieues de l'Océan » : ainsi Jacques-Antoine Dulaure situait-il Luçon en 1789 (Description des principaux lieux de France. Tome 4, Poitou, Paris, Lejay, 1789, p. 34). Plus précisément, Luçon est à la jonction de la plaine calcaire et du Marais poitevin, entre le « marais mouillé » et le « marais desséché », donc entre deux sortes de paysage. Du sud à l'ouest les marais desséchés sont bien cultivés, bordés de bois et de broussailles ; mais au sud et au sud-est les marais mouillés sont presque toute l'année humides et les inondations y sont fréquentes. Dans son ouvrage Statistique ou description générale du département de la Vendée (Fontenay-le-Comte, 1884, XVI, p. 402), Cavoleau assure que l'activité de la ville de Luçon était principalement agricole. Le canal qui traverse la ville offrait un débouché maritime aux productions locales.
« La ville de Luçon située dans une plaine marécageuse est petite » écrit Jacques-Antoine Dulaure en 1789. Que faut-il entendre au juste par « petite » ? Les chiffres de la population luçonnaise à la fin de l’Ancien Régime ont fait l’objet de discussions. J. Dehergne, à partir des mémoires des intendants du XVIIIe siècle, estime que la ville de Luçon comprend 3 234 habitants en 1787, alors que l’État topographique de la ville de Luçon
et de ses environs en 1789 de P. Bouquet donne 2 800 habitants en 1788 ; J.-A. Dulaure, estime, quant à lui, que Luçon compte en tout 4 à 5 000 habitants (Description des principaux lieux de France, ouvrage cité, p. 34). À défaut d’un chiffre précis, on peut estimer que la ville avoisine les 3 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle, ce qui fait effectivement de Luçon une petite ville. J.-A. Dulaure dénombre cinquante ou soixante maisons de noblesse, un petit nombre de bourgeois, quelques marchands et beaucoup d'ouvriers ou manœuvres. On note également la présence de « trois maisons religieuses » : les Capucins, les Ursulines et les Dames de l'Union Chrétienne.
••• Sous l'Ancien Régime, Luçon a peu de fonctions administratives : ni siège d'une sénéchaussée, ni siège d'une élection, la ville accueille seulement un Bureau des aides, souligne Philippe Praud. Sa notoriété vient surtout de la fonction religieuse qu’elle occupe avec la présence d’un siège épiscopal depuis 1317. La cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption, au centre de la ville, est « d'une belle construction gothique ». L'état de la documentation conservée en fait le seul lieu musical avéré de la ville de Luçon, qui ne compte par ailleurs qu'une seule église paroissiale selon J.-A. Dulaure, l'église Saint-Mathurin, située à l’extrémité nord de la ville et dépourvue semble-t-il, dans l’état actuel de nos connaissances, d’un corps de musique.
La cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption
Premier édifice religieux de la ville, la cathédrale, imposante, mesure 85 m de hauteur. Sa façade date de l'époque de Louis XIV, la flèche que l'on peut observer aujourd'hui a été érigée, quant à elle, en 1828. Le chapitre de Luçon n’a été sécularisé qu'un siècle et demi après la création du diocèse, le 12 janvier 1469, par une bulle du pape Paul II. Dans La Vendée des origines à nos jours (Georges Aubin (dir.), voir bibliographie) le chapitre de Luçon est décrit comme « le plus riche seigneur du Bas-Poitou au regard de ses 130 000 livres de revenu annuel en 1789 ». Et un document des archives départementales de la Vendée indique qu’en 1789 le temporel du chapitre de Luçon lui rapporte plus de 100 000 livres par an, sans compter les blés.
••• C'est dans cette structure que l'on retrouve le plus de musiciens de tout le territoire de la future Vendée. La France ecclésiastique pour l'année 1790 attribue à la cathédrale un chapitre de 33 chanoines et un bas-chœur comptant six chanoines hebdomadiers, quatre officiers et « un corps de musique », sans plus de précisions. Les archives du Comité ecclésiastique et surtout les registres capitulaires retrouvés aux archives diocésaines de Luçon ont permis de bien reconstituer ce corps de musique vers 1790. Il est alors composé de neuf chantres et instrumentistes (un organiste, un basson et un serpent), un maître de psallette et six enfants de chœur. D'après les notes de l'abbé Prim (1906-2002) conservées aux archives départementales de la Vendée, la cathédrale de Luçon possèderait un orgue depuis le XIVe siècle.
Les fonctions musicales sont donc assurées par ce corps de musique composé du maître de musique, ou maître de la psallette, Michel Claude SIROL, en poste depuis la Saint-Jean 1787, chargé de l'enseignement de la musique aux enfants de chœur. Il a succédé à Jean-Baptiste LEBRASSE devenu prêtre hebdomadier qui avait probablement lui-même pris la succession d'André-Bonaventure VOUILMAIN. L’enquête Muséfrem a permis d’identifier les six enfants de chœur de 1790 : Victor BROUSSEAU, Jacques GUINOT, Jean-Baptiste PILORGET, fils d'un ancien musicien de la cathédrale récemment décédé, François THIBAUDEAU, Louis PONSIN et Pierre-Henry SIROL, respectivement neveu et fils du maître de musique. Le corps de musique comprend neuf chantres et musiciens dont quatre choristes basse-contre, Jean-Louis-Emmanuel HUET, Jean-Baptiste HERBULOT, Louis-Simon HILARIOT et Claude VILNET, un choriste haute-taille, Antoine REY et enfin Pierre ROBIN, un choriste récemment recruté dont on ignore la tessiture (probablement haute contre puisqu'il semble avoir remplacé Denis PILORGET, disparu le 7 décembre 1788). Le chapitre comptait aussi trois instrumentistes : le basson Pierre DELESTRE, le serpent Jacques-René CORNAU et l'organiste Pierre ROSSIGNOL. Ce dernier officiait sur l'orgue offert à la cathédrale en 1703 par Mgr de Lescure, évêque de Luçon.
••• Les membres du corps de musique sont âgés de 27 à 64 ans. Avec ses 64 ans, Claude VILNET est le doyen des musiciens, ce qui lui vaut d'être mentionné en tête dans les tableaux récapitulatifs et de signer le premier les courriers adressés collectivement au Comité ecclésiastique. C'est aussi lui qui a le plus long temps de service avec 34 ans de présence à la cathédrale. Viennent après lui Michel Claude SIROL (52 ans en 1790) qui appartient au bas chœur depuis 33 ans, ou encore Pierre ROSSIGNOL (46 ans) depuis 28 ans. Les plus jeunes ont logiquement des durées de service plus courtes dans cette cathédrale : moins de quatre ans pour Jean-Louis-Emmanuel HUET (28 ans), à peine deux ans pour Pierre ROBIN, moins encore pour Jean-Baptiste HERBULOT (27 ans). Cette brièveté explique que ces derniers soient les seuls à ne pas bénéficier d’un titre « ad vitam », qui assure aux musiciens que, même si l'âge les rend incapables de tenir leur emploi, ils continueront de percevoir un revenu annuel de l’ordre de 400 ou 500 livres tournois, système destiné à favoriser leur sédentarisation. On peut d’ailleurs observer que, en réponse à leurs demandes de pension, les musiciens nantis d’un titre ad vitam se virent attribuer entre 400 et 500 livres de pension par le Comité ecclésiastique.
Les « gages et appointements » perçus avant 1790 diffèrent selon les musiciens : 500 livres par an pour le basson DELESTRE qui semble servir à temps partiel au début, puis qui est augmenté à 600 livres par an dès 1782. Le serpent CORNEAU est lui aussi payé 600 livres par an et l'organiste ROSSIGNOL 720 livres. Cette somme est également celle que perçoivent le maître de la psallette et les quatre choristes basse-contre, même les jeunes HUET et HERBULOT. Pour les enfants de chœur, le chapitre versait 600 livres à chaque enfant à sa sortie pour lui permettre d'apprendre un métier. À la suppression du chapitre, le département propose d’accorder 1 500 livres à répartir entre les enfants de chœur, en fonction de leur âge et de leur ancienneté, pour payer leur apprentissage. Ils ont alors entre 13 et 16 ans, sauf Jean-Baptiste PILORGET âgé de 10 ans, et François THIBAUDEAU de 9 ans. Selon un « Tableau récapitulatif des musiciens d’Église officiant dans les cathédrales, collégiales et monastères du département de la Vendée » envoyé au Comité ecclésiastique, ce dernier serait présent depuis quatre ans, ce qui l'aurait fait entrer à la psallette à l'âge de 5 ans. Or le registre capitulaire montre qu'il n'a été reçu en réalité en octobre 1788. On voit là avec quelle approximation le tableau a été rempli (ce que laissait déjà soupçonner l'âge précoce de réception auquel on aboutissait). Peut-être sa durée de service a-t-elle été sciemment majorée dans l'espoir de lui faire obtenir une meilleure gratification. Dans sa supplique adressée au Comité ecclésiastique le 9 mai 1791, le maître de musique Michel-Claude SIROL plaide pour les six enfants de chœur de Luçon, « presque tous orphelins, errants sur les pavés de Luçon, mandiant pour ainsi dire leur pain, et qui attendent une gratification. » Pour ceux de ces enfants de chœur dont on connaît l'avenir professionnel, on constate qu’ils exercent après la Révolution un métier qui a peu de rapport avec ce qu’ils avaient commencé à apprendre durant leurs années de maîtrise. Ainsi Louis-Joseph PONSIN devient-il perruquier ou Jean-Baptiste PILORGET fabriquant de papier-peint.
La plupart des musiciens changent aussi de métier, comme HILARIOT devenu conducteur en chef des Ponts & Chaussées (puis, ultérieurement, maître d'école) ou DELESTRE devenu instituteur. Certains ont continué à exercer comme musiciens pendant un temps, à l’époque du culte de la Raison, comme ROSSIGNOL, devenu ensuite juge de paix.
III - Ailleurs dans le département : une collégiale et quelques chantres de villages
••• La collégiale Saint-Maurice de Montaigu : deuxième lieu de musique vendéen
Montaigu est une petite ville du nord du Bas-Poitou située presque à la limite de la province de Bretagne, près des Marches qui séparent ces deux provinces. Cette région se caractérise par son paysage bocager de champs clos par des haies, et de fermes isolées. Bien que sa population s’élève au plus à 1000 habitants à la fin du XVIIIe siècle, la ville de Montaigu peut être tenue pour l’un des centres les plus importants du nord du département, en raison notamment de sa fonction administrative. Un autre atout de la ville est son hôpital, qui attire des gens des paroisses voisines mais accueille aussi des personnes domiciliées à de plus grandes distances, si l'on se fie à ses registres de sépulture.
Montaigu, centre de formation de l'âme et de l'esprit dispose aussi d’établissements dédiés à la formation, notamment le pensionnat des religieuses fontevristes de Notre-Dame de Saint-Sauveur réservé aux filles de la haute bourgeoisie et de la noblesse. En revanche l'activité économique reste faible en dehors de la foire annuelle. Par les services qu'elle offre et sa localisation, Montaigu est un lieu de passage fréquent, un lien entre territoires, un carrefour entre la Bretagne et le Bas-Poitou.
Dans La France ecclésiastique de 1790 il n'est fait mention d'aucun musicien à Montaigu. C'est le travail de Florent Brochard sur le Chapitre collégial Saint-Maurice de Montaigu au XVIIIe siècle (2001), qui permet d’approcher la pratique musicale de cette institution. Des trois « maisons canoniales » du chapitre édifiées à l'époque, celle dite « la sous-chantrerie » est la seule existant encore aujourd’hui.
Le chapitre dispose d’un bas chœur, à l’effectif très réduit il est vrai, comprenant des choristes mais sans doute pas d'instrumentistes, compte tenu de la taille du chapitre et de ses moyens. F. Brochard a trouvé mention de deux choristes ou « chantres » en 1769, lors de la sépulture d'une femme au cimetière de l'hôpital, qui a lieu « en présence de François Pavageau de Saint Jean de Montaigu et de François Brochard de Saint Jacques de Montaigu tous deux chantres de Saint-
Maurice ». Par ailleurs, l’acte de sépulture de Jean GABORIEAU, qui meurt en 1775 à l’âge de 16 ans, le désigne comme « coriste de l'église collégiale et Chapitre de Saint-Maurice de Montaigu », ce qui suggère qu’il pourrait s’agir d’un grand enfant de chœur. Florent Brochard a également relevé une mention de deux enfants de chœur de la collégiale Saint-Maurice qui signent un acte de sépulture en 1720. Aucune mention d'enfants de chœur n'a été retrouvée à une date plus proche de 1790, mais on peut raisonnablement penser que le chapitre continua à en recruter, quoique l’enquête n’ait pas (jusqu'alors) permis de retrouver ceux qui étaient en fonction en 1790.
••• Les régents d’école chantres des paroisses poitevines
Dans le reste du département on rencontre plusieurs cas intéressants de maîtres d’école – ici appelés régents d’école – qui sont en même temps chantres de leur paroisse, et parfois – exceptionnellement – organistes.
Ainsi, on retrouve deux chantres-régents et organistes à Saint-Jean-de-Monts : Christophe Jérôme SIMON et Gilles-Charles PITAUD, qui prend sa suite. À Mouzeuil-Saint-Martin, Jean GAUVIN est chantre et régent d'école de la paroisse. De même que Pierre Marie ROUSSEAU, attesté chantre à l'église Saint-Hilaire et régent à Talmont-Saint-Hilaire en 1791 puis, à une dizaine de kilomètres, à Jard-sur-Mer vers 1792 dans l'église Sainte-Radegonde ; à Noirmoutier, Jacques COMMAILLEAU est chantre dans l'église Saint-Philbert, et régent à la suite d'André Joachim ALLARD, qui lui-même avait pris la suite de son père André Nicolas ALLARD. La famille ALLARD semble être très active dans les églises des paroisses voisines de Notre-Dame-de-Monts, Barbâtre et Noirmoutier-en-l'île. À Vix, village situé à une trentaine de km de Luçon, le poste de chantre-régent se transmet de père en fils de Pierre PAGEAUD à son fils André PAGEAUD. Et ce ne sont là que quelques cas émergés des sources.
• • •
Au total, ce sont plus d'une trentaine de musiciens ou chantres, répartis dans une petite dizaine de localités, principalement à Luçon, qui ont été repérés lors de l'enquête Muséfrem sur ce territoire aux modestes richesses musicales. Il est probable que d’autres musiciens ou chantres existaient dans bien d’autres églises, et en particulier dans les paroisses importantes de Fontenay-le-Comte, Challans, les Sables d’Olonne, et quelques autres.
Toute personne qui serait susceptible d'avoir des informations sur la vie musicale de ce territoire et qui souhaiterait les partager est la bienvenue. Muséfrem est un travail collectif et participatif. Merci d'avance.
Emma JARRI
(Master 1, Le Mans-Université), octobre 2017
Mise à jour : Sylvie GRANGER, chercheuse associée au Laboratoire TEMOS (TEmps, MOnde, Sociétés) UMR 9016 CNRS,
15 novembre 2019
Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de, notamment : David Audibert, Jean-Marie Auradou, Bernard Dompnier, Mathieu Gaillard, Sylvie Granger, Isabelle Langlois, Christophe Maillard, Charlotte Menanteau, Michel Meunier...
Merci à Agnès Piollet pour son aimable accueil aux archives diocésaines de Luçon.
Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne)
MERCI à tous.
>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions chaleureusement à l’avance.L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.
Les lieux de musique en 1790 dans la Vendée
Les lieux de musique documentés pour 1790 dans le département sont présentés par diocèses et par catégories d’établissements : cathédrale, collégiales, abbayes, monastères et couvents, autres établissements, paroisses (ces dernières selon l’ordre alphabétique de la localité au sein de chaque diocèse).
Diocèse de Luçon
- Cathédrale
- Collégiale
- MONTAIGU, collégiale Saint-Maurice
- Paroisses
- MOUZEUIL-SAINT-MARTIN, église paroissiale Sainte-Trinité
- NOIRMOUTIER-EN-L’ILE, église paroissiale Saint-Philbert
- NOTRE-DAME-DE-MONTS, église paroissiale Notre-Dame-de-L’Ascension
- SAINT-JEAN-DE-MONTS, église paroissiale Saint-Jean-Baptiste
- TALMONT-SAINT-HILAIRE, église paroissiale Saint-Hilaire
- VIX, église paroissiale Notre-Dame de l’Assomption
Pour en savoir plus : pistes bibliographiques
-> Aucune des villes de Vendée n’avait retenu l’attention de François LESURE dans son Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999, 367 pages.
- Georges AUBIN (dir.), La Vendée, des origines à nos jours, Saint-Jean-d'Angély, Bordessoules, 1982, 471 pages.
- Yves BLOMME, La cathédrale Notre-Dame de Luçon, dans Congrès archéologique de France. 151e session. Vendée. 1993, Société Française d'Archéologie, Paris, 1996, p. 69-80.
- Yves BLOMME, Poitou gothique, Paris, Picard, 1993, p. 183-191.
- Georges BORDONOVE, Histoire du Poitou, Paris, Hachette, 1973, 324 pages.
- Georges BORDONOVE, La Vie quotidienne en Vendée pendant la Révolution, Paris, Hachette, 1974, 261 pages.
- Florian BROCHARD, Le Chapitre collégial Saint-Maurice de Montaigu au XVIIIe siècle, Institut catholique d’Études Supérieures, La Roche-sur-Yon, 2001, 163 pages.
- J.A. CAVOLEAU, Statistique ou description générale du département de la Vendée, annotée et augmentée par A.D. de LA FONTENELLE DE VAUDORE, Fontenay-le-Comte, 1844, XVI, 944 pages.
- Joseph DEHERGNE, Le Bas-Poitou à la veille de la Révolution, Paris, Picard, 1963, 317 pages.
- Abbé Louis DELHOMMEAU, Orgues et organistes de la cathédrale de Luçon, Luçon, S. Pacteau, 1967, 39 pages.
- Abbé Louis DELHOMMEAU, Documents pour l'histoire de l'évêché de Luçon, 1317-1801, La Roche-sur-Yon, 1980, 222 pages.
- Jacques-Antoine DULAURE, Description des principaux lieux de France. Tome 4, Poitou, Paris, Lejay, 1789, 391 pages.
- Christophe MAILLARD, « Musique et musiciens d’Église à Tours à la fin de l’Ancien Régime », Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, tome LXI, 2015, p. 207 à 216.
- Jean-Clément MARTIN, La Vendée et la France, Paris, Seuil, 1987, 403 pages.
- Jean-Clément MARTIN, Blancs et Bleus dans la Vendée déchirée, Paris, Gallimard, 2008, 160 pages.
- Philippe PRAUD, Le chapitre cathédral de Luçon au XVIIIe siècle, son organisation économique, Luçon patrimoine Éditions, 1998, 187 pages.
- Jean RENARD, La Vendée : un demi-siècle d'observation d'un géographe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, 308 pages.
Site internet :
- Dictionnaire toponymique de Vendée, http://www.toponymes-archives.vendee.fr/
- Sur Jean-Louis Emmanuel HUET : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Louis_Emmanuel_Huet,_dit_Huet_de_Tostes
Bibliographie élaborée par Emma Jarri
(octobre 2017)
Mise à jour : 25 avril 2018