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Musique et musiciens d’Église dans le département de l’ESSONNE autour de 1790
Comme le Val-d’Oise et les Yvelines, l’Essonne est un jeune département, créé en 1964 à partir de l’ancien département de Seine-et-Oise. Son ressort de 1 804 km² correspond approximativement à ceux des anciens districts de Corbeil, Dourdan et Étampes établis en 1790. Comme dans le Val-d’Oise, la dispersion des sources est une difficulté à laquelle tout chercheur est confronté. Trois dépôts doivent être visités : celui des Archives départementales des Yvelines où se trouvent les papiers relatifs à l’administration de l’ancien département de Seine-et-Oise (Directoire) ; celui des Archives départementales de l’Essonne, installées depuis 1999 dans les communs du château de Chamarande, presque au centre géographique du département ; on peut y consulter les archives des districts, mais aussi les séries ecclésiastiques G et H qui se révèlent précieuses en dépit des pertes ; et enfin, les Archives diocésaines d’Évry-Corbeil-Essonnes, conservées dans les sous-sols de la cathédrale de la Résurrection Saint-Corbinien d’Évry, élevée entre 1992 et 1995, qui contiennent de très nombreux comptes et délibérations de fabriques paroissiales.
I - QUATRE « PAYS » ET TROIS DIOCÈSES
Une zone située dans l’orbite parisienne marquée par un enchevêtrement de frontières administratives
Le lundi 4 mars 1776, les « Annonces, affiches et avis divers » publiés à Paris informent d’« une place de Maître des Enfans de chœur vacante à Notre-Dame d’Etampes. On s’adressera au sieur Roy, Marchand, quai de Gêvres, à l’Etoile d’or ».
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la région est déjà fortement ancrée dans l’aire d’influence parisienne. La capitale (650 000 habitants environ), qui est à moins d’une trentaine de kilomètres des paroisses les plus septentrionales de l’actuelle Essonne, aspire les forces vives des alentours et des petites villes comme Corbeil et Étampes, qui ont largement décliné depuis le « beau XVIe siècle ». Les ravages de la Fronde expliquent en partie la perte d’attractivité d’une région perçue alors de plus en plus comme une zone de passage.
En 1519, on a donné le nom d’Île-de-France au gouvernement créé au XVe siècle et qui englobait les régions entourant Paris dont la majeure partie de la future Essonne. Financièrement, l’élection de Paris domine, même si Orléans a conservé la région de Dourdan dans son ressort. En matière fiscale, les habitants demeurent en pays de taille personnelle et de grande gabelle et relèvent de la cour des aides et de la chambre des comptes de Paris. Dans le domaine judiciaire, le parlement de Paris est souverain car aucun présidial n’est établi sur ce territoire malgré l’existence de bailliages à Étampes et Corbeil. Enfin, plusieurs coutumes (Paris, Melun…) y sont en usage : un habitant de la petite localité de Milly-la-Forêt demeure ainsi dans « le Gâtinois françois, diocèse de Sens, parlement & intendance de Paris, élection de Melun ».
Un département, quatre « pays »
L’Essonne est partagée entre quatre régions naturelles : la Brie dans le quart nord-est, le Hurepoix dans une vaste portion occidentale, le Gâtinais dans le quart sud-est, et la Beauce dans la bordure méridionale surtout.
• • • La Brie (en réalité partie occidentale de la « Brie Françoise ») consiste en un « plateau du bas » qui culmine à 80 mètres, entaillé par cinq cours d’eau, en premier lieu la Seine mais aussi l’Essonne dont les versants sont occupés par l’habitat rural, les maisons des champs des élites parisiennes et la vigne. De ce fait, c’est une région de transit accessible aux musiciens rapidement et pour un coût relativement faible par coche d’eau, entre les quais parisiens de Saint-Paul et de la Tournelle et Corbeil, même s’il leur faut payer une livre 10 sols et patienter quatre heures à bord. Cette dernière localité voit aussi passer les carrosses et diligences allant de Paris à Moulins, ainsi que ceux qui gagnent Fontainebleau avant de continuer vers la Bourgogne et le Lyonnais. Grâce à cette accessibilité, de nombreux Parisiens fortunés ont fait bâtir des demeures d’agrément le long des rives, comme à Évry-sur-Seine dont le paysage est décrit en 1779 comme étant « fort agréable & très diversifié quoiqu’il n’y ait pas tant de vigne que dans d’autres villages, dont le sol est plus chaud. En y venant par eau, on voit un grand nombre de châteaux & de très belles Maisons de campagne ». Située à sept lieues de Paris (33 kilomètres environ), la ville principale de Corbeil (3 000 habitants en 1793), dont la partie occidentale se trouve en Hurepoix, vit à la fois du commerce des « peaux de buffle et autres cuirs » grâce aux tanneries établies sur la Juigne, de la pêche et des manufactures de toile peinte. Depuis 1772, la localité a été choisie par le pouvoir pour devenir l’entrepôt principal des grains et farines destinés à la capitale. Les boulangers parisiens viennent s’y approvisionner par charrois. Quant au vin produit ici par tout un peuple de petits vignerons propriétaires, comme ailleurs dans le ressort de l’actuel département, il n’est plus depuis longtemps de très bonne qualité, on le consomme surtout sur place. Enfin, Corbeil accueille deux foires par an et deux marchés par semaine.
• • • Le Hurepoix est présenté à cette époque comme une riche terre agricole qui nourrit Paris grâce à ses champs de blé, ses pâturages, ses zones maraîchères, son vignoble situés sur les versants et les plateaux entaillés profondément par les vallées de l’Yvette, de l’Orge et de la Bièvre. Le Hurepoix est une des trois zones de concentration de richesse fiscale de l’Île-de-France mises au jour par Jean-Marc Moriceau dans son étude sur les grands fermiers : sur les plateaux de Saclay, Paray et Wissous, nombre de cotes fiscales sont supérieures à 750 livres (bien loin toutefois des 2 000 livres mentionnées dans la région de Gonesse au nord de Paris). En bordure occidentale, la belle et vaste forêt de Dourdan (1 300 hectares), reliquat de l’immense forêt d’Orléans, fait partie du domaine royal, ce qui explique la fréquentation de cette région par la Cour et le nombre de châteaux et de gentilhommières comme en ont fait bâtir sous Louis XIII les Lamoignon à Baville dans l’actuelle commune de Saint-Chéron. Au cours des séjours dans leur château, la vie continue et parfois s’arrête, comme en septembre 1789 à Marolles-en-Hurepoix, lorsque meurt chez le prince de Robecq, seigneur de la paroisse, la duchesse d’Estissac, veuve de Louis Armand François de La Rochefoucauld, grand-maître de la garde-robe du Roi, en présence du duc de Liancourt, député aux États généraux et de l’archevêque de Lyon, Mgr Yves Alexandre de Marbeuf.
La capitale du Hurepoix est la petite ville de Dourdan (2 800 habitants en 1793), encore enserrée dans ses remparts. Elle possède un bailliage, une élection, une prévôté, une maîtrise des eaux et forêts, deux paroisses, un couvent de religieuses, deux prieurés, un hôpital. On y « fabrique des bas de laine, de fil, de soie au métier et à l’aiguille, plus estimés et moins chers que ceux de Paris » (1804), mais aussi de l’étamine et des chapeaux ; on y trouve une manufacture de coton. Enfin, des marchés à blé réputés s’y tiennent.
• • • Le Gâtinais n’est en territoire d’Essonne que le prolongement occidental d’une région bien plus étendue qui englobe les villes de Sens, Provins, Melun et Montargis. Cette région aux reliefs plus doux et boisés s’intègre à la vaste plaine de Beauce, où triomphe l’openfield à perte de vue. La ville alors la plus peuplée de ce qui deviendra l’Essonne est Étampes. En 1793, elle compte aux alentours de 7 500 habitants et se trouve sur le grand chemin de Paris à Orléans, parsemé de relais de poste (Étréchy, Monnerville…) et d’auberges, seul axe praticable dans la région. Arthur Young, qui l’emprunta en 1787, le qualifie néanmoins de « désert comparé avec les routes qui avoisinent Londres ». Ces immenses paysages sans obstacle ne sont pas non plus à sa convenance : « c’est universellement plat, sans clôtures, sans intérêt et même fastidieux, bien que partout l’on aperçoive de petites villes et des villages ». Il ajoute que, si le sol est excellent, partout on met en jachère. Pourtant, 80 à 90% des finages sont constitués de terres labourables et le marché du samedi à Étampes, autre grand grenier à blé de la capitale, est fort actif puisque dans un rayon de 30 kilomètres et même depuis Châteaudun, on vient y vendre surtout du froment mais aussi du méteil, du seigle et de l’orge. On y achète aussi des moutons pour leur viande et pour leur laine, en lien avec un artisanat rural de fabrication de bas, surtout délégué aux femmes. Étampes possède aussi, grâce à la Juigne, des tanneries et des moulins qui tournent pour moudre les grains et produire de la pâte à papier. Si de nombreux rentiers vivent grâce aux revenus de ces fertiles espaces, l’essentiel du produit est prélevé par les propriétaires parisiens ou de la région, qu’ils soient nobles, bourgeois ou ecclésiastiques ; ainsi de nombreux chapitres, couvents et abbayes, tels le chapitre Notre-Dame de Paris ou les Célestins de Marcoussis, possèdent des granges dans le Gâtinais. Deux des cinq paroisses d’Étampes, situées dans la ville haute, accueillent l’essentiel des notables de la cité : on y trouve le subdélégué de l’Intendant, les gens du bailliage, de l’élection et du grenier à sel. À la lecture des registres paroissiaux, l’attractivité orléanaise se devine, en 1790, dans les paroisses qui bordent le département du Loiret.
Un territoire partagé entre trois diocèses
Sous l’Ancien Régime, il n’existait pas de cathédrale dans les limites de l’actuelle Essonne. Le département était partagé entre trois diocèses : celui de Paris dans toute la moitié nord, celui de Sens au sud-est, et enfin celui de Chartres qui englobe une trentaine de paroisses au sud-ouest. Les usages liturgiques varient par conséquent entre ces trois espaces. Ainsi la collégiale de Milly-la-Forêt détient en 1790 « 6 volumes in-f° dont un antiphonier, graduels du même format ; 6 processionnaux grand in-4° ; 4 volumes des morts même format ; 5 missels ; le tout à l’usage de Sens et suivant le nouveau bréviaire ».
II - LA VIE MUSICALE DANS LA FUTURE ESSONNE À LA FIN DE L'ANCIEN RÉGIME
Dans un mémoire adressé à l’Académie royale de Médecine, Claude Boncerf écrit en 1788, à propos de la ville d’Étampes, que ses habitants sont « gais, polis, d’un bon caractère, serviables, jaloux les uns des autres, satiriques mais nullement vindicatifs ; ils sont susceptibles de sciences, prompts à la répartie avec sagacité, mais ils sont enclins à l’indolence ; ils aiment les armes, la musique, la danse ; de manière que la gaieté paraît leur élément ».
Si les registres paroissiaux révèlent parfois la présence de musiciens qui ne sont pas au service de l’Église sur le territoire de l’actuelle Essonne, ce dernier est loin d’apparaître comme une « terre promise » du point de vue musical. On peut toutefois évoquer quelques exemples de maîtres de musique et de danse, comme Étienne Chéron HOYAU qui exerce à Étampes, ou de musiciens retirés comme Nicolas René JOLIVEAU DE SEGRAIS, « pensionnaire de l’Académie royale de Musique » de Paris, qui meurt dans le cloître Saint-Spire de Corbeil en août 1790. Par ailleurs, il est parfois fait mention de musiciens parisiens dont les enfants ont été placés en nourrice dans les paroisses de la moitié septentrionale du département, comme ce 8 juillet 1790, où on met en terre dans la paroisse Notre-Dame de Verrières-le-Buisson le fils âgé de 17 mois de Charles Henry PLANTADE, qualifié alors de « bourgeois de Paris », ou aussi de musiciens qui se marient à la saison où les élites séjournent à la campagne. En octobre 1781, au château de Janvry, Nicolas Thomas SUBRAIN [de SAINTE-MARIE], convole avec une parente de François-Adrien Boieldieu, futur compositeur de La Dame Blanche. Un demi-siècle plus tôt, l’un des futurs organistes de Notre-Dame de Paris, René DROUARD DE BOUSSET, s’était marié à Soisy-sur-Seine.
Musiciens et musique dans les églises relevant du diocèse de Paris
• • • La collégiale Saint-Spire de Corbeil a été fondée au Xe siècle par un puissant seigneur local qui s’était emparé de force des reliques de deux saints évêques de Bayeux placées à l’abri dans la région au moment des raids normands, dont celles de saint Exupère, qui avec le temps fut dénommé Spire ; son culte reste très vivace au siècle des Lumières. D’abord établissement monastique Saint-Spire fut sécularisé mais un abbé commendataire reste fictivement à la tête de cet établissement de neuf chanoines et six chapelains en 1790 (d’après « l’Etat de la France… », 1752, cité encore par Expilly en 1764). En 1491, la prébende cantorale a été « appliquée à un maître et six enfants de chœur ». En 1781, le chapitre perçoit 3 509 livres de revenus pour 1 886 livres de dépenses. À l’intérieur de l’édifice, la chapelle Saint-Martin accueille le culte paroissial. Les habitants du quartier évoquent le cloître Saint-Spire parce qu’un grand et beau portail en pierre ferme l’une des rues circonvoisines.
Au moment de la suppression du chapitre, un organiste et un serpent jouent de leur instrument pour soutenir la voix du chantre qui assure aussi les fonctions de maître de quatre enfants de chœur ; c’est apparemment une place peu attractive à voir le nombre de maîtres qui s’y succèdent au XVIIIe siècle, souvent des maîtres d’école. Lors des grandes fêtes comme celle de la Saint-Spire (1er août), des chantres ou des serpents « étrangers » sont rémunérés. En 1785, lors de la neuvaine précédant la fête de Noël, le chapitre paie plus de 70 livres à tous les intervenants (célébrant, gardiens de la sacristie et des châsses contenant les corps saints, hallebardiers, huissiers et autres cavaliers de la maréchaussée recrutés pour assurer l’ordre et la sécurité, quêteuses, porte-voix lors de la procession au Tremblay et à deux chantres étrangers qui se partagent la somme de six livres). Les chantres sont assis sur leur banquette au chœur et environnés des livres de chant et de prières en usage (cinq antiphonaires, cinq gros graduels, six psautiers, six gros missels parisiens, trois épistoliers, huit processionnaux, huit « missels pour les morts »).
L’organiste de Saint-Spire est l’un des rares musiciens du corpus départemental dont la notoriété dépasse le cadre local, il s’agit de Jean-Baptiste MAUZAISSE ; son nom est souvent déformé dans les sources (Mauzaire, Mosais…). Il touche un orgue déjà ancien puisque la décision du chapitre de le faire construire remonte à 1656. Cet orgue était « divisé en deux buffets, sçavoir un positif et un autre corps de grandeur convenable à la dicte église », selon le marché signé par un facteur parisien, Guy-Jolly ; le menuisier du roi, Germain Pilon, est chargé du buffet mais c’est un autre menuisier parisien, Nicolas Rimbert, qui achève le travail en 1659. En février 1790, l’inventaire des biens révèle que cet orgue est « incomplet et dans un etat de reparation ». Les comptes mentionnent les noms des facteurs parisiens qui continuent d’entretenir l’instrument ; en 1780, MIOCQUE est logé et nourri à l’auberge et on le rétribue 30 livres. Il est également nécessaire de rémunérer deux souffleurs d’orgues. MAUZAISSE est un bourrelier en vue sur la place de Corbeil qui vend et répare, comme son père, les harnais des chevaux ; il a épousé la fille d’un maître pêcheur. À l’âge de 25 ans, il débute comme serpent à la collégiale, où il a peut-être été formé comme enfant de chœur. Si ses gages annuels d’organiste sont modestes (60 livres), il les perçoit avec régularité jusqu’en 1790 et étoffe encore un peu ses revenus en réparant les orgues d’autres établissements, notamment celui de Brunoy en 1787. Après la perte de son emploi, il ira jouer jusque dans le Berry. Il meurt dans la capitale, sans doute chez son fils, le célèbre peintre Jean-Baptiste Mauzaisse, lequel laissera un touchant portrait de son père, encore visible au musée de Melun.
Pierre PILLAS joue du serpent depuis novembre 1786. Son activité principale est de cultiver la vigne mais les chanoines l’ont recruté pour solenniser les offices des jours de fêtes et des dimanches. Il perçoit pour cela 48 livres par an et la compagnie, qui lui prête les vêtements de chœur (soutane, surplis, camail et rochet), a fait l’acquisition peu de temps auparavant de l’instrument qui est marqué du sceau du chapitre. Louis Claude SAVART a fort à faire entre chanter au lutrin, tenir ses quatre enfants et assurer ses fonctions de sacristain. Il perçoit seulement 450 livres par an pour effectuer l’ensemble de ces tâches. Les quatre enfants de chœur au service de la collégiale en 1790 sont connus : Louis Augustin CARTIER, François JORY, Jean Claude ORIGNON (orthographe incertaine qui empêche son identification) et Louis Pierre POIRIER. Ils sont fils d’un menuisier, d’un cordonnier et d’un vigneron. Seul POIRIER gardera ensuite un lien avec l’église puisqu’il deviendra sacristain à son tour.
• • • La petite collégiale Saint-Merry de Linas, ancienne abbaye sécularisée par l’archevêque de Paris au début du XIIIe siècle, dotée d’environ 7 000 livres de revenus en 1790, semble comme endormie. Le chapitre est constitué de onze bénéficiers mais doté de treize prébendes, puisque les dignitaires, le doyen et le chantre, en possèdent chacun deux. Sur les neuf chanoines prébendés, six ne résident pas sur place. Au chœur, leur absence est palliée par trois chantres dont la fondation semble récente. Le premier chantre perçoit 120 livres de gages annuels et les deux autres 50 livres chacun. Il y a au moins trois enfants de chœur dont l’un servait les messes. Les dépenses de l’établissement s’élèvent à 1 751 livres. Hormis celui de l’huissier de chœur, aucun nom ne figure dans les sources révolutionnaires et les registres capitulaires n’existent plus ; rien ne permet une identification dans les registres paroissiaux.
Musiciens et musique dans les églises relevant du diocèse de Sens
• • • La ville d’Étampes abrite deux collégiales de taille presque identique mais de statut différent. En termes de préséances, le premier établissement religieux d’Étampes est la collégiale Notre-Dame. Fondée par le roi Robert en 1022, elle possède un chapitre composé à la fin de l’Ancien Régime de dix chanoines prébendés dirigés par un dignitaire chantre ; en 1529, un canonicat a été supprimé pour pouvoir financer deux places d’enfants de chœur. Des procès au XVIIe siècle ont confirmé la sujétion de la collégiale Sainte-Croix à celle de Notre-Dame. C’est cette dernière qui détient les prérogatives les plus élevées. La compagnie, à l’instar de beaucoup d’autres, lutte sans cesse pour trouver de nouveaux revenus comme en 1748, lorsqu’elle cherche à maintenir la place de maître des enfants de chœur. Les chanoines retiennent alors comme solution la suppression de certains bénéfices de chapelains, car nombreux sont ceux qui ne résident pas étant nommés par le duc d’Étampes, prince de Conti, qui trouve là matière à récompenser des fidèles. La chapelle Saint-Louis est aussi réunie à la mense ce qui dégage une somme de 1 000 livres permettant, entre autres, de payer l’organiste. Comme ailleurs toutefois, de petits officiers souvent laïcs font vivre quotidiennement l’institution comme le porte-croix, le sacristain qui est l’ancien chantre Éloi DESFONDS, le sonneur, les deux bedeaux et les deux vicaires de chœur.
À leurs côtés, plusieurs musiciens et enfants de chœur sont rémunérés. D’abord, l’organiste Etienne Jérôme GAUTRIN, qui touche des orgues datant de la fin du XVIe siècle, même si plusieurs réfections ont été effectuées au XVIIIe siècle par des facteurs célèbres comme CLICQUOT ou DALLERY. Cet instrument possède encore aujourd’hui 45% de ses tuyaux d’origine. GAUTRIN, fils d’un maître de musique d’origine bourguignonne, semble succéder en 1780 au neveu de Rameau, Lazare. Un seul instrumentiste accompagne les voix au chœur, il s’agit du serpentiste Paul CHARPENTIER. Âgé et malade, il évoque dans sa supplique au district un ulcère à la jambe et rappelle que le « le serpent est un instrument trés rude qu’il lui a causé des maux d’estomac, qu’à peine il peut respirer ». Il n’est attaché à la collégiale Notre-Dame que depuis quelques mois, après avoir joué à Sainte-Croix. La partie vocale est assurée par deux chantres ou choristes dont le premier est également chargé de l’éducation des enfants de chœur. Cette fonction est attribuée depuis dix années à Jacques Alexis BLIN, sans doute un ancien enfant de chœur de la collégiale qui a chanté aussi dans d’autres églises étampoises. Il est marié et semble loger avec femme et enfants dans la maison de la maîtrise, même si l’inventaire de cette dernière mentionne seulement le lit du maître placé dans la cuisine. Les chanoines lui accordent la somme de 1 308 livres par an pour entretenir son petit monde et assurer sa propre subsistance. Lui aussi serait mal en point d’après sa requête :
[ses] « longs services et les peines et fatigues continuelles pour le chant au chœur, ou il y a prés de deux milles offices pour chaque année, n’étant que deux choristes, lui ont causé plusieurs maladies considérables ayant été plusieurs fois en péril de mort, dont la derniere au mois de juin dernier, qui a duré 62 jours, il a été obligé de prendre quantité de medicamens, ce avec le chant, lui ont tellement affoibli la poitrine, ce qui l’oblige à passer plusieurs nuits sur son sean[t], et l’empéche de faire aucun etat ».
Une fois sa pension obtenue du directoire du département, il retrouvera néanmoins son souffle et enseignera aux enfants de la commune. À la maîtrise, outre une servante, sont logés les quatre enfants de chœur de la collégiale : Louis LÉPINAY, François LANGLOIS et les deux frères, Alexis Charles et Frédéric Jean-Baptiste D’ORGE. Seuls ces deux derniers ont pu être identifiés. Fils d’un bourgeois de Paris, on les retrouve dans la capitale sous la Restauration, employés à l’hospice dit de la Maternité et chez la duchesse de Berry. L’ancien usage, établi en 1477, des « saluts à personnages » s’est-il maintenu jusqu’en 1790 ? On habillait à l’occasion de la fête de l’Ascension deux enfants de chœur, un en Vierge Marie, l’autre en archange Gabriel, qui chantaient ensuite l’évangile du jour, placés chacun à un bout du jubé. Enfin, la voix de Jean Nicolas CLAVIER renforce celle du premier choriste, et lui aussi se plaint que « l’office étant bien rude, [il] lui a ocasionné des maladies, n’ayant pas de quoi vivre pour lui, l’oblige de faire des états trés rudes ». Si tous ces états de santé s’avèrent exacts, on peut se demander comment les chanoines pouvaient attirer la foule des fidèles dans leur édifice au moment des offices en musique…
• • • La petite collégiale Sainte-Croix d’Étampes, située paroisse Saint-Basile, possède un chapitre qui écrit en 1790 avec amertume et une certaine grandiloquence : « En attendant sa dispersion, la dernière étincelle de vie religieuse qui tremblotait encore dans ce flambeau agonisant va définitivement disparaître ». Cette compagnie, criblée de dettes, fondée en 1193 par le roi Philippe Auguste avait failli disparaître, mais en 1769 elle est parvenue à se maintenir en supprimant onze canonicats dont les revenus ont été versés à la mense capitulaire. En 1790, le chapitre compte un chantre en dignité et sept chanoines prébendés, ainsi que sept chapelains qui œuvrent à maintenir avec décence le service divin ; les dépenses totales de ce corps s’élèvent à plus de 6 500 livres dont près de 1 200 pour le fonctionnement du bas-chœur. On relève encore une organiste, un serpent, deux chantres dont le maître des enfants de chœur, un « aide-choriste » et trois enfants de chœur, qui assurent une présence musicale non négligeable. Le chapitre est un corps respecté qui a conservé par décision de justice e droit de siéger en corps à Notre-Dame les jours des fêtes solennelles et de processionner à certaines occasions. L’organiste est l’une des trois musiciennes de ce corpus. En 1790, Françoise Rosalie SELLIER survit en touchant l’orgue tout en menant une obscure existence de « domestique cuisinière » afin d’élever ses enfants après la disparition de son époux, mégissier. Le buffet d’orgues, placé dans une tribune au-dessus de la porte principale est de « 4 pieds de montre sonnant et [?] 8 pieds 8 jeux dont quelques-uns sont coupés avec tremblant, 2 soufflets placés sur le sommier pour y mettre d’autres jeux ». Le second instrumentiste est le joueur de serpent Louis Éloi COLLEAU dont l’activité principale consistait à confectionner ou réparer des matelas, mais qui assure dans sa requête de 1790 avoir délaissé cet état pour mieux assurer son devoir au chœur. C’est un ancien enfant de chœur d’une paroisse de la ville. Le serpent accompagne les voix de Michel François Louis LEMARESCHAL et Alexis LAURIN. Grâce à l’inventaire de 1790, on les imagine au début de l’office, assis sur leur banc « couvert d’une tapisserie à fleurs de lys fond bleu, fleurs de lys » puis venant alternativement ou tous ensemble chanter autour d’un « grand pupitre tournant sur un pied le tout de bois, couvert d’un vieux tapis pareil à celui du banc des choristes » ; un chandelier éclaire le petit groupe. À proximité, se trouvent placés sur un « pied de bois anciennement doré avec pupitre en petite branche de fer » quatre livres de chant ; on relève deux antiphonaires, un graduel et un psautier en mauvais état. Le maître des enfants de chœur, LEMARESCHAL, sert le chapitre depuis huit ans et assure parallèlement des fonctions de premier choriste à la paroisse Saint-Basile depuis huit ans également ; auparavant il a chanté dans d’autres églises de la ville. Il perçoit 444 livres d’appointements dont 360 livres en tant que choriste et seulement 72 livres comme maître des enfants de chœur ; le reste étant perçu pour « la rédaction de la carte à pointer » [il note les présents au chœur afin d’établir les « distributions »]. Alexis LAURIN, appelé aussi DILIGENT, « garçon cordonnier », épaule le premier choriste et assure joliment dans sa supplique qu’il a abandonné son premier état pour se « faire un bien être par le talent de savoir chanter ». Enfin, ponctuellement sans doute, le maître des petites écoles de la paroisse Saint-Basile, Louis Gabriel MALIZART, vient donner aussi de sa voix au chœur. En 1790, il explique qu’il va perdre beaucoup avec la suppression du chapitre car, affligé d’une « infirmité qu’il a depuis le jour de sa naissance d’un bras dont-il n’a jamais pu s’aider », il n’a pas eu d’autre ressource que de « monter des petites écoles qui est un état très borné pour subsister » ; plus loin on apprend que des « personnes charitables » lui ont « fait avoir une commission pour un bureau à tabac » mais que la contrebande menace déjà cet emploi. Les trois enfants de chœur, Pierre DALEINE, Henri DUCHALE et Pierre Victor Arnoult LEMARESCHAL, fils du maître, sont assis sur de petites « escabelles de bois » devant lesquelles sont placés deux « petits lutrins tournant sur une tringle posés sur les stalles hautes ». À la sortie des enfants de chœur, le chapitre accordait une gratification de 150 ou 100 livres, selon l’ancienneté. La trace de ces trois garçons se perd rapidement.
• • • En dehors des collégiales, on trouve de fugaces mentions des attributs des chantres et enfants de chœur dans les quatre autres paroisses de la ville ; d’abord, dans les inventaires de 1790, des lutrins à Saint-Pierre, Saint-Gilles (l’orgue détruit en 1944 n’existait pas avant la Révolution dans cet édifice puisqu’il n’est aucunement mentionné dans l’inventaire) et Saint-Martin, ainsi que des banquettes, « un serpent servant à accompagner le chant » dans cette dernière paroisse et des vêtements de chantres et enfants de chœur en serge rouge ou noire, souvent usés. Il n’a pas été possible de fixer définitivement le nombre de chantres et d’enfants, mais on peut affirmer qu’en 1790, à Saint-Basile, Alexandre PORTEHAUX chante comme second choriste à côté de LEMARESCHAL. Il exerce toutefois son activité de maçon en plâtre dans la paroisse Saint-Gilles où il demeure. Dans cette dernière, c’est un maître d’écritures, Pierre Denis LELONG, qui assure des fonctions cantorales depuis 1785. Lors des services solennels dans la paroisse Saint-Martin, il est presque certain que ce sont les musiciens de la collégiale qui viennent exercer leurs talents. À la paroisse Saint-Pierre, le maître d’école Jean-Louis BOURDELOT chante aussi au chœur les dimanches et fêtes, de même qu’un certain LAUREAU.
• • • La collégiale Notre-Dame de Milly-la-Forêt possède un chapitre fondé par Hugues II de Bouville au début du XIVe siècle et composé de cinq chanoines, dont un doyen-curé ; c’est le seigneur qui confère les canonicats, sur présentation de l’archevêque en ce qui concerne le décanat. Il existe un premier chantre et maître des enfants de chœur, qui sont au nombre de six, malheureusement toujours anonymes (en dehors peut-être de Philippe NARDON, repéré en 1794), et un second chantre d’après les sources actuellement dépouillées. En 1495, l’amiral de Graville, seigneur du lieu, avait fondé et doté une maîtrise afin que les enfants puissent « chanter avec leur maître une messe de la Vierge (célébrée par un chanoine ou tout autre prêtre) à l’intention du fondateur, ses successeurs seigneurs de Milly, pour le roi, la reine, leur lignée et le bon gouvernement du royaume ». Le chapitre n’a pas son mot à dire au sujet du fonctionnement de la maîtrise. Antoine BOISSON, ancien soldat, est le maître des enfants de chœur depuis 1778 après avoir été nommé par Jean Armand Marie Dulau d’Allemans, baron de Milly, également ancien officier des armées du roi. Ses revenus annuels en 1790, tirés d’un bénéfice, s’élèvent à 4 083 livres, sur lesquelles il nourrit et entretient pour 1 976 livres les six garçons. Ces derniers « assistent journellement a Certains offices de la Collegialle et Chantent leur messe, mais que depuis plusieurs années, C'est a dire depuis que la Collegialle Est devenüe La seulle Eglise Paroissialle, Ces memes Enfans y Remplissent les fonctions d'Enfans de Paroisse, ils assistent aux Baptemes, Mariages, Enterremens et Servent toutes les messes de paroisse » écrit le maître dans sa requête de 1790. Maximilien BAZAN est le second chantre de la collégiale, avec 100 livres de gages, et il est aussi le maître des petites écoles de la paroisse. Les deux hommes ne se situent pas dans le même univers.
Musiciens et musique dans les églises relevant du diocèse de Chartres
Aucune collégiale n’est implantée à Dourdan mais on y trouve deux églises paroissiales. L’église Saint-Pierre salarie deux chantres, dont seul Pierre RUFFIER est assurément présent en 1790. Le maître d’école remplit également les fonctions de maître des enfants de chœur : en 1790, il s’agit de Michel FILION. Sa requête de 1792 rappelle « qu’il a exercé ses pénibles fonctions pendant 52 ans et plus de 30 à St. Pierre, ayant fait quantité d’Elèves qui ont affoibly son tempéramment ». On a trouvé trace également d’un maître des enfants de chœur à l’église Saint-Germain mais les sources se taisent après 1770 ; en revanche, il est fort probable que Jean François Isaac DUPRÉ, maître d’école et chantre à l’Hôtel-Dieu de Dourdan, chante aussi à la paroisse et s’occupe des enfants de chœur, parmi lesquels on identifie Pierre HOUSSU. En revanche, l’organiste en place de 1765 à 1794 est bien connu puisqu’il s’agit de l’un des fils de l’organiste de la collégiale de Châteaudun, François Maurice DOBET.
Le monde des réguliers peu concerné par la présence musicienne
L’état actuel des connaissances ne fait pas la part belle aux musiciens en place dans les abbayes et couvents et sans doute faudra-t-il solliciter à l’avenir plus systématiquement les archives des établissements réguliers pour espérer ouvrir de nouvelles pistes. On peut citer toutefois deux femmes organistes. La première est Charlotte Françoise BERTRAND qui est depuis 1769 religieuse professe et organiste de l’abbaye cistercienne de Notre-Dame de Villiers-aux-Nonnains, située à Cerny, près de la Ferté-Alais. La comtesse de Flaire (Flers ?) est présente à sa prise d’habit, peut-être est-ce la personne qui emploie le père de la jeune fille, présenté comme « officier de maison » à Paris. La seconde n’est pas une religieuse mais une veuve retirée depuis environ quarante ans en l’abbaye bénédictine Notre-Dame de Varennes-Jarcy, près de Corbeil. Il s’agit de Louise Françoise DRAPEAU. Le prieuré Saint Éloi de Longjumeau, rattaché à la Congrégation de France depuis le milieu du XVIIe siècle, possède-t-il toujours son organiste à la fin de l’Ancien Régime ? L’inventaire de 1790 mentionne l’existence d’un petit buffet d’orgues et de douze rochets d’enfants de chœur. L’organiste aveugle Claude MELAN y joue « depuis de longues années », lit-on dans un mémoire de 1772 dans lequel on le fait passer pour une sorte de prodige : il « répète, en touchant l’orgue, une pièce de nouvelle composition, telle qu’elle soit, après l’avoir entendu toucher une seule fois ». Est-il toujours en exercice en 1790, et sinon par qui a-t-il été remplacé ?
Les cas des chantres de village
Le monde des lutrins de village ne doit pas être oublié même si les chantres de paroisse n’évoluent pas dans la même sphère que les musiciens d’Église au service des cathédrales et des collégiales. L’approche pourrait être manichéenne : de simples artisans « s’époumonant » le dimanche à l’église face à des professionnels les regardant parfois avec la même condescendance que portait sur eux les élites des Lumières. Xavier Bisaro a démontré qu’il fallait nuancer d’importance. Si nombre d’aspects divergent entre les uns et les autres, comme leur formation, la gestion de leur carrière, leur moindre mobilité, il existe aussi des passerelles bien plus fréquentes qu’on ne le pense. Ces chantres, acteurs de premier plan de « la religion villageoise », sont présents sur l’ensemble du territoire de la future Essonne avec des densités un peu plus soutenues dans les zones septentrionales plus peuplées, mais les villages du sud ne sont pas en reste grâce à des revenus de fabrique non négligeables liés à la céréaliculture. Ainsi, à Pussay, en lisière de l’actuel département d’Eure-et-Loir, à 17 km au sud-ouest d’Étampes, la fabrique de l’église paroissiale Saint-Vincent déclare presque 3 000 livres de revenus pour l’année comptable 1788-1789, alors que le village ne compte que 650 habitants environ.
• • • Les effectifs actuellement connus, après un recensement systématique de toutes les paroisses opéré sur la base d’un sondage pour les années 1789-1790, bien que non négligeables, ne reflètent que très imparfaitement la présence cantorale. Le terme « chantre » n’apparaît pas dans tous les registres paroissiaux, et même s’il faut prendre garde à bien identifier tous ceux qui signent régulièrement au bas des actes de sépultures, tels les bedeaux, sacristains, sonneurs et autres fossoyeurs, on peut formuler l’hypothèse que tous ceux qui exerçaient une activité cantorale n’ont pas été pris dans les rets du chercheur Les délibérations ou comptes de fabriques n’apportent quant à eux que partiellement des réponses, car ils ne contiennent parfois que la dénomination « chantres » sans précision d’identité, ou des listes de noms seuls peu utilisables, voire seulement la mention des habits de chœur que ces hommes revêtaient à l’occasion de leur service ou bien même un lutrin, comme à Angerville. Ces approximations nous empêchent d’identifier plusieurs dizaines de personnes. Combien de fois, même dans des comptes où aucune autre mention ne figure, n’a-t-il pas été relevé des dépenses inhérentes au « déjeuner des chantres » à l’occasion des processions, surtout pour la Fête-Dieu et les Rogations, particulièrement importantes pour les communautés rurales. En 1789 à l’église Saint-Pierre de Brétigny, il a dû y avoir du monde pour chanter aux Rogations car le repas a coûté la somme rondelette de trente livres, presque l’équivalent du trimestre du maître d’école. Des chantres devaient parcourir les pays alentours tout en étant fixés dans leur paroisse d’exercice. On relève aussi des chantres signant systématiquement dans le registre de la paroisse limitrophe de celle où ils demeurent et où ils exercent leur activité principale, ainsi ceux de la paroisse de Saint-Pierre-du-Perray provenant tous du même hameau situé sur la paroisse de Saint-Germain-lès-Corbeil. Le service exigé porte sur les dimanches et fêtes et parcourir alors quelques kilomètres n’est pas impossible en ces jours chômés.
• • • Se pose également la question de savoir si les maîtres d’école, présents dans la majorité des paroisses, exercent systématiquement des fonctions cantorales. Les sources ne permettent pas de trancher et de les incorporer mécaniquement à la liste. On trouve encore dans les archives des traces des actes de fondation de « petites écoles » où le maître ou recteur est rémunéré par le fondateur pour enseigner aux enfants pauvres mais aussi pour œuvrer lors des services religieux au chœur de l’église de la paroisse, comme le veut l’esprit du concile de Trente : à Authon-la-Plaine en 1628, un bourgeois de Paris fonde à perpétuité « des écoles pour l’instruction de la jeunesse de l’un et l’autre sexe », fait bâtir une chapelle et charge le chapelain d’enseigner aux jeunes garçons quotidiennement, leur apprenant « le catéchisme, à lire, écrire, servir et chanter à l’église comme aussi les principes de la langue latine » ; à Linas, en 1728, on présente au chapitre Charles Perrichon qui est agréé aux gages annuels de vingt livres « pour porter chappe quand il sera marqué et pour assister en habit de chœur à l’office qui se chante les festes et dimanches et aux premières vespres et matines les jours qu’elles se chantent, sans que le Chapitre soit obligé de luy fournir des habits de chœur » ; son successeur, Jean Mathieu Chrétien, acolyte du diocèse de Tours, est reçu en 1730 en qualité de « maître d’école et choriste ». À Chamarande, la femme de Louis d’Ormesson laisse en 1717 dans son testament la somme de 350 livres de rentes au curé afin de vêtir les six enfants de chœur et de leur apprendre le plain-chant. Qui d’autre que le maître d’école pouvait s’en charger ? Maîtriser ces savoirs pouvait ouvrir les portes de collégiales où la fonction de « maître des enfants de chœur » était en usage. Les modes de désignation sont divers, nomination par le chapitre, le seigneur, les héritiers du fondateur, les fabriciers et, dans ce dernier cas, on peut aussi recourir à l’élection. En août 1786, à Villemoisson-sur-Orge, Jean-Baptiste PETIT « ancien recteur d’école de la paroisse de Fontenay » est élu (sur quels critères ?) pour succéder au défunt Gouy. Il recevra 150 livres par an pour ses honoraires de maître d’école, plus 50 livres par an pour l’instruction gratuite des plus pauvres ; de plus, la fabrique lui versera 25 livres « pour chanter les obits, les messes, vepres, dimanches et fetes et sonner les angelus ». Au Val-Saint-Germain, en février 1791, le maître d’école Louis Julien PLISSON signe une quittance de gages de l’année précédente qui récapitule l’ensemble des tâches qui lui sont confiées sur un modèle qu’on retrouve dans de nombreuses fabriques.
Les effectifs cantoraux perçus à travers les registres de fabrique varient d’un à quatre chantres et, dans un très petit nombre de paroisses, on relève aussi en complément la présence d’un serpent, voire, exceptionnellement, d’un organiste : à Morsang-sur-Orge, le jeune Henry DESCHAMPS, fils du maître d’école, est payé six puis douze livres entre 1779 et 1789 pour sonner du serpent Il y a aussi des enfants de chœur, jusqu’à six à Igny en 1789, mais très rares sont ceux qui ont pu être identifiés comme ceux de la paroisse de Saint-Germain-lès-Corbeil qui signent régulièrement dans les registres paroissiaux. On distingue aussi parfois, comme à Vaugrigneuse la présence de « chantres surnuméraires », en l’occurrence deux, aux côtés des « chantres d’office » qui sont également deux dans cette paroisse.
• • • On voit passer des noms rapidement dans les registres paroissiaux car certains trouvent ultérieurement des postes plus fixes, durables et avantageux : Paul CHARPENTIER, qui a commencé dès ses 18 ans à jouer du serpent dans sa paroisse natale de Savigny-sur-Orge, a continué par la suite à Mennecy, éloignée de 17 kilomètres, où il s’est établi et marié, avant de se fixer une dizaine d’années plus tard à Étampes, où il sert successivement les deux collégiales. À Saint-Médard de Brunoy, Jean Louis NARBONNE chante la basse-taille durant une année environ avant d’être reçu en 1773 à la cathédrale du Mans, bel exemple d’itinérance à l’échelle du royaume, inattendue chez un chantre de paroisse. Il est vrai que, formé à la psallette de la cathédrale de Beauvais, il était nanti d’un solide bagage. François COR, lui aussi originaire de Picardie, glisse progressivement vers Brunoy en entamant une boucle par l’actuelle Seine-et-Marne, chantant dans chacun de ses postes successifs de maître d’école ; sous l’Empire, il est de retour dans sa province natale.
Toutefois la majeure partie des chantres repérés sont installés pour de longues périodes, à condition toutefois de n’être pas maître d’école, poste qu’on suspecte d’être plus instable à parcourir le sondage des années 1789-1790 ; le registre de fabrique de la paroisse d’Itteville mentionne d’ailleurs en 1782 que son maître d’école Lelarge « s’en va à Valpuiseaux, croiant trouver dans cette nouvelle place un meilleur revenu que celui qu’il avoit dans celle qu’il quitte ». À Ormoy, par exemple, Charles HUET est déjà « maître chantre », c’est-à-dire premier chantre, en 1778 lorsqu’il signe au mariage du futur troisième chantre Jean Louis LESUEUR en présence du second chantre Jean Louis TAILLARD, parrain du marié ; tous les trois sont vignerons. Cet acte permet de dresser un autre constat : la quasi-totalité des chantres paroissiaux exercent une double activité et la fonction cantorale n’est qu’une petite partie du revenu qui les fait vivre. Toutefois, il semble, pour tous ceux qui restent longtemps en place, que ces chantres appartiennent à des dynasties familiales et cantorales. On perçoit à parcourir les sources que ce monde d’hommes est bâti sur un réseau dense de relations sociales (on partage un métier, une confrérie, des responsabilités à la paroisse…), où la notabilité est aussi importante que la belle voix et qui s’ouvre aux plus jeunes, formés « de l’intérieur ». François Marie OLIVIER chante dès ses 18 ans à la paroisse Notre-Dame de Ferrières-le-Buisson, là où son père a été maître d‘école. Nombre des musiciens salariés par les chanoines ont été façonnés de la même manière, sur le terrain, tous n’ont pas connu l’exil dans une lointaine psallette.
• • • On peut s’arrêter un instant sur le cas peu ordinaire de la paroisse Saint-Médard de Brunoy qui permet également de saisir le rôle joué par les Grands et les élites parisiennes dans la vie musicale de la région. Sous la Régence, le richissime financier Jean Pâris de Montmartel, un des acteurs du célèbre « système de Law », devenu banquier de la Cour et parrain de la marquise de Pompadour, place une partie de ses gains, tirés également de la traite négrière et des approvisionnements aux armées, en achetant la terre de Brunoy et y fait bâtir un nouveau château dans le goût raffiné de l’époque. L’église paroissiale Saint-Médard bénéficie aussi des largesses de la famille (magnifiques lambris dans la nef et le chœur, belle tribune d’orgues). Armand-Louis, le fils du banquier mort en 1766, est connu pour ses excentricités (il fait déverser de l’encre dans l’étang du château et peindre en noir les animaux de la basse-cour pour mieux porter le deuil paternel…) et ses folles dépenses liées au culte. Louis Sébastien Mercier s’en fait l’écho, peut-être exagéré, dans son Tableau de Paris :
« Le marquis de Brunoy, fils du banquier Montmartel, riche de vingt-six millions, dépensait à Brunoy cent mille écus pour le reposoir et la procession de cette fête annuelle. Jaloux d’imprimer le plus grand éclat aux cérémonies de l’Église, il rassemblait de tous côtés des ecclésiastiques, qu’il chargeait d’ornements magnifiques, et qu’il traitait ensuite d’une manière splendide […] ».
À cette occasion, des quantités de chantres et d’enfants sont recrutés mais il n’est pas possible de savoir s’ils étaient toujours là à demeure, formant alors l’effectif d’une grosse collégiale ; de belles voix sont recherchées, celle de Jean-Louis NARBONNE a déjà été évoquée. Ruiné, le marquis vend le domaine en 1774 au comte de Provence qui en fait sa « folie ». Il y réside régulièrement et fait construire de nouveaux bâtiments dont une faisanderie et un petit théâtre. En 1775, Adrien Lépine, élève de Dom Bedos de Celles, installe dans l’église des orgues comprenant un grand et un petit buffet. Le célèbre Claude BALBASTRE, organiste à la cathédrale Notre-Dame de Paris, est également au service de Monsieur et accompagne son princier employeur à la campagne ; il touche les orgues de Saint-Médard à l’occasion, peut-être devant la jeune reine qui séjourne parfois à Brunoy. Juste avant la Révolution, un organiste, quatre chantres, dont le maître d’école et le serpent, et huit enfants de chœur sont recensés dans les sources d’une fabrique paroissiale qui peut compter sur plus de 9 000 livres de recettes annuelles. Les membres de la Maison du comte de Provence ont parfois recours à eux, comme la veuve de l’intendant des finances du prince, M. de Cromot de Bourg, qui octroie une rente de 250 livres à la paroisse à charge de faire chanter annuellement une messe pour le repos de l’âme de son époux. L’organiste ne semble pas demeurer sur place car on relève plusieurs noms comme CHAUVET et ROUGEMONT.
Bilan
En 1790, les 102 musiciens répertoriés à l’occasion de cette enquête, dont 90 identifiés, sont au service de cinq collégiales, deux abbayes, un prieuré, un Hôtel-Dieu et 56 églises paroissiales, soit 65 lieux de musique (ou de plain-chant dans les paroisses) dont plus de la moitié sont situés dans le ressort du diocèse de Paris. Ces données sont proches de celles fournies par l’enquête menée dans le Val-d’Oise qui avait abouti à l’identification de 91 musiciens et enfants de chœur rattachés à 48 lieux de musique. Cela laisse augurer davantage encore la première place qu’occupera l’ancien département de Seine-et-Oise dans la hiérarchie des 82 départements créés en 1789, car on se rapproche à présent des densités repérées dans le département du Nord.
Dorment peut-être encore, dans des archives, les traces d’autres musiciens de cette génération 1790 qu’il reste à identifier et à faire revivre sous la forme de notices biographiques. Plaise au lecteur nous aider dans ce long travail de reconnaissance...
Christophe MAILLARD
chercheur associé au laboratoire Temps, Mondes, Sociétés, TEMOS-CNRS FRE 2015
(avril 2019)
Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de, notamment : François Caillou, Youri Carbonnier, Bernard Dompnier, Sylvie Granger, Isabelle Langlois, Édith Marois.
Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne)
>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.
Les lieux de musique en 1790 en Essonne
Les lieux de musique documentés pour 1790 dans le département sont présentés par catégories d’établissements : cathédrale, collégiales, abbayes, monastères et couvents, autres établissements (par exemple d’enseignement, de charité…), paroisses (ces dernières selon l’ordre alphabétique de la localité au sein de chaque diocèse).
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- Villeneuve-sur-Auvers, Église paroissiale Saint-Thomas-de-Cantorbery
Pour en savoir plus : indications bibliographiques
SOURCES IMPRIMÉES
- Jean-Pierre BÉRENGER, Géographie de Busching abrégée dans les objets les moins intéressans, & augmentée dans ceux qui ont paru l’être…, t. 5, Lausanne, Société typographique, 1779.
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- Jean Joseph EXPILLY (abbé), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Paris, Desaint et Saillant, 1762-1770, 6 vol.
- Pierre Thomas Nicolas HURTAUT, Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs…, Paris, chez Moutard, 1779, 2 vol.
- Charles OUDIETTE, Dictionnaire topographique des environs de Paris…, Paris, J. G. Dentu, 1812.
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BIBLIOGRAPHIE
Contexte culturel, social et économique
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Révolution française
- Association Étampes-Histoire, Étampes en Révolution, 1789-1799, Éditions Amatteis, 1989 (épuisé mais mis en ligne sur www.77livres.fr)
- L’Essonne, l’Ancien Régime et la Révolution. Deuxième colloque d’histoire départementale (1990), Mennecy, Comité du bicentenaire de la Révolution française, 1991, 208 p.
- François BOUTRY, Fermiers et curés du Pays de France sous la Révolution, Pontoise, Société historique et archéologique de Pontoise, du Val-d’Oise et du Vexin, [1993], rééd. 2006.
- Jean-Marie Odon DELARC, L’église de Paris pendant la Révolution française, 1789-1801, Paris, Desclée, De Brouwer et Cie, 1895-1898, 3 vol.
Orgues, lieux de musique et musiciens
- Orgues de l’Île-de-France, tome 2. Inventaire des orgues de la Seine-et-Marne et de l’Essonne, Paris, Aux Amateurs de livres, 1991, 520 p.
- Jean-Marc BAFFERT, « L’orgue d’Adrien L’Épine à Brunoy, 1774 », Connaissance de l’Orgue, 1994, n° 91-92.
- Jean-Marc BAFFERT, « L’orgue de l’église Saint-Spire de Corbeil », Connaissance de l’Orgue, 1995, n° 94-95.
- Jean-Marc BAFFERT, « L’orgue d’Adrien Bunel à Saint-Germain de Dourdan (1671) », L’Orgue Francophone, 1996, n° 98, p.47-56 et n°99, p. 62-70.
- Xavier BISARO, Chanter toujours, Plain-chant et religion villageoise dans la France moderne (XVIe-XIXe siècle), PUR, 2010, 246 p.
- François CAILLOU, Sylvie GRANGER, Christophe MAILLARD, « Deux générations de musiciens au XVIIIe siècle : la famille Dobet de Chartres à Châteaudun, 1713-1829 », Revue historique, 2012, n° 662, p. 391-419.
- Émile CREUZET, « Les grandes orgues de l’église Saint-Spire de Corbeil », L’Abeille de Seine-et-Oise, 15 juin 1924.
- Daniel HOFFMANN, « Promenade ... dans le passé : Jean-Baptiste Mauzaisse, peintre corbeillois 1784-1844 », Le Saint-Germinois, journal de Saint-Germain-lès-Corbeil, n°12, septembre 2016, p. 9.
- Félix RAUGEL, « Les anciens buffets d’orgues du département de Seine-et-Oise », La Revue de l’histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, année 1924, fasc. 3 et 4, Paris, Librairie Fischbacher, 1926, 50 p.
- Félix RAUGEL, « Les anciens buffets d’orgues du pays de Hurepoix », Bulletin de la Société Historique et archéologique de Corbeil, 1962, p. 36-38.
Bibliographie élaborée par Christophe MAILLARD (avril 2019)