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Cantal

Musique et musiciens d’Église dans le département du CANTAL autour de 1790

Sommaire

Liste des musiciens du Cantal

Url Pérenne : http://philidor.cmbv.fr/musefrem/cantal

Deux pôles musicaux principaux, très différents l'un de l'autre, donnent au Cantal son identité musicale à la fin du XVIIIe siècle. Saint-Flour d'une part, cité épiscopale perchée sur son éperon volcanique, qui a produit des générations de "choriers", prêtres natifs de la ville et tout dévoués au plain-chant, la seule exception notable étant l'organiste de la cathédrale, recruté hors les murs. Aurillac d'autre part, ville faisant figure de cité laïque, les musiciens d'Église étant généralement pères de famille et insérés dans la vie culturelle locale (fêtes, théâtre...). À partir de 1789, les premiers n'eurent de cesse de lutter contre le cours des événements révolutionnaires, tandis que la plupart des seconds y adhérèrent.
Un troisième pôle original contribue également à donner sa tonalité à ce département dont la vie musicale ne participe qu'à la marge aux grands circuits culturels irrigant la France de 1790 : il s'agit des communautés de prêtres-filleuls qui tentent, à leur niveau, de régler l'office selon le modèle des chapitres collégiaux, ponctuant le territoire d'un chapelet de lieux de musique mineurs.

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Du Haut Pays d'Auvergne au Cantal

Département du Cantal

Département du Cantal, Atlas national et topographique de la France en départements (1796), Paris, Dumez (Bibliothèque ancienne du ministère de l'Agriculture).

• • • La province d'Auvergne, subdivisée en deux entités sous l'Ancien Régime, porte dans sa partie méridionale le nom de "bailliage du Haut pays des montagnes d'Auvergne". Son altitude moyenne est globalement plus élevée que celle de la Basse-Auvergne qui, elle, rayonne depuis Riom et Clermont-Ferrand.
Presqu’entièrement formé des territoires antérieurement compris dans le "bailliage du Haut pays des montagnes d'Auvergne", le département qui deviendra le Cantal, reçoit initialement ce nom en février 1790. Ses limites sud et ouest coïncident avec celles des diocèses et des provinces d'Ancien Régime, tandis qu'au nord il absorbe une trentaine de paroisses du diocèse de Clermont, sises en Basse-Auvergne. En son centre, le plomb du Cantal, qui est préféré, dès mars 1790, pour nommer la nouvelle entité territoriale, culmine à 1 855 mètres, donnant naissance à des vallées encaissées parcourues de cours d'eau allant grossir la Dordogne, la Garonne et la Loire. Les hauts plateaux du Cézallier au nord et de la Margeride à l'est, d'une altitude moyenne de 1 200 à 1 500 mètres, ne facilitent pas davantage la circulation des hommes et des marchandises, surtout entre l'est et l'ouest, et plus encore durant l'hiver. Les principales villes et bourgades demeurent isolées les unes des autres plusieurs mois par an, ce qui fait leur force, leur assurant un statut d'autonomie de fait, mais aussi leur faiblesse, car situées hors des principaux axes de circulation et d'échanges. En matière de rapports de force régionaux, le bailliage cantalien est parfois à la peine lorsqu'il s'agit de s'opposer à la Basse-Auvergne, mieux lotie à bien des égards.

• • • À leur échelle, deux villes sortent toutefois du lot et se livrent une concurrence permanente : Aurillac et Saint-Flour, distantes de 70 kilomètres, situées de part et d'autre du Plomb du Cantal, la première peuplée d'environ 9 000, la seconde de 5 000 habitants. Les deux cités revendiquent le titre de capitale du Haut-Pays d'Auvergne.

Saint-Flour

Saint-Flour (photo Christophe Morel, 2014)

     Saint-Flour "est la capitale de la Haute-Auvergne ; elle est épiscopale. [...] Elle est exposée à tous les inconvénients de ces montagnes, qui, étant 8 mois de l'année couvertes de neige, la rendent extrêmement froide, au point qu'en hiver on a toutes les peines du monde à sortir des maisons [...]. Il y a un séminaire dirigé par des prêtres de Saint-Lazare, assez bien bâti, très mal situé, mal distribué, mais très occupé ; ces montagnes donnant beaucoup de montagnards, ils fourmillent de prêtres, les familles étant très nombreuses, et la facilité de les faire étudier fait qu'on en destine beaucoup à l'église. Il y a trois marchés par semaine et cinq foires par an peu considérables." ("Observations jointes à la minute du rôle du vingtième d'élection de Saint-Flour", 1753 et 1779). Cette description laisse entrevoir le poids de l'institution ecclésiastique sur cette petite société urbaine. Les maisons d'hommes (jacobins, cordeliers) et deux communautés de femmes (visitandines et filles de Notre-Dame), deux confréries de pénitents, un collège et un séminaire confié aux lazaristes complètent l'équipement religieux.

     "Aurillac est une ville principale de la Haute-Auvergne, située au pied des montagnes du Cantal, dans un vallon fort étroit. […] Elle est le siège d'un bailliage, d'un siège présidial, d'une élection, d'un chapitre, d'une communauté nombreuse de prêtres, d'un collège royal et de plusieurs couvents : une petite rivière flotte le long des murs et borde en forme d'île une promenade célèbre appelée le cours Monthyon. Sur cette rivière, il y a douze moulins à blé, deux à cuivre et un à papier [...] cette ville est fort peuplée, composée d'une seule paroisse, de 450 maisons ou environ et de 1 400 feux [...]. Quoique les habitants y soient fort laborieux, le commerce y est cependant languissant, n'ayant que celui des fromages des montagnes qui en est le dominant.". Cette description rédigée par Jacques, contrôleur du vingtième en 1775, est encore largement valable pour la fin de l'Ancien Régime.

En 1789, sous la houlette de l'évêque Ruffo, Saint-Flour reprend momentanément la main en obtenant que la désignation des représentants aux États généraux se déroule dans ses murs, notamment pour le clergé. La rivalité s'exprime à nouveau en 1790 lorsqu'il s'agit de redessiner le territoire et de choisir les nouveaux centres de pouvoir. La solution retenue finalement est celle de l'alternat entre les deux villes comme chef-lieu de département. La première session a lieu à Saint-Flour mais le siège du département s'établit ensuite définitivement à Aurillac. C'est en revanche Saint-Flour qui, au nom de la présence épiscopale dans ses murs depuis le XIVe siècle, souffle la fonction de capitale religieuse qui aurait dû revenir à sa rivale.

Aux côtés de ces deux villes principales, on trouve un ensemble de petites villes (Allanche, Chaudes-Aigues, Massiac, Mauriac, Murat, Pleaux, Salers, Trizac, Vic-sur-Cère,...), reliées par quelques mauvaises routes, dont la population ne dépasse pas 3 000 habitants. Les routes depuis Saint-Flour sont rares et mènent à Clermont, à Aurillac, et vers le Languedoc. Les travaux d'une quatrième route, menant de Saint-Flour à Chaudes-Aigues ne débutèrent qu'à la fin des années 1770. Les voyageurs ne sont pas tendres dans leurs appréciations ; ainsi, Chaudes-Aigues qualifiée de "petite ville sale et laide, comme presque toutes les villes d'Auvergne" par Legrand d'Aussy en 1788.

L'ancienne géographie ecclésiastique

Le territoire du Cantal est établi sur deux diocèses d'Ancien Régime : Clermont et Saint-Flour.

Au nord-ouest, 70 paroisses devenues cantaliennes proviennent de la partie la plus méridionale et la plus excentrée de l'ancien diocèse de Clermont, dont elles ne représentent que 10 % des paroisses, rattachées principalement à l'archiprêtré de Mauriac, en Haute-Auvergne. Cet espace ne comprend qu'une seule collégiale, Notre-Dame de Saint-Chamant, à la limite sud de l'archiprêtré de Mauriac, ce qui est bien peu au regard de la trentaine de collégiales recensées dans ce diocèse, et réduit d'autant les chances de présence d'un fort potentiel musical.

Constitué en 1317 par démembrement de celui de Clermont, le diocèse de Saint-Flour est de taille moyenne (300 paroisses), intermédiaire entre les grands diocèses présents au nord et la mosaïque des petits diocèses du sud du royaume de France. En termes de revenus, avec 12 000 livres (France ecclésiastique, 1790), ce diocèse était le plus pauvre de la province ecclésiastique de Bourges, à laquelle il était rattaché et dont il constituait la limite méridionale. Il était également le plus déshérité de tous les diocèses qui l'entourent. Les deux principaux établissements ecclésiastiques présents sur son territoire – l'abbaye Saint-Géraud d'Aurillac et la collégiale Saint-Julien de Brioude – échappent à l'autorité épiscopale, revendiquant l'une et l'autre une dépendance directe du Saint-Siège.

La loi du 12 juillet 1790 sur la constitution civile du clergé modifie profondément les contours de l'ancien diocèse de Saint-Flour. Sa partie orientale (les archiprêtrés de Brioude et de Langeac) est rattachée au département de la Haute-Loire. En revanche, sa plus grande partie entre dans le département du Cantal. Il se voit adjoindre l'archiprêtré de Mauriac au nord-ouest, compris antérieurement dans le diocèse de Clermont.

Le chapitre cathédral et la plupart des onze collégiales se caractérisent notamment par la présence d'un bas chœur comptant un nombre important de clercs, prêtres pour la plupart, prenant le nom de choriers. Créés le plus souvent à partir d'une communauté de prêtres, les chapitres cantaliens perpétuent la tradition de ce type d'institution, florissant dans le Massif central, qui ont pour trait distinctif de confier à des clercs recrutés localement la célébration des anniversaires et obits fondés par les habitants. Issus d'un milieu social intermédiaire et bourgeois (chirurgiens, hommes de loi, marchands, tailleurs d'habits, perruquiers,...), les choriers sont formés au cérémonial et au plain-chant en débutant comme enfants de chœur. En 1790, ils sont une vingtaine à la cathédrale de Saint-Flour. Le groupe qu'ils composent leur donne une force de représentativité collective.

À côté de Saint-Géraud à Aurillac (23 500 livres de revenus d'après le Pouillé de 1760) et Notre-Dame de Saint-Flour (4 200 livres), les chapitres Notre-Dame de Murat (1 300 livres), Notre-Dame et Saint-Blaise de Chaudes-Aigues (840 livres), Notre-Dame de Ruynes-en-Margeride (655 livres), Saint-Étienne d'Oradour (364 livres) et Notre-Dame de Villedieu (absent du Pouillé de 1760), semblent bien modestes. Quoi qu'il en soit, la présence de ces collégiales, en donnant un cadre à des communautés de fondation épiscopale, permet de doter ces petites villes d'un apparat où la musique a pu trouver une place dans certains cas, même si, à l'égal de ce qui passe pour le nombre des chanoines, régulièrement réduit au fil des siècles, le nombre de choriers a toujours eu tendance à décroître au fil du temps, faute de revenus suffisants. Le chapitre Saint-Julien de Brioude, avec 26 000 livres de revenus, domine économiquement, mais il échappe à la présente étude, car il est situé en Haute-Loire.

Le reste du territoire est caractérisé par la présence d'une multitude d'établissements réguliers masculins (prieurés bénédictins pour une large majorité), et surtout féminins (de tous ordres), tous trop modestes pour accueillir une pratique musicale régulière. C'est donc en ville que se concentre le potentiel.

À partir de 1790, la vie musicale s'adapte au nouveau contexte politique. Le 28 juin 1790, à Saint-Flour, les électeurs nommés par les assemblées primaires pour se rendre au chef-lieu de département, assistent à la messe du Saint-Esprit, célébrée dans la chapelle des jacobins, "où les musiciens patriotes de la ville ont chanté le Veni Creator". En mars 1791, le nouvel évêque du département, Alexandre-Marie Thibault, curé de Souppes en Seine-et-Oise, succède à Mgr Ruffo de Laric, qui prend pour longtemps le chemin de l'exil. Les administrations de la ville se rendent alors à la cathédrale où le président de l'Assemblée électorale publie le nom de l'élu et où est chantée une messe suivie du Te Deum.

Le Concordat incorpore le diocèse du Puy à celui de Saint-Flour, situation qui perdura jusqu'en 1823.

Les sources de 1790 et l'enquête Muséfrem

Aucune information relative à la musique d'Église dans le nouveau Cantal n'a pu être extraite des dossiers du Comité ecclésiastique (An/ DXIX). La série L des Archives départementales contient deux registres où figurent des "arrêtés relatifs aux affaires religieuses et liquidation des pensions ecclésiastiques pris sur pétitions" et des délibérations du département pour 1790-1792 (L 390) et 1792-1815 (L 391). À défaut de l'accès aux pétitions mentionnées dans les différents avis, ces documents permettent d'identifier plusieurs musiciens et de reconstituer quelques parcours, que le directoire a pris soin de noter. 26 musiciens sont ainsi apparus à la suite du premier dépouillement réalisé par Thomas D'Hour en 2009.

"On m'a dit aujourd'hui, que le préfet avait fait vendre comme papiers inutiles presque tous les papiers provenant du chapitre de Saint-Flour, envoyés dans le temps à l'administration du département qui les entassa sans aucun ordre. Lorsque le préfet succéda à cette administration, on les fit transporter dans une salle du ci-devant couvent de la Visitation où ils ont été à la discrétion de tous ceux qui ont voulu y fouiller. On en trouvait dans toutes les boutiques d'épiciers etc. Enfin on les a vendus au papetier. On a conservé quelques terriers, mais tout avait été pillé et on n'a pris aucun soin d'extraire ce qui pouvait servir à l'histoire du pays" (Jean-Baptiste Lakairie, 2 avril 1810). La situation d'aujourd'hui traduit cette dispersion et les archives des chapitres (série G) font le plus souvent défaut. Les détails contenus dans le registre de délibérations du chapitre Saint-Géraud d'Aurillac (1741-1789) sur la (re)fondation de la maîtrise en 1747, son règlement, l'engagement d'un nouveau maître de musique, etc., laissent entrevoir le potentiel de la documentation perdue pour les autres lieux de musique. Bastien Mailhot a exploré cette série dans le cadre de son travail de thèse, achevé en 2014, faisant émerger de nouveaux musiciens, y compris pour des périodes plus reculées.

Les registres paroissiaux (série E) ont été mis à profit pour découvrir l'ensemble des effectifs de choriers employés par les chapitres pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Au delà de l'état civil qu'ils ont souvent permis d'établir, ils ont fait émerger toute une sociabilité dans laquelle ces ecclésiastiques se meuvent, révélant également leur cursus et les différentes étapes de leur parcours clérical et professionnel. Le dépouillement bibliographique réalisé en complément, a permis de faire émerger, finalement, une soixantaine de chantres et musiciens d'Église actifs en 1790 dans le Cantal.

Saint-Flour, petite cité épiscopale

• • • La cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Flour

Cathédrale de Saint-Flour

Cathédrale de Saint-Flour (photo Christophe Morel, 2014)

Le prieuré fondé par Odilon (vers 1019), abbé de Cluny formé à Brioude, fut sécularisé quand il devint cathédrale, lors de la création du diocèse de Saint-Flour en 1317. C'est également la seule paroisse de la ville (desservie par 15 prêtres communalistes). Rebâtie à la fin du XVe siècle en pierre de lave de Volvic, qui contribue à lui donner une allure austère, "l'église cathédrale n'a aucune ornementation, mais sa simplicité même n'est pas dépourvue d'élégance, et ses voûtes tapissées de nervures, qui retombent sur de légers piliers sans chapiteaux, produisent un effet imposant." (Mérimée, Notes d'un voyage en Auvergne, 1838). D'après la France ecclésiastique (1790), le chapitre est composé de vingt chanoines (dont trois dignitaires nommés archidiacre, trésorier et archiprêtre), de trois hebdomadiers "qui doivent savoir la musique", de vingt choriers prêtres, d'un maître de musique et d'un organiste, de cinq musiciens gagistes et de six enfants de chœur. Le fait que chaque chanoine nomme son chorier est une spécificité du lieu. D'après le Pouillé de 1760, le chapitre jouit d'un revenu de 15 800 livres. Le procès-verbal dressé en 1779 pour la nomination du nouvel évêque Claude-Marie Ruffo (1779-1801) précise que le revenu est fixé à 500 livres par chanoine, et 200 livres par semi-prébendé. Paul de Ribeyre, d'abord vicaire général du diocèse de Clermont pendant quinze ans, sous Massillon, puis évêque de Saint-Flour (de 1742 à 1776) avait par ailleurs fixé à 4 et 5 sols l'honoraire de chaque prêtre ou ecclésiastique qui assistera à la messe pour la chanter, avec tenue d'un registre pour une répartition équitable (art. 1er des statuts synodaux de 1743).

Tous les choriers actifs en 1790 ont été identifiés, seize d'entre eux sont prêtres. Un cursus-type de ces chantres a pu être défini : natifs de la paroisse de Saint-Flour, ils ont débuté comme enfants de chœur, sont passés par le collège et le séminaire de Saint-Flour, occupant une place de "bas chœur" avant de devenir prêtres du diocèse et d'occuper une place de chorier, et enfin, pour quelques-uns, une place de chanoine hebdomadier. Au final, une vie toute sanfloraine, jusqu'à la fin de leurs jours. Grâce aux registres paroissiaux, dans lesquels ils signent abondamment, on voit se dérouler les différentes étapes de leur vie au gré de leurs présences, comme parrains ou témoins. En 1781, le chapitre a souhaité faire rebâtir la maîtrise sur un nouvel emplacement, ce qui occasionna un conflit qui fut réglé en 1788.

En 1790, les postes de maître de musique et d'organiste sont occupés par une seule et même personne, Simon-Michel D'AGUET-GIRARDIN. Il a succédé à Claude BERTIER, prêtre communaliste et "bas chœur" organiste, et à Philippe FABRE, chanoine hebdomadier et maître de musique. Il fait figure d'exception dans ce petit monde quasi immobile, car à la différence de ses prédécesseurs, il a vicarié comme facteur d'orgues, organiste et maître de musique dans plusieurs établissements, dont certains sont bien éloignés de la Haute-Auvergne. À l'inverse des choriers, il est issu d'une famille d'artistes très itinérante et lorsqu'il s'installe à Saint-Flour, le cercle relationnel qui se met en place autour de lui comprend un peintre et un maître à danser. L'arrivée de ce musicien venu d'ailleurs est conforme à l'évolution globale qui touche la profession de musiciens employés au service des chapitres à la fin du XVIIIe siècle. Dans le Cantal, cette situation demeure exceptionnelle.

• • • La collégiale Notre-Dame de Saint-Flour et ses pauvres choriers

Prenant la suite d'une communauté de prêtres, le chapitre Notre-Dame de Saint-Flour, créé à la demande des prêtres en place, est constitué à la fin de l'Ancien Régime d'un prévôt, de neuf chanoines et de douze choriers (elle en a compté jusqu'à cinquante), l'évêque nommant un chorier et le chapitre disposant des autres bénéfices. Nous pouvons percevoir la manière dont ces choriers de Notre-Dame, s'identifient à un véritable corps depuis le Moyen Âge, à travers une concession d'indulgence accordée par l'évêque en 1454. Ces "paures coriers" – comme ils se nomment eux-mêmes dans le texte de ce document exceptionnel se sont fait représenter sous la protection de la Vierge, au nombre de 24, vêtus d'une aube, aumusse pliée sur le bras. Les quatre acolytes et les deux thuriféraires placés dans la partie inférieure de la composition pourraient correspondre aux six enfants de chœur. En intentant aux chanoines un procès et en se mettant sous la protection de l'évêque, les choriers manifestent des velléités d'indépendance de manière unie, comme c'est parfois le cas de la part des bas chœurs.

En 1790, le directoire du département a prévu que chaque chorier prêtre du chapitre collégial de Saint-Flour recevrait une pension de 303 livres, et les non-prêtres 263 livres.
Ces deux institutions font figure de modèles pour l'immense majorité des chapitres du diocèse : chacun dispose d'un effectif important de dix à vingt choriers, natifs de la paroisse, qui ne quittent pas la ville. Ils sont étroitement associés à la vie paroissiale. Faute de moyens suffisants pour entretenir des musiciens gagistes en quantité significative, les chanoines ont pu largement s'appuyer sur leur présence pour donner aux activités liturgiques l'éclat des effets d'un groupe nombreux, bien ordonné et rompu aux pratiques du lieu. Cette influence est également perceptible à un moindre degré dans les établissements où la pratique musicale émerge de manière plus modeste (voir autres lieux de musique).

• • • De l'enfant de chœur au chanoine, toute une vie sanfloraine

On a pu identifier 120 membres du bas chœur actifs pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, 83 à cathédrale, dont au moins 28 sont assurément actifs en 1790, et 37 à la collégiale, dont au moins 11 présents à la fermeture du chapitre. Comme chez les chanoines, et parfois grâce à leur appui, des logiques familiales sont à l'œuvre afin de favoriser des proches pour occuper des places de chorier au sein des chapitres. Le soutien des oncles chanoines pour leurs neveux s'exerce aussi pour leur donner accès à des places de choriers (Blandin COUTEL, François PRÉVOT,...). Les patronymes récurrents et certains actes paroissiaux permettent d'entrevoir les réseaux familiaux à l'œuvre chez les Bardol, les Bouschet, les Chauliaguet, les Julhe,...

En traitant la documentation sur le temps long, il a été possible d'établir un cursus type où les fonctions cléricales et musicales s'entremêlent étroitement : enfant de chœur, clerc tonsuré, chorier, sous-diacre, prêtre, chanoine hebdomadier (ou semi-prébendé), avec pour conséquence une large majorité de clercs (79 %), presque tous prêtres (71 %), présents dans les stalles basses du chœur. Le séminaire, à l'issue de deux années de théologie dispensées par le collège, accueille les anciens enfants de chœur. Il semble que très peu de choriers aient quitté Saint-Flour à un moment de leur existence ou aient simplement changé d'établissement au cours de leur vie. Pierre GARDISSARD passe de Notre-Dame à la cathédrale, mais il est une exception.

Il arrive que des prêtres communalistes soient employés comme "bas chœur" (Barthélémy CUSSAC, François JOUVE). Toutefois généralement, les membres du bas chœur qui ne sont pas des choriers, sont des employés laïcs, le plus souvent mariés.

Il est possible d'appréhender l'étude du groupe social que composent les musiciens d'Église à travers les liens qu'ils entretiennent entre eux dans les actes de la vie paroissiale. Chez les choriers, la petite communauté des prêtres assermentés prolonge en fait une sociabilité déjà en place avant 1790, que les registres paroissiaux ont permis de repérer. Jean-Baptiste BOUZON, Jean-François DAUDE, Durand DELMAS, Jean-Baptiste GRASSAL, Vital ROUDIL signent des actes ensemble, soit comme parrains, soit comme témoins, pendant les années qui précèdent la Révolution.

À Saint-Flour, les lieux d'enseignement que sont le collège et le séminaire offrent des débouchés aux choriers, avant et pendant la Révolution. JUERY, chorier de la cathédrale, professe la théologie. Claude DUSSER, chorier du chapitre Notre-Dame, est recruté en 1762 comme régent d'humanités après le départ des jésuites. En 1790-1791, trois enseignants sur les dix que compte l'établissement, dont Jean-Baptiste BOUZON, chorier de la cathédrale, prêtent serment. Vital ROUDIL (chorier à la cathédrale) et Durand DELMAS (chorier à la collégiale) rejoignent l'équipe des professeurs du collège. Bouzon devient principal ; en l'an IX, Roudil, est nommé professeur de grammaire de l'école centrale ouverte à Saint-Flour.

À la suite des chanoines de la cathédrale et de leur évêque, très mobilisés contre les réformes mises en place à partir de 1789, les choriers, par leur statut de bénéficier, participent aux événements induits par la constitution civile du clergé. Finalement, seuls sept membres des bas chœurs sanflorains ont manifesté des signes d'adhésion au nouveau régime. Certains d'entre eux ont néanmoins été inquiétés à un moment ou à un autre (Antoine SAURET). Dans le nouveau conseil épiscopal, on retrouve Jean-Baptiste GRASSAL parmi les vicaires épiscopaux, et Jean-François-Joseph DAUDE parmi les vice-directeurs du séminaire. Neuf prêtres seulement ont prêté serment en l'église paroissiale de Saint-Flour, parmi lesquels Bouzon, Roudil et Delmas, nommés curés ou desservants en mai 1791.
Sur les 38 clercs actifs à Saint-Flour en 1790, 15 sont clairement identifiés comme opposants à la Révolution. Combien d'entre eux participent au Te Deum en reconnaissance "pour la conservation du meilleur des Rois", le 3 avril 1791 ? La situation des choriers peut leur être pénible à vivre du fait de leur statut d'ecclésiastique qui les soumet au serment républicain. Plusieurs prêtres choriers qui s'y refusent sont emprisonnés à Aurillac et parfois menacés de déportation entre 1793 et 1797 : Claude BEAUFILS, Pierre DESESPESSE, Philippe FABRE, Georges JULHE, Antoine MOISSET, Antoine SAURET et Gabriel VAYRON, sont détenus dans les prisons du Buis et de Saint-Étienne. François JOUVE, Jean-Joseph RUAT et Jean COSTES figurent parmi la petite centaine de prêtres du département déportés en 1794 vers la Guyane française. Certains choriers ont tenté d'émigrer : Pierre GENDRE, Antoine VAZEILLE, Jean VEDRINES. Quant à Guillaume VIDAL, il est poursuivi pour avoir pratiqué le culte de manière jugée irrégulière.

Aurillac et ses musiciens venus d'ailleurs

Cette cité s'est développée autour de la puissante abbaye Saint-Géraud. Elle avait accueilli Gerbert d'Aurillac, qui y reçut sa formation et qui, devenu évêque de Reims puis de Ravenne, fut élu pape sous le nom de Sylvestre II en 999. L'abbé, tout en ayant conservé quelques pouvoirs, cède largement son autorité à l'époque moderne, aux consuls et au pouvoir royal.
En 1723, Aurillac comptait 4 % de clercs. En 1746, sur 6 750 habitants, 210 étaient des réguliers dont trois quarts de femmes. Ils se répartissent entre six maisons, quatre destinées aux femmes, les bénédictines, les clarisses, les religieuses de Notre-Dame et les visitandines, et deux aux hommes, les carmes et les cordeliers. La pratique de la musique n'a laissé que peu de traces. Chez les visitandines, lors de la cérémonie célébrée le 2 juillet 1651, on chanta une grande messe accompagnée en musique. En 1732, Marguerite Cécile Serrieys fut reçue à l'habit comme religieuse de chœur. En 1791, parmi les professes, on relève le nom de Marie Latapie, dite sœur Cécile, nom de religion peut-être emprunté à la patronne des musiciennes pour des raisons de pratique instrumentale ou vocale, ce qui s'observe fréquemment.

• • • La collégiale Saint-Géraud d'Aurillac, véritable petit foyer musical

Au Moyen Âge, cette abbaye bénédictine revendiquait une dépendance directe au Saint-Siège, ce qui avait incité l'abbé à décliner l'offre de siège épiscopal en 1317. Brioude ayant fait de même, c'est Saint-Flour qui avait finalement été retenu. L'abbaye Saint-Géraud fut sécularisée en 1561 mais le nouveau chapitre préserva son indépendance vis-à-vis de l'évêché. Le chapitre, dont le revenu est estimé à 12 000 livres (Expilly), est composé d'un doyen, d'un chantre, d'un aumônier, d'un sacristain, de huit chanoines (1 100 livres de revenu chacun) et de deux chanoines semi-prébendés, nommés par l'abbé, auxquels s'ajoutent quatre enfants de chœur. Une prébende préceptorale unie au collège complète ce dispositif.

Plusieurs éléments permettent d'appréhender la vie musicale du lieu. Les exigences en matière musicale sont clairement énoncées dans les différents règlements : tous les membres "sont tenus et obligés de se trouver in habitu, de chanter et psalmodier" (règlement de 1673, art. 2), "le chapitre ne recevra aucun prébendier qui ne sache le plain-chant, comme aussi tous ceux qui seront de semaine" (art. 6) ; les choristes sont recrutés après que les chanoines les ont écouté chanter. L'achat d'un serpent en 1731 constitue un indice supplémentaire de pratique cantorale.

En 1747, prenant appui sur une activité musicale antérieure (deux musiciens externes et trois enfants de chœur), la maîtrise est refondée. Elle comprend quatre prébendes pour le chant de l'office, un maître de musique, un maître de latin et cinq enfants de chœur.

Maison de la maîtrise de Saint-Géraud d'Aurillac

Maison de la maîtrise de Saint-Géraud d'Aurillac (avant 1752), Rue des Frères-Delmas (photo Vincent Flauraud, 2010)

La maison de la maîtrise est transférée dans un pavillon du chevet de l'église en 1752. Contrairement aux établissements précédemment rencontrés, le chapitre a recours principalement à des musiciens venus d'ailleurs : Annibal Gantez prétend avoir exercé ses talents à Aurillac, sans que son passage n'ait pu cependant être relevé dans les archives. Plus concrètement, le chapitre reçoit Guillaume COMTE (1747-1751 environ) venu de Conques, puis Guillaume LAGÉ (1751). En 1756, il a également pressenti Jean-Vincent ALIBERT, de Pézenas, pour occuper le poste de maître de musique. La présence de l'orgue suscite également le passage de musiciens : Louis SOUCHON, arrivé d'Ambert (Puy-de-Dôme) en 1760 cède rapidement la place à Joseph FRANC (1761-1763). C'est Nicolas Jean GUEUDRY, originaire de Normandie, passé par Moulins et organiste titulaire depuis 1763, qui, vers 1779, prend en mains un nouvel instrument sorti de l'atelier du facteur dijonnais Joseph RABINY. Ce dernier est présent à Aurillac au début de l'année 1780 lorsque l'organiste marie sa fille. En 1781, au Te Deum donné afin de célébrer la naissance du dauphin, est ajouté un motet Vivat Rex composé pour la circonstance.

Le vocabulaire des fonctions exercées ne fait guère référence à une activité musicale de manière explicite. Ces hommes sont rarement dits "musicien", mais plutôt "prébendier", "bas chœur" ou "choriste".

En 1790, aux côtés des prébendiers, dont beaucoup ont pu être identifiés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le chapitre emploie plusieurs musiciens laïcs : Antoine CRÉMONT, maître de musique, Nicolas Jean GUEUDRY, organiste et Jean-Baptiste LAKAIRIE, choriste gagiste, ainsi que cinq enfants de chœur. Aux relations professionnelles qui lient tous ces musiciens, s'ajoute la constitution d'un réseau familial.

La paroisse Saint-Étienne (située hors les murs) est transférée à Saint-Géraud en mai 1792. CHAMBON, prêtre constitutionnel, marié en l'an II, est reçu organiste mais le Concordat ne lui permettra pas de reprendre ses fonctions. D'après Jean-Baptiste LAKAIRIE (Journal du 23 brumaire an XII [15 novembre 1803]), le poste est alors attribué à son beau-frère Joseph CRÉMONT, initié à l'orgue par leur beau-père, Gueudry.

En matière de célébrations civiques, le dynamisme de la ville fait l'objet d'éloges de la part des autorités parisiennes. Citée au côté de Toulon, Montpellier et Toulouse, "la commune d'Aurillac, qui a su mettre dans ses fêtes un éclat et un goût que l'on aurait à peine attendu des communes les plus populeuses et les plus riches", est montrée en exemple dans les programmes et correspondances pour les fêtes publiques diffusées depuis Paris (document conservé aux Arch. dép. de Charente-Maritime, cote L 146). Le petit groupe d'artistes entre de plain-pied dans les changements que la Révolution provoque dans la société aurillacoise. Les activités musicales se multiplient, exercées désormais tant dans le registre religieux que profane. J.-B. Lakairie compose pour toutes sortes de fêtes, dont la fête des époux. Dans ce contexte de renouvellement des pratiques musicales, de nouveaux venus font leur apparition : FRÉDÉRIC, un organiste alsacien, SCHMELING, un maître de musique d'origine saxonne, MONILLA, prisonnier espagnol, que la petite société adopte rapidement grâce aux nouveaux instruments qu'il transporte dans ses bagages et que les musiciens du cru s'approprient. Le plus jeune musicien de la famille Crémont, Pierre (1784-1846), fils d'Antoine, n'est âgé que de 6 ans en 1790, mais c'est un prodige du violon. Il est le témoin d'activités multiples autour de lui : musique d'Église, orgue, fêtes républicaines, bals et concerts, soit un vivier on ne peut plus favorable pour celui qui devint par la suite le plus célèbre des musiciens d'origine aurillacoise. Appelé à jouer sur les grandes scènes européennes et parisiennes, il maintiendra des liens avec sa ville natale et les musiciens du cru, qui bénéficieront de son talent à l'occasion de ses passages en Auvergne.

• • • La modeste église Notre-Dame d'Aurillac

À Aurillac, l'église paroissiale Notre-Dame s'organise autour d'une communauté de prêtres, très nombreuse au XVIe siècle (soixante membres et quatre enfants de chœur), réduite progressivement jusqu'à la fin du XVIIIe siècle où elle compte 25 prêtres, deux choristes et quatre enfants de chœur. Le lieu ne peut certes pas rivaliser avec la collégiale voisine de Saint-Géraud, mais il a cependant abrité un orgue à partir de 1685, que le facteur Jean MAUREL, prêtre prébendé de Bozouls [Aveyron], réalisa pour 500 livres. L'instrument serait resté en place jusqu'en 1786. En 1790, la paroisse emploie un choriste laïc, Joseph CRÉMONT, frère du maître de musique de Saint-Géraud et gendre de l'organiste Gueudry, qui a en charge les quatre enfants de chœur.

Les autres lieux de musique cantaliens

L'ancien diocèse de Saint-Flour comprenait des établissements dignes d'intérêt en ce qui concerne la musique, mais situés hors de l'actuel département du Cantal. Il s'agit de Saint-Julien de Brioude et de Saint-Pierre de Blesle, qui relèvent de la Haute-Loire.

• • • Le clergé séculier du  diocèse de Saint-Flour

• Le bas chœur du chapitre de Chaudes-Aigues, correspondait initialement à une communauté de prêtres placée sous le patronage de Saint-Blaise, puis l'évêque de Saint-Flour a accédé à la demande des ecclésiastiques d'être reconnus comme chapitre sous le nom de Notre-Dame et Saint-Blaise. En 1762, ce chapitre était composé d'un curé et de neuf chanoines, au sein de l'église Saint-Martin, et comptait dans ses rangs des choriers dont le nombre n'était pas limité. Il n'a toutefois pas été possible de déterminer clairement si des chantres exerçaient dans ce lieu à la fin de l'Ancien Régime.

Collégiale Notre-Dame de Murat

Collégiale Notre-Dame de Murat (photo Patrick Nouhailler, 2011)

Ayant pris la suite d'une communauté de prêtres au milieu du XIVe siècle, la collégiale Notre-Dame de Murat comptait dix chanoines et dix choriers en 1367. Plusieurs maîtres de musique ont été identifiés pour le XVIIe siècle. Faute de moyens suffisants, la collégiale a vu son effectif réduit, en 1771, de quatorze à huit prébendes et à trois semi-prébendes, quatre enfants de chœur complétant le bas chœur. Tout au long du XVIIIe siècle, les semi-prébendés, nommés par le chapitre, sont tous dits "choriers" dans leur acte de décès. Les titulaires en service en 1790 ont pu être identifiés (Louis FOYDON, Jean Antoine GAUTHIER et Blaise PESCHAU). Leur cursus est similaire ; ils ont tous débuté leur carrière comme enfant de chœur du chapitre. Géraud COURTADE, lui aussi ancien enfant de chœur, complète l'effectif comme habitué remplissant les fonctions de chantre et de sacristain. Le 17 novembre 1791, le conseil général de la commune de Murat décide de rémunérer deux chantres, Laurent BENDER (également maître de musique ; est-ce lui qui exerçait avant 1790 ?) et Géraud COURTADE ainsi que deux enfants de chœur, Jacques MALASSAIGNE et Jean ROCHE. Ces derniers sont mentionnés dans des documents jusqu'en 1793-1794. Le 4 juin 1793, le service est réduit à deux chantres et un seul enfant de chœur (le fils Roche). En 1798, Blaise Peschau, l'ancien semi-prébendé, est déporté dans l'île de Ré.

• La collégiale de la Nativité de la Vierge de Villedieu est la seule collégiale créée ex-nihilo par l'évêque Pierre d'Estaing dont la famille possède la collation des six prébendes canoniales. C'est aussi la plus modeste des collégiales du diocèse. La motivation de la fondation consiste à ce que les futurs chanoines prient pour les évêques défunts et pour la famille du fondateur. Dans ce contexte, on pourrait concevoir comme probable un apparat minimal, avec par exemple, la présence d'un chantre. Mais en l'état actuel, aucune trace de musique ni de chant n'a été relevée.

• Les nombreuses communautés de prêtres qui ne furent pas transformées en collégiales constituent des petits viviers de pratique du plain-chant, et on relève parfois la présence d'un chantre ou d'enfants de chœur au XVIIIe siècle, comme à Vic-sur-Cère (Géraud CHASTRES).

• • • Le clergé régulier  du  diocèse de Saint-Flour

À Saint-Flour même, la chapelle des jacobins est convertie en Temple de la Raison le 15 décembre 1793 [25 frimaire an II], tandis qu'à Aurillac, l'église du couvent des religieuses de Notre-Dame, fermée en 1792, devient la Comédie en l'an VI [1809]. L'enquête Muséfrem n'a pas permis de caractériser une pratique musicale antérieure.

La première maison de filles créée à Saint-Flour accueillit les visitandines (1628). En 1767, la canonisation de Jeanne de Chantal – qui avait honoré la cité d'une visite lors de la fondation – fut l'occasion de plusieurs cérémonies. Dans la chapelle, Mgr de Ribeyre entonna un Te Deum, repris par des musiciens placés dans la tribune, au fond de l'édifice. Le lendemain, 10 septembre 1767, une messe en musique fut célébrée pontificalement par Mgr de Ribeyre. Le soir, les vêpres en musique clôturèrent la journée. Le lendemain, à la collégiale Notre-Dame, il y eut une messe chantée. Le mardi 12 septembre, les cérémonies prirent fin avec un Te Deum chanté à la cathédrale.

• • • Dans le diocèse de Clermont

De Mauriac, chef-lieu d'archiprêtré, ni de son église Notre-Dame-des-Miracles (qui ne sera appelée basilique qu'en 1846), ni des paroisses alentour, ne parviennent après 1790 demandes de pensions ou pétitions spécifiquement liées aux activités musicales des prêtres ou des laïcs. La musique d'Église participe cependant à la magnificence du culte et ce depuis longtemps grâce à une communauté de "prêtres-filleuls", structure qui prend pour modèle l'organisation des chapitres collégiaux. Le plain-chant occupe une place privilégiée dans la vie de ces communalistes. Le règlement de 1741 stipule la présence d'un sous-chantre, fonction assez proche de celle de maître de musique, pour l'encadrement des membres du chœur (voir le chapitre Puy-de-Dôme).
Le collège de Mauriac, dirigé par les jésuites, a été pour beaucoup de fils de la bourgeoisie de toute la contrée aux confins de l'Auvergne et du Limousin, un lieu d'apprentissage reconnu, dans lequel la musique, et en particulier le chant, tenait une place importante.
Jean-François MARMONTEL, encyclopédiste, académicien, librettiste d'opéras de GRÉTRY, évoque dans ses Mémoires ses années au collège de Mauriac entre 1734 et 1738. Il y évoque un Te Deum qu'il propose à ses condisciples de chanter pour rendre grâce à Dieu de leurs années d'études : "Au même instant je les vis tous se ranger auprès de l’autel ; et, au milieu d’un profond silence, l’un de nos camarades, Valarché, dont la voix le disputoit à celle des taureaux du Cantal, où il étoit né, entonna l’hymne de louanges ; cinquante voix lui répondirent, et l’on imagine sans peine quel fut l’étonnement de tout le collège au bruit imprévu et soudain de ce concert de voix." (Mémoires, t. I).
Dans ce collège, Marmontel a côtoyé les prêtres-filleuls dont on a retrouvé les noms dans les registres paroissiaux et qui pour certains assumaient aussi des fonctions de professeurs pendant et après la Révolution. Antoine CHAVIALE, chantre à Paris avant de rejoindre la famille Chappe, originaire elle aussi de Mauriac, dans le développement du télégraphe, a certainement fait ses études au collège royal de Mauriac en compagnie d'Étienne LEYMONIES, de Gaspard COUNIL, Jacques VILLEBONNET ou Antoine SEDILLOT.

Lutrin de l'église de Salers

Lutrin de l'église de Salers, avant restauration (photo Isabelle Fernandez, 2012)

Dans la ville de Salers, en dépit de la faiblesse de sa population (1 134 habitants en 1793), une réelle vie culturelle se déploie. Elle accueille des maîtres à danser et des musiciens. Les prêtres réunis en communauté au sein de l'église Saint-Matthieu sont tenus de chanter au chœur chaque jour. La pratique de la musique est attestée à travers des mentions éparses. Le chapitre a entretenu un maître de plain-chant et un orgue, et au milieu du XVIIIe siècle, on compte trois enfants de chœur. On relève la présence de Jean Louis GRATIEUX (dit "La Jarasse", mais aussi "roi des violons de Salers"), qui a pratiqué diverses activités, dont celle de chantre, attestée à Salers en 1742, et qui est parti ensuite exercer ses talents au service du chapitre de Billom [Puy-de-Dôme]. On relève également la présence de ce maître musicien au service des filles de Notre-Dame de Salers. En 1793, Guillaume BANCHAREL est "conservé", "attendu qu'il est indispensable de conserver à ladite église un chantre pour aider le curé dans ses fonctions". Nous ignorons s'il était déjà en poste en 1790 (le verbe "conserver" incite à penser que oui).

Le chapitre collégial Notre-Dame de Saint-Chamant, à l'extrémité sud du diocèse de Clermont, compta six à douze chanoines et deux choriers mais ces derniers n'ont pas pu être identifiés pour la fin du XVIIIe siècle. Cependant, la richesse du mobilier et la qualité des décors témoignent du niveau atteint en matière d'activité artistique. Les 32 stalles sculptées (XVe-XVIe siècles, aujourd'hui dispersées, la collégiale ayant été détruite), offrent un témoignage rare d'iconographie musicale : Sainte Cécile à l'orgue, chantre en action, joueurs de luth et de trompette, sont autant d'indices d'une place importante donnée à la musique dans son enceinte.

• • •

Au regard de l'ensemble de l'enquête Muséfrem, le Cantal pourrait être considéré comme un "angle mort" de l'activité musicale dans les églises à la fin de l'Ancien Régime : la faiblesse des revenus ecclésiastiques et l'éloignement des réseaux et des circulations artistiques d'échelle nationale limitent les possibilités de développement. En dehors de quelques études locales, aucune vision d'ensemble n'avait été envisagée jusqu'à présent et c'est bien l'accomplissement d'une enquête nationale sur les musiciens d'Église qui a suscité cet état des lieux, en faisant du département du Cantal un objet d'étude comme les autres, ni mieux, ni moins bien loti a priori. En 2010, 25 musiciens avaient déjà été identifiés (B. Dompnier (dir.), Bas chœurs d'Auvergne [...], p. 374). Ils sont désormais une soixantaine connus comme actifs à l'Église en 1790, répartis dans un petit nombre de lieux, et dans des fonctions où la musique figurée n'occupe que peu de place.
Toutefois, et toutes choses égales par ailleurs, une vie musicale existe bel et bien, avec ses logiques et sa structuration propres. Loin de l'éclat et de la majesté offerts par les grandes cathédrales du royaume, Saint-Flour, à son niveau de modeste capitale épiscopale, et plusieurs collégiales, proposent une mise en scène véritable de la célébration du culte, en s'appuyant largement sur le plain-chant, grâce à des effectifs nombreux et bien formés localement. Les choriers forment un corps au sein duquel les fonctions cérémonielles et musicales s'entremêlent étroitement, comme cela a déjà été repéré dans d'autres villes du Massif central (Le Puy, Mende,...).
Bien que présente dans quelques établissements, la musique semble cependant globalement peu pratiquée au regard du nombre de prieurés, chapitres et autres couvents implantés dans le Cantal. Même s'il reste sans doute des chantres et des enfants de chœur à découvrir dans la centaine de communautés de prêtres établie sur l'ensemble du territoire, à la densité des établissements ne correspond pas la densité de la pratique musicale telle que l'on peut l'observer dans certains départements à cette même date charnière qu'est 1790. L'absence quasi généralisée d'orgues à cette époque accentue cette impression.
Il est souvent difficile de renseigner l'état civil de ces musiciens, par le simple fait qu'ils étaient prêtres. Bien qu'ils soient présents dans les registres paroissiaux, ils ne laissent pas dans ces archives les indices qu'un père de famille sème à travers son acte de mariage et les actes de baptêmes de ses enfants. Sans descendance directe, ils ne figurent que rarement dans les arbres collaboratifs des généalogistes.

Isabelle LANGLOIS,
CHEC, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand (septembre 2015)
Mise à jour : Patrick Bec et Isabelle Langlois (juin 2020)

 Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de, notamment :
Patrick Bec, Lluis Bertran, Xavier Bisaro, Laurent Borne, François Caillou, Thomas D'Hour, Bernard Dompnier, Jean Duron, Isabelle Fernandez, Vincent Flauraud, Stéphane Gomis, Sylvie Granger, Frédéric de La Grandville, Bastien Mailhot, Christophe Maillard, Édith Marois, Frédéric Pige, Françoise Talvard et Cyril Triolaire.

Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC)

>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.
L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.

 

Les lieux de musique en 1790 dans le Cantal

Les lieux de musique documentés pour 1790 dans le département sont présentés par catégories d’établissements : cathédrale, collégiales, abbayes, monastères et couvents, autres établissements (par exemple d’enseignement, de charité…), paroisses (ces dernières selon l’ordre alphabétique de la localité au sein de chaque diocèse).

Carte des lieux de musique dans le Cantal en 1790.

Les lieux de musique d'Église documentés en 1790 dans le département du Cantal

Diocèse de Saint-Flour

Diocèse de Clermont

  

Pour en savoir plus : indications bibliographiques

  • François LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999, 367 pages, [sur Aurillac : p. 71-72 ; rien sur Saint-Flour]
  • Philippe BOURDIN, "Confessions d'un enfant de chœur. Jean-Baptiste Lakairie (1765-1829)", Bernard Dompnier (dir.), Les Bas chœurs d'Auvergne et du Velay. Le métier de musicien d'Église aux XVIIe et XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2010, p. 205-254.
  • Pierre CHASSANG, Les Pays de Saint-Flour et de Murat, dits de Saint-Flour Haute-Auvergne, des origines à la fin du XVIIIe siècle, Aurillac, Gerbert, 2003, 479 pages.
  • Pierre CHASSANG, 1789-1794, la Révolution dans les districts de Saint-Flour et de Murat, Nonette, Créer, 2008, 613 pages.
  • Hervé CHOPIN, "Les collégiales du diocèse de Saint-Flour au Moyen Âge", Collégiales et chanoines dans le centre de la France du Moyen Âge à la Révolution, Limoges, Pulim, 2010, p. 37-56.
  • Jean DELMAS, "Les prêtres du Cantal déportés pendant la Révolution", Revue de la Haute-Auvergne, 1911, p. 257-272.
  • Bernard DOMPNIER (dir.), Les bas chœurs d'Auvergne et du Velay. Le métier de musicien d'Église aux XVIIe et XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2010, 404 pages.
  • Georges ESCOFFIER, "La maîtrise de la collégiale d'Aurillac : une institution sans tradition", Revue de musicologie, 1995, p. 247-259.
  • Benjamin FAUCHER, "Formation et organisation du département du Cantal", Revue de la Haute-Auvergne, 1911-1912, 105 pages.
  • Isabelle FERNANDEZ, "Musique et danse en pays de Salers - XVIIe et XVIIIe siècles", Nostra Istoria. Bulletin de la Société historique du Pays de Salers, t. 4, 4e année, 2012, p. 4-17.
  • Stéphane GOMIS, Les "enfants prêtres" des paroisses d'Auvergne, XVIe-XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2006, 546 pages.
  • Stéphane GOMIS, "Les "clercs musiciens" en France à la fin du XVIIIe siècle", Revue de musicologie, t. 94, 2008, no 2, p. 275-287.
  • Stéphane GOMIS, "Les collégiales et les chanoines du diocèse de Clermont à l’époque moderne", Anne Massoni (dir.), Collégiales et chanoines dans le centre de la France du Moyen Age à la Révolution (ancienne province ecclésiastique de Bourges), Limoges, PULIM, 2010, p. 111-143.
  • Pierre Marie GUÉRITEY, "Joseph Rabiny et l'orgue de Saint-Géraud à Aurillac", Revue de la Haute-Auvergne, 2014/1, p. 43-60.
  • Isabelle LANGLOIS, "Les musiciens d’Église du Cantal autour de 1790. L’enquête Muséfrem en ligne", Revue de la Haute-Auvergne, Aurillac, 2016, n°78, p.149-152.
  • Bastien MAILHOT, Les enfants de chœur des maîtrises du Centre de la France. Les institutions capitulaires d’éducation et leurs élèves aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse de doctorat d'histoire, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, 2014, 691 pages.
  • Bastien MAILHOT, Les Enfants de chœur des églises du Centre de la France, Les institutions capitulaires d’éducation et leurs élèves aux XVIIe et XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, PUBP, 2018, 322 p.
  • André MUZAC, "Pierre Crémont, compositeur aurillacois (1784-1846)", Revue de la Haute-Auvergne, t. 49-51, 1984-1987, 80 pages.
  • Orgues d’Auvergne. Inventaire des instruments de l’Allier, du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme, Clermont-Ferrand, AREPAMA, 1989.

Bibliographie élaborée par Isabelle Langlois
(septembre 2015)
Mise à jour : juin 2020

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