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Pour citer Muséfrem
1790 : un "moment" documentaire exceptionnel
L’enquête MUSÉFREM (Musiques d’Église en France à l’époque moderne) concerne avant tout les musiciens qui, à l’extrême fin de l’Ancien Régime, étaient en poste dans tous les établissements religieux de France dont la fonction principale était la récitation et le chant de l’office (abbayes, monastères, chapitres).
L’enquête est fondée sur les nombreux documents suscités par les changements des années 1790. Cette date a été choisie car elle correspond à un moment documentaire exceptionnel.
Pourquoi tant de sources ?
À partir de 1790, l’organisation du culte catholique est bousculée en profondeur par la succession des réformes issues de la nationalisation des biens d’Église et de la Constitution civile du clergé : suppression des chapitres, fermeture des abbayes, puis, peu après, regroupements de paroisses urbaines... Comme d’autres employés des établissements religieux, de nombreux musiciens se retrouvent en grande difficulté alors que, pour la plupart, ils croyaient leur place, et leur revenu, assurés sur le long terme, et ce depuis leurs « plus tendres années » d’enfants de chœur.
Après une phase d’incertitude, l’administration nouvelle met en place des procédures de secours et d’indemnisation graduées selon l’âge et l’ancienneté dans le service de l’Église. Plusieurs textes législatifs se succèdent sur le sujet.
Parmi eux :
- Le Décret du 24 juillet 1790 prévoit dans son article XIII : « Il pourra être accordé, sur l’avis des directoires de département et de district, aux ecclésiastiques […] ainsi qu’aux officiers laïques, organistes, musiciens, et autres personnes employées pour le service divin […] un traitement, soit en gratification, soit en pension, suivant le tems, le taux et la nature de leurs services et eu égard à leur âge et leurs infirmités […] »…
- La Loi du 1er juillet 1792 « relative aux Chantres, Musiciens, Officiers & Employés ecclésiastiques & laïcs des chapitres supprimés » établit des principes solides. Par exemple les musiciens âgés de moins de 50 ans et ayant moins de dix ans d’ancienneté ne toucheront qu’une gratification « une fois donnée » d’une année de traitement. À l’autre extrémité, les musiciens ayant plus de 50 ans et 30 ans d’ancienneté continueront à toucher 100 % de leur salaire antérieur, dans la limite toutefois d’un plafond de 400 livres. Seuls ceux qui pourront prouver qu’ils avaient été « reçus à vie », c’est-à-dire avec la promesse d’un revenu jusqu’à leur mort, continueront à toucher l’intégralité de leur salaire antérieur, ou de la retraite antérieurement fixée.
Très logiquement, ces dispositions incitent les ci-devant serviteurs du culte à effectuer diverses démarches, à rédiger pétitions et requêtes, à constituer des dossiers pour obtenir les secours prévus. C’est ce qui explique la richesse de la documentation disponible, et sa cohérence.
Quels types de sources ?
Ces dossiers de musiciens se retrouvent d’une part dans les papiers du Comité ecclésiastique créé par la Constituante dès le 12 août 1789, papiers qui forment la sous-série D XIX aux Archives nationales (103 cartons et 12 registres), à laquelle succède ensuite la sous-série F19 ; et d’autre part au niveau des administrations locales, municipalité, district, département, dont les papiers se retrouvent essentiellement dans la série L des archives départementales (notamment dans les cotes « cultes » des districts et des départements), mais aussi parfois dans la série Q, et dans certains cas aux archives municipales…
La transmission d’un niveau à l’autre, et plus encore ultérieurement la conservation, ont été soumis à divers aléas. De ce fait, aujourd’hui, on ne rencontre pas les mêmes documents selon les échelons d’archivage, ni parfois tout à fait les mêmes musiciens… C’est pourquoi, après avoir commencé l’enquête aux Archives nationales seules, et avoir constaté que certaines grandes églises n’y étaient pas documentées, il a été très rapidement évident qu’il fallait l’élargir à tous les dépôts départementaux. Ce tour de France a été effectué essentiellement entre 2007 et 2011, avec d'incessants prolongements postérieurs, le dépouillement des sources parisiennes étant toujours en cours (2021).
-> La première nécessité pour l’administration a été de recenser les personnes concernées : d’innombrables « états », listes, tableaux sont dressés.
Ils permettent aujourd’hui un premier repérage sommaire des musiciens des chapitres cathédraux et collégiaux et des abbayes.
Ce repérage est complété ou précisé pour l’historien grâce aux visites des abbayes, monastères et couvents effectuées par les autorités civiles durant la seconde moitié de l’année 1790 : les inventaires dressés alors mentionnent en principe systématiquement les orgues, aigles et autres « objets du chant », et font comparaître l’ensemble du personnel de l’établissement, parmi lequel, parfois, un ou une organiste…
-> Dans de très nombreuses églises, les musiciens ont rédigé des pétitions collectives, signées de tous leurs noms réunis, parfois nantis d’une précision professionnelle (« Lorin, organiste »). En un seul document, on a ainsi l’ensemble de la structure musicale d’une église, ce qui est précieux pour résoudre la question des effectifs.
-> Les documents incontestablement les plus riches pour notre enquête sont les dossiers individuels que s’affairent à rassembler musiciens et musiciennes. Dans le but d’obtenir l’aide publique la plus élevée possible, tous cherchent à mettre en valeur l’ancienneté de leur expérience. Pour cela ils rédigent des requêtes individuelles dans lesquelles ils procèdent à de véritables reconstitutions de carrière, étayées sur les certificats de leurs employeurs passés, certificats qui ont été conservés soigneusement depuis la date de leur départ, parfois des années auparavant, ou bien qu’ils réclament a posteriori pour compléter leur dossier.
À ces documents de base s’en ajoutent d’autres, de divers types, qui complètent les portraits déjà bien esquissés : certificats médicaux, certificats de résidence, attestation de prestation de serment… ainsi que les avis des municipalités, des directoires de district ou de département qui, chacun à leur manière, peuvent apporter des éléments nouveaux, parfois inattendus.
-> Contrepoint utile, lorsqu’ils étaient conservés et aisément accessibles, les derniers registres capitulaires ont souvent été dépouillés pour les années proches de 1790 (série G), ainsi que les derniers comptes des abbayes et couvents (série H).
-> Enfin, copie de son acte de baptême est en principe jointe à son dossier par le musicien, qui ne manque pas de faire aussi allusion, le cas échéant, à son épouse et à ses nombreux enfants à charge… Chaque fois que cela a été possible, les enquêteurs Muséfrem ont donc cherché à compléter le dossier par les actes d’état civil (baptême, mariage, baptême des enfants, décès), qui sont souvent très révélateurs des liens sociaux, amicaux et familiaux, et parfois de la pluriactivité du musicien concerné.
-> Dans quelques cas exceptionnels, on a enfin pu parfaire le dossier par des actes notariés complémentaires (contrat de mariage, inventaire ou vente après décès), ou encore par des partitions retrouvées qui parfois portent des indications précieuses ("par Mr l'abbé Schorn, maître/ de musique de la Collégiale/ de St Pierre à Lille. 1788").
- Sauf destruction accidentelle des archives par les chocs de l’histoire (Loiret, Manche …), cette documentation liée aux procédures de secours des années 1790 se trouve répandue partout en France. Elle fournit une masse de documents de même nature, obéissant aux mêmes logiques, et très resserrés chronologiquement (essentiellement 1790-1792). C’est cette homogénéité qui en fait la force et la valeur.
- Signalons cependant deux biais qui peuvent l’affaiblir. Le premier est créé par la difficulté de ranger ou non dans la catégorie des musiciens un certain nombre de bénéficiers. Cette situation est fréquente en particulier dans les diocèses de la moitié sud du pays où les sources ne permettent pas toujours de trancher clairement entre les bénéficiers musiciens et ceux qui ne le sont pas. La même difficulté peut exister ailleurs que dans le sud : ainsi à Vannes, certains des musiciens sont cachés sous le statut d'archiprêtre.
- Le second biais observable est la moindre présence dans les sources, et donc dans la base de données, des musiciens les plus jeunes ou les plus doués pour se recycler rapidement. Sachant ne pas pouvoir espérer de secours important en raison de leur très faible ancienneté, ils n’ont pas forcément pris la peine d’établir un dossier et de ce fait nous échappent.
- Il en va de même des musiciens les moins fortement professionnalisés (chantres artisans, musiciens des paroisses, femmes organistes à temps très partiel …) qui n’étaient pas compris dans les dispositifs de secours officiels mis en place. Les uns comme les autres sont parfois repérables dans les états et inventaires de 1790 ou, surtout, dans l’état civil.
Grâce à cet ensemble documentaire à l’échelle nationale, et singulièrement grâce aux inestimables dossiers individuels permettant de solides reconstitutions de carrière, on peut embrasser plusieurs décennies de l’Ancien Régime. Même si son point de départ (comme sa finalité) est la connaissance de la situation musicale en 1790 des cathédrales, collégiales et abbayes, il est évident que la base Muséfrem va bien au delà et éclaire en profondeur les réalités du monde musical du XVIIIe siècle.
Outil technique au service d’un projet scientifique, la base Muséfrem verra ses potentialités démultipliées dans un proche avenir par le croisement avec les autres bases de données mises en œuvre au sein de Philidor, notamment la base Therepsicore, consacrée aux acteurs et comédiens du tout début XIXe siècle. D’ores et déjà, elle apporte des informations précieuses tant aux musicologues qu’aux historiens de la société et des faits culturels, mais aussi à tous ceux qui s’intéressent à la construction du présent à travers l’observation des réalités du passé.
Pour l'équipe MUSÉFREM,
Sylvie GRANGER (mai 2014)