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Ardennes

Musique et musiciens d’Église dans le département des ARDENNES autour de 1790

Sommaire

Liste des musiciens des Ardennes

Url pérenne : http://philidor.cmbv.fr/musefrem/ardennes

     Le département des Ardennes tire son nom « de la forêt considérable & montagneuse qui en occupe la partie septentrionale […]. Il renferme la partie septentrionale de l’ancienne Champagne », expose le rédacteur de La République française en LXXXIV départemens (1793). En apparence, il ne s’agit pas d’une terre de musique : le Dictionnaire musical des villes de province de François Lesure ignore totalement les Ardennes. Cependant, tout n’est pas aussi simple.

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Vue de Mézières en Champagne prise sur la route de Flandres, dessin à la plume et encre de Chine par Savart, 1780, 21 x 34,5 cm (BnF)

Vue de Mézières en Champagne prise sur la route de Flandres, dessin à la plume et encre de Chine par Savart, 1780, 21 x 34,5 cm (BnF)

Présentation du département

Une Champagne septentrionale élargie

Sur le plan administratif, le département des Ardennes englobe au nord et à l’est des terres qui ne relèvent pas stricto sensu de la Champagne historique. À la fin de l’Ancien Régime, la zone parfois appelée « la pointe », formée des cantons de Givet, Fumay et Revin, appartient à l’intendance de Hainaut, tout comme les places fortes de Philippeville et de Mariembourg, enclavées à l’intérieur des Pays-Bas autrichiens. À l’est, le Sedanais, Carignan et Mouzon sont situés aux confins occidentaux de la généralité de Metz. L’espace ardennais regroupe un agrégat de territoires disparates dont certains ont intégré le royaume de France depuis peu. Au début du XVIIe siècle, trois principautés souveraines occupaient le quart nord-est du futur département : Château-Regnault, un domaine des Guise, Sedan, sous l’autorité des princes de Turenne, et Arches, où en 1606 Charles de Nevers a commencé à élever la ville nouvelle de Charleville. Le cardinal de Richelieu, qui ambitionnait de faire de la Meuse un rempart contre le Saint-Empire, fit acheter Château-Regnault en 1629. La principauté de Sedan perdit son indépendance en 1642 à la suite de l’implication du duc Frédéric-Maurice de La Tour d’Auvergne dans la conspiration de Cinq-Mars. Sa voisine Arches fut absorbée par la France à la mort du dernier prince issu des Gonzague, en 1709. Plus à l’est, la prévôté d’Yvois a été cédée à Louis XIV par le traité des Pyrénées en 1659. Le roi érigea ce territoire en duché de Carignan en 1662. Il aurait tout aussi bien pu être intégré à la Meuse voisine en 1790 : certains élus ardennais le considéraient comme une exclave lorraine. Au nord, les cantons de Fumay, Fépin et Revin ne sont revenus à la France qu’en 1769, après la signature d’un traité dit « des Limites » avec l’Autriche.

Le découpage religieux n’est pas non plus des plus lisibles. Avant l’adoption de la Constitution civile du clergé, le territoire départemental est partagé entre quatre diocèses, mais aucune cathédrale ne s’y trouve. Dix-sept doyennés relèvent de l’archevêché de Reims. Dans la vallée de la Meuse, les deux doyennés situés en aval de Laifour et d’Anchamps sont liégeois. À l’est du département, les doyennés de Carignan et de Juvigny-sur-Loison dépendent de l’archevêché de Trèves. Enfin, à l’ouest, deux paroisses (Brienne-sur-Aisne et Neuville-aux-Joutes) sont rattachées au diocèse de Laon. L’unité n’existe pas davantage sur le plan topographique. Les géographes divisent traditionnellement le département en trois secteurs. Au nord, une zone ardennaise s’étend de Givet à Charleville et Mézières. Un massif montagneux couvert d’une immense forêt, transpercé par les vallées de la Meuse et de la Semoy, structure l’espace. L’atmosphère y est habituellement humide et brumeuse, l’hiver long et froid. Au sud, une zone champenoise, qui correspond à la plus vaste partie des arrondissements de Rethel et de Vouziers, est constituée de plaines crayeuses peu fertiles, formant un paysage monotone. Entre les deux, la partie centrale, délimitée au sud par l’Aisne, se présente comme un terroir agricole prospère arrosé par quatre cours d’eau : la Meuse, l’Aire, la Chiers et la Bar.

Département des Ardennes, carte tirée de La République française en LXXXVIII départemens, 3e édition, Paris, An III, in-8° (coll. privée)

Département des Ardennes, carte tirée de La République française en LXXXVIII départemens, 3e édition, Paris, An III, in-8° (coll. privée)

Selon La République française en LXXXIV départemens, on dénombrerait dans les Ardennes en 1793 dix-huit villes, dont cinq qualifiées de « fortes » (Sedan, Mézières, Givet, Rocroi et Philippeville). L’adjectif rappelle la vocation défensive de cette région frontalière, alors que la jeune République est aux prises avec une puissante coalition européenne. L’ouvrage se fait ici l’écho d’une conception traditionnelle de la ville : un espace privilégié et clos de murailles. Plus moderne et sensible aux données de l’économie, le géographe Herbin de Halle n’en distingue plus que sept dans sa Statistique générale et particulière de la France et de ses colonies (1803) : Sedan, Charleville, Mézières, Givet, Rocroi, Rethel et Vouziers. Contre toute attente, c’est l’une des moins peuplées, Mézières (3 611 habitants en 1793), qui devient le chef-lieu des Ardennes à l’issue d’une consultation des électeurs du département en 1790. Les autorités locales y croyaient si peu qu’elles n’avaient pas présenté la candidature de la ville. Sa voisine et rivale Charleville avait pourtant de solides arguments à faire valoir : siège d’un bailliage, population importante (8 253 habitants), dynamisme économique (manufacture d’armes à feu, activités textiles). Elle dut se contenter du statut de chef-lieu de district. La ville la plus peuplée du département, Sedan (12 000 habitants), important centre de production drapière, logiquement promue elle aussi chef-lieu de district, est désignée comme siège épiscopal en 1790 : destinée surprenante pour cette ancienne capitale du protestantisme. Les quatre autres chefs-lieux de district sont Rethel (pôle textile et administratif, troisième ville du département avec 4 500 habitants), Rocroi, Vouziers et Grandpré.

L’éveil à la musique du nord de la Champagne

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la pratique musicale connaît dans le nord de la Champagne un essor manifeste sous l’impulsion des élites. Si l’austère cité de Mézières paraît quelque peu en retrait, tel n’est pas le cas de Charleville. En 1756, le jeune Rigobert Bourgeois, élève de l’École du Génie de Mézières, traverse souvent le pont qui sépare les deux cités pour s’y rendre le soir avec des camarades, à la recherche de distractions. Son journal dévoile un jeune homme fou de musique : il joue de la basse et du violon, achète des livrets musicaux qu’il fait relier, accompagne à la messe et interprète des œuvres récentes avec ses amis comme Le devin du village de Rousseau ou des mélodies en vogue. Charleville aime la fête : Bourgeois signale quatre bals et sept soirées dansantes ouvertes au public rien qu’entre janvier et septembre 1756. Il se perfectionne sous la houlette d’un maître de musique de renom, Antoine Morel de Lescer, arrivé à Charleville la même année. En 1757, la municipalité verse 160 livres à l’artiste pour la composition et l’exécution en grande symphonie d’un Te Deum en l’église paroissiale « à l’occasion de la naissance de S.A.S. monseigneur le duc de Bourbon ». Jusqu’à son décès en 1781, Morel de Lescer, auteur d’une Science de la Musique vocale (1759), fait autorité dans le paysage musical carolomacérien. En 1764, il fait enregistrer par le corps de ville un brevet que lui a délivré le prince de Condé, seigneur de Charleville (mécène bien connu), le désignant comme son musicien ordinaire en cette ville. En 1770, Morel forme le projet d’un Journal de musique, présenté dans le Journal encyclopédique de Bouillon, qui finalement ne verra pas le jour. On fait souvent appel à lui comme expert, qu’il s’agisse d’auditionner, avec le chantre sedanais Nicolas JACQUEMART, les vingt-cinq candidats qui se présentent à un concours de recrutement de deux chantres en l’église paroissiale en 1777, ou encore, à la même époque, d’examiner l’orgue « municipal » endommagé par les eaux pluviales. Parallèlement, l’art lyrique déchaîne les passions. La cité dispose de sa propre salle de spectacles, établie dans une aile de l’hôtel de la Croix d’Argent par le propriétaire des lieux, Jean Augustin Vallée. Celle-ci, exiguë, décorée de paravents peints servant de coulisses, attire les élèves de l’École du Génie et les officiers des régiments en garnison. En 1790, Vallée fait bâtir un nouveau local hors la ville, à l’entrée de la porte de France, dont l’architecture s’inspire du théâtre de Reims.

La musique s’est aussi développée à Sedan depuis l’époque princière. Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, Charles de Navières compose des cantiques pour les La Marck puis leurs successeurs, les La Tour d’Auvergne. Avec le palais, le temple, transformé après la Révocation en église Saint-Charles, est l’autre pôle musical de la cité. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Sedan possède une salle où sont jouées des œuvres lyriques, salle que l’Almanach général des spectacles de Paris et de la province pour l’année 1792 juge vieille et incommode. Proche du duché de Bouillon – où l’entrepreneur et encyclopédiste Pierre Rousseau publie le Journal politique, qui ne manque jamais de signaler l’organisation de concours pour des places d’organiste ou de chantre dans le nord de la province –, la ville est ouverte aux idées nouvelles. Avec son frère François, qui se pique d’écrire, Nicolas JACQUEMART, libraire et chantre de la paroisse Saint-Charles, dirige dès 1764 un cabinet littéraire qui contribue à leur diffusion. Le terreau est favorable : les tensions sociales sont fortes et les « cloques » (grèves) fréquentes à Sedan, où vingt-cinq manufacturiers tout-puissants font travailler un millier d’ouvriers et plus de 10 000 fileurs et tisseurs dans les campagnes environnantes. Manifestants et grévistes détournent volontiers les chansons à la mode : en 1777, les Sedanais révoltés du faubourg de la Cassine dénoncent les employés de la ferme générale sur l’air des Grenadiers de France.

Portrait de Wilhelm Hanser vers 1792

Portrait de Wilhelm Hanser vers 1792 (commons.wikimedia.org)

Un autre lieu symbolise la vitalité musicale de la région, dans le domaine religieux cette fois-ci : l’abbaye des prémontrés de Laval-Dieu à Monthermé. L’organiste et maître de musique Wilhelm HANSER, recruté en Souabe par l’abbé Remacle Lissoir, y ouvre une école de musique qui accueille huit élèves en 1775. Les jeunes gens les plus doués de la province y affluent, attirés par la réputation du professeur, l’un des meilleurs spécialistes européens du contrepoint. Deux d’entre eux effectuent par la suite une carrière brillante : Étienne Nicolas MÉHUL, originaire de Givet, auteur du célèbre Chant du départ, et Georges SCHEYERMANN, fils d’un employé suisse de l’abbaye, qui s’illustre dans le piano. HANSER, qui a visité Paris et y a rencontré des musiciens de premier plan, appartient à la même mouvance qu’un LESUEUR, favorable à une utilisation généreuse de l’orchestre dans la musique sacrée. En 1786, pour la sainte Cécile, il fait chanter à Laval-Dieu une messe de sa composition avec accompagnement d’orgue et d’instruments à vent, avec le concours des musiciens du régiment de Diesbach cantonné à Mézières. L’expérience pédagogique originale initiée par HANSER tourne court lorsqu’il décide, en 1788 ou 1789, de rentrer en Allemagne.

Les lieux de musique dans le ressort de l’archevêché de Reims

Les musiciens d’Église ardennais sont presque tous des laïcs, à l’instar de ce qui s’observe dans la Picardie voisine.

Détail d’un plan de Mézières en 1773 (BnF)

Détail d’un plan de Mézières en 1773 (BnF) ; au centre la collégiale Saint-Pierre adossée à un cloître, à une centaine de mètres à l’ouest l’imposante église paroissiale Notre-Dame

Le département compte quatre petites collégiales, dont deux dans le ressort de l’archevêché de Reims. Les revenus du chapitre Saint-Pierre de Mézières, qui comprend un doyen et douze chanoines, s’élèvent en 1790 à 21 904 livres. L’année suivante, chaque chanoine obtient un traitement annuel de 1 269 livres. Sans être particulièrement riche, le chapitre a les moyens d’entretenir un corps de musique décent, formé d’un organiste, de deux chantres dont l’un s’occupe de l’éducation des enfants de chœur, d’un serpent et d’au moins cinq enfants. En 1790, l’organiste présente la particularité d’être une femme mariée, Marie Nicole DAWAIGNE, qui approche de la quarantaine. Le musicien le plus important de l’équipe est Charles WILMET, à la fois chantre, sacristain, « ponctateur » (chargé de marquer les noms de ceux qui assistent aux offices) et maître des enfants de chœur. Bien que fondé par l’illustre archevêque de Reims Hincmar au IXe siècle, le chapitre Saint-Pierre (parfois appelé Saint-Vivent) de Braux, à Bogny-sur-Meuse, n’a pas une assise économique aussi solide. Il n’emploie que deux musiciens : un chantre-maître d’école, Jean-Baptiste MOYER, et un sous-chantre. L’église est dépourvue d'orgue.

Signalement de la citoyenne Dawaigne

Signalement de la citoyenne Dawaigne, ex-organiste de la collégiale de Mézières, juillet 1798 (Arch. dép. Ardennes, L 1263, cl. F. Caillou)

Au moins six abbayes et prieurés d’hommes disposent d’un orgue. L’abbaye bénédictine de Mouzon, établie au Xe siècle, est considérée comme l’un des centres de spiritualité les plus prestigieux du nord de la Champagne. Jusqu’au XVIe siècle, les pèlerins s’y pressent pour vénérer les reliques de saint Victor et de saint Arnoul. Sous le règne de Louis XV, le jansénisme y fait des adeptes. En 1790, le titulaire de l’orgue est Joseph Clément Marie MASSART, pour lequel le District propose une gratification de 200 livres. Le nom de son collègue en fonction à la même époque chez les prémontrés de Laval-Dieu, après le départ de Wilhelm HANSER, nous échappe : l’un des moines ? Un élève du musicien allemand ? Les renseignements font aussi défaut pour une autre abbaye du même ordre, Notre-Dame de Belval. Tout juste peut-on signaler que l’instrument de la communauté est cédé en 1791 à la fabrique de Grandpré. Chez les cisterciens de Signy-l’Abbaye, la tribune est occupée par un laïc en 1789, André FUCHS. Les comptes de l’abbaye le placent dans la catégorie des domestiques de l’abbaye, à l’instar des deux choristes, qui exercent en parallèle d’autres activités (enseignement, artisanat). Ces trois musiciens perçoivent de maigres émoluments : 150 livres pour le premier, 30 livres pour chaque choriste. Les prieurés de Novy-Chevrières (ordre des vannistes) et de Launois-sur-Vence (chanoines réguliers de la Sainte-Croix) rétribuent sans doute un organiste en 1790. L’orgue de Novy a été conçu en 1728 par François BOUDOS, facteur et organiste à Charleville. En 1784, la place d’organiste est vacante à Launois, d’après une annonce publiée dans le Journal politique. Elle rapporte au moins 200 livres, tant en fixe qu’en casuel, et offre des avantages non négligeables : exemption de taille, des corvées et du logement des gens de guerre, outre la jouissance d’une habitation spacieuse. Les sources livrent encore les noms de deux religieuses spécialisées dans le chant au couvent de la Providence de Charleville.

Vue de l’église Notre-Dame de Mézières

Vue de l’église Notre-Dame de Mézières par Savart, dessin à la plume et encre de Chine, 15,6 x 22,6 cm, 1779 (BnF)

Les plus importants corps de musique ardennais relevant du diocèse de Reims se trouvent dans les églises paroissiales, en particulier à Mézières et à Charleville. Notre-Dame de Mézières a son organiste, Pierre François DAWAIGNE, frère de celle qui tient la tribune de la collégiale toute proche. Leur salaire reflète l’inégalité qui existe entre les deux établissements : le premier perçoit 304 livres de fixe, la seconde 120. La fabrique rémunère trois chantres, dont l’un sert de maître des enfants de chœur, tandis que le troisième joue à l’occasion du serpent. Dans cette église, le personnel s’est laïcisé au cours du siècle : sous Louis XV, l’église était encore fréquentée par des chantres ecclésiastiques qui baptisaient et célébraient des mariages, ce qui n’est plus le cas en 1789-1790. La cité de Charleville devait accueillir une cathédrale à sa fondation. Des travaux de construction furent même entrepris, mais le projet avorta en raison de l’opposition des chanoines de Mézières, soutenus par les archevêques de Reims et de Laon. La ville dut se contenter d’une église paroissiale sise dans le prieuré de la Milice chrétienne, dédiée à Saint-Rémi. En 1790, la structure musicale ne diffère pas de celle de Notre-Dame de Mézières. L’organiste Antoine ELSEN, originaire de Cologne, est un ancien musicien de régiment. Plus au sud, l’église paroissiale Saint-Nicolas de Rethel utilise les services d’un organiste, l’irascible Pierre DÉPINOIS, de deux chantres ecclésiastiques (c’est l’exception qui confirme la règle), de deux choristes laïcs et d’un serpent, également en charge de l’instruction de six enfants de chœur.
À l’échelon inférieur, six bourgs disposent d’un orgue et emploient un organiste : Acy-Romance, Attigny, Donchery, Renwez, Vendresse et Vouziers. Dans les villages champenois, les chantres pullulent. En fait, tout maître d’école semble exercer des fonctions cantorales. Par prudence, n’ont été définis comme "lieux de musique" que les paroisses où la présence d’un chantre était avérée. Plusieurs de ces musiciens-enseignants, il faut le noter, sont pénalisés par la suppression de la dîme, qui servait en maints endroits au paiement de leurs gages.

Dans les diocèses de Trèves et de Liège

L’église Saint-Charles de Sedan

L’église Saint-Charles de Sedan, vers 1900 (carte postale, coll. privée)

Douze structures de musique ont été répertoriées dans le duché de Carignan, qu’il faut en réalité limiter à onze car la principale église d’Yvois (ou Yvoy, ancien nom de Carignan, encore employé au XVIIIe siècle) est à la fois collégiale et paroissiale. Constitué d’un doyen (à 3 000 livres de rente, précise l’abbé Expilly) et de douze chanoines, le chapitre de la ville peut compter sur des revenus substantiels. En 1791, le traitement prévu pour chaque bénéficier s’élève à 1 326 livres. Entre la collégiale de Carignan et celles du diocèse de Reims, la seule différence réside dans l’absence d’un serpent dans la première. Ici aussi, on a une prédilection pour les organistes formés dans les pays rhénans : Florent DACH, originaire de Basse-Alsace, a succédé en 1780 à Jean-Jacques WALDENSPIEL, né à Ammerschwihr dans le diocèse de Bâle et décédé à Carignan à l’âge de 22 ans seulement. Il est le mieux payé des musiciens avec 342 livres pour l’année comptable 1788-1789, mais sa fonction de sacristain lui permet de gonfler ses revenus. Au premier chantre Henri COLLIN, les chanoines ont confié la formation des quatre enfants de chœur. Les liens semblent étroits entre le petit pays d’Yvois et la Lorraine voisine : DACH s’est marié à Olizy (Meuse) et COLLIN a vu le jour à Montmédy. Les autres lieux de musique relevant du diocèse de Trèves sont des églises rurales, où s’activent un ou deux chantres.

Au nord du département, la « pointe » accueille plusieurs petits établissements qui mettent à l’honneur la musique sacrée. Ce territoire n’a jamais appliqué l’édit de Villers-Cotterêts : les registres paroissiaux sont rédigés en latin jusqu’à une date avancée du XVIIIe siècle, ce qui ne simplifie pas le travail du chercheur, contraint en outre de se passer de sources comptables. La seule collégiale se trouve dans le bourg de Vireux-Molhain : il s’agit d’un établissement modeste (un doyen et dix chanoines), qui n’emploie à la fin de l’Ancien Régime qu’un marguillier-chantre, Nicolas THOMAS, et un organiste, Jean Joseph LIMBORG, qui gagne aussi sa vie comme faiseur de bas.
La plus importante structure paroissiale est vraisemblablement – il faudrait pouvoir accéder aux sources belges pour en savoir davantage – celle de Philippeville, forteresse française du Namurois : la fabrique salarie au moins un organiste et deux prêtres-chantres. Plus au sud, Fumay emploie un organiste, Jacques BARTELS, originaire du Liégeois où il se rend régulièrement pour vendre ses compositions. Un peu aliéné d’esprit aux dires de ses voisins, il n’entend pas modifier ses habitudes en 1793, malgré la guerre qui oppose la France à l’Autriche. Incarcéré au retour d’un séjour de plusieurs mois à Liège, il ne recouvre la liberté qu’en 1796. En 1790, l’église Notre-Dame de Givet utilise probablement elle aussi les services d’un organiste, que la disparition des archives locales ne permet pas d’identifier avec certitude. Il existe un deuxième orgue au couvent des récollets de la ville, où le jeune MÉHUL a reçu ses premières leçons d’un musicien aveugle. Lors de la dispersion de la communauté, l’organiste est un religieux, le père Concorde DOUTRELIGNE, ex-aumônier de la Marine. L’un de ses confrères, Timothée FONTAINE, est qualifié de prêtre et chantre.

 * * *

L’enquête prosopographique permet d’établir que malgré l’absence d’une cathédrale et de collégiales confortablement dotées, le département des Ardennes n’est pas le désert culturel que l’on pourrait imaginer. L’activité musicale y est véritablement foisonnante, en particulier au sein des paroisses, tant en milieu urbain que dans les campagnes, et l’on aperçoit a minima quelque 79 lieux de musique actifs en 1790. Les musiciens circulent mais ne s’aventurent guère au-delà de la Champagne. L’exception concerne les organistes, issus des provinces rhénanes et dans une moindre mesure de Wallonie.
La mise en ligne progressive des registres paroissiaux et d’état civil permettra sans doute d’enrichir dans les années à venir les notices biographiques existantes et de faire surgir de nouveaux noms, voire de nouveaux lieux de musique.

François CAILLOU
CERHIO UMR 6258, Université du Maine
(septembre 2015)

 Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de
Laurent Borne, Bernard Dompnier, Isabelle Langlois et Françoise Noblat.

Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne)

>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.
L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.

 

Les lieux de musique en 1790 dans les Ardennes

Les lieux de musique documentés pour 1790 dans le département sont présentés par catégories d’établissements : cathédrale, collégiales, abbayes, monastères et couvents, autres établissements (par exemple d’enseignement, de charité…), paroisses (ces dernières selon l’ordre alphabétique de la localité au sein de chaque diocèse).

Diocèse de Reims

Diocèse de Trèves

Diocèse de Liège

Pour en savoir plus : indications bibliographiques

SOURCES IMPRIMÉES

  • Jean Joseph EXPILLY (abbé), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Paris, Desaint et Saillant, 1762-1770, 6 vol.
  • Pierre Étienne HERBIN DE HALLE, Statistique générale et particulière de la France et de ses colonies, avec une nouvelle description topographique, physique, agricole, politique, industrielle et commerciale de cet État, t. V, Paris, Chez F. Buisson, 1803.
  • La République française en LXXXIV départemens, par une Société de géographes, Paris, 1793.

BIBLIOGRAPHIE

Sur la musique

  • Jean-Jacques DROMBY, « La vie musicale à Sedan de 1536 à 1914 », Le Pays sedanais, n° 10, 1983, p. 48-78.
  • Jean-Pierre MARBY, « Orgues, organistes et facteurs d’orgues ardennais des XVIIe et XVIIIe siècles. Éléments d’histoire sociale ardennaise d’Ancien Régime », Revue Historique Ardennaise, 1991, n° 26, p. 57-81.
  • « La musique dans les Ardennes de 1790 à 1914 », Terres ardennaises, n° 56, octobre 1996, et n° 60, octobre 1997, 72 et 76 p. (première partie : musique populaire ; deuxième partie : musique savante ; auteur principal : Jean-Jacques DROMBY).

Divers

  • Patrice BERTRAND, « L’ancienne collégiale Saint-Pierre et Saint-Vivent de Braux », Revue Historique Ardennaise, 1983, n° 18, p. 57 p. 19-37.
  • Jean-Baptiste Joseph BOULLIOT (abbé), Biographie ardennaise, ou Histoire des Ardennais qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs vertus ou leurs erreurs, tome second, Paris, 1830, 524 p.
  • Stéphane GABER, Histoire de Carignan et du pays d’Yvois, Charleville-Mézières, Éditions de la Société d’études ardennaises, 1976, 357 p.
  • Gérard GAYOT (dir.), Révolution en Ardenne. De l’Argonne au Namurois, Charleville-Mézières, Terres Ardennaises, 1989, 320 p.
  • Albert MEYRAC, Géographie illustrée des Ardennes, Charleville, É. Jolly, 1900, 801 p.
  • Sébastien PAUTET, « Les élèves de l’École du Génie de Mézières et leurs territoires au XVIIIe siècle », Revue de l’École doctorale ED 382, 2013, p. 81-99. <hal-00783949>
  • Claude RENAUDIN, « Le chapitre de l’église Saint-Pierre de Mézières. Le rôle socioéconomique d’un chapitre de chanoines », Revue Historique Ardennaise, 1984, n° 19, p. 9-17.
  • René ROBINET, « Un élève de l’École royale du Génie de Mézières en 1756 », Études ardennaises, octobre 1959, n° 19, p. 37-41.
  • Alain SARTELET, La principauté de Sedan, Charleville-Mézières, Terres Ardennaises, 1991, 179 p.
  • Alain SARTELET, Charleville au temps des Gonzague. Portrait d’une cité ducale, Charleville-Mézières, Musée de l’Ardenne, 1997, 160 p.
  • Alain SARTELET, Mézières. Les fortifications et la citadelle, Charleville-Mézières, Terres Ardennaises-Musée de l’Ardenne, 2005, 92 p.

Bibliographie élaborée par François CAILLOU
(septembre 2015)

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