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Musique et musiciens d’Église dans le département de l'OISE autour de 1790
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À sa création en 1790, le département de l’Oise s’étend sur 5 855 km² pour une population d’environ 350 000 habitants. Il couvre la quasi-totalité des anciens diocèses de Beauvais, de Senlis, le quart de celui de Noyon et des portions de ceux de Rouen, Amiens, Meaux, Soissons et Paris. Quatre pôles urbains structurent le territoire : les anciens sièges épiscopaux, Beauvais, Noyon et Senlis, et la ville de Compiègne.
Un département picard
Le Beauvaisis forme la moitié ouest du nouveau département. Peuplé d’environ 150 000 habitants à la veille de la Révolution, c’est un espace dominé par l’agriculture et la production textile, disséminée dans les villes et les bourgs ruraux. Implantée depuis le XVIe siècle, l’activité lainière portée par des marchands fabricants résiste assez bien à la concurrence des cotonnades. Au cœur de l’Oise, Beauvais est un centre industriel et marchand. Encore quatrième ville drapante du royaume à la fin du XVIIIe siècle, la ville s’est spécialisée dans le tissage des draps et des serges. On y croise également des teinturiers et des foulons et on y blanchit les toiles de lin. Elle abrite en outre la célèbre manufacture royale de tapisserie fondée par Colbert en 1664. Le marché franc attire les paysans depuis une dizaine de lieues à la ronde. L’est du département est davantage une voie de passage entre Paris et le nord du pays, jalonnée par les villes de Noyon, Compiègne et Senlis. C’est un territoire plus complexe, au carrefour des anciens diocèses de Senlis, Soissons et Noyon, fortement marqué par la présence des rois de France qui s’y adonnaient à la chasse. Des villes de moindre importance se distinguent par l’existence d’une collégiale : il s’agit de Clermont, Crépy-en-Valois et Creil.
L’Oise présente donc un visage contrasté. En 1790, le choix du chef-lieu fait l’objet de débats animés, mais le dynamisme économique et démographique de Beauvais (12 165 habitants, contre 7 523 à Compiègne, 5 894 à Noyon et 4 429 à Senlis (J. Dupâquier et Renée Le Mée, « La formation des départements, un défi à la démographie », in L’Oise a deux cents ans) permet d’asseoir définitivement la capitale du Beauvaisis comme chef-lieu du département le 11 septembre 1791. Alors s’engage le déclin de Noyon, concrétisé en 1800 par la création de l’arrondissement de Compiègne, intégrant l’ancien siège épiscopal, alors que Senlis devient siège d’arrondissement. Le département a d’abord porté le nom de « Beauvaisis » puis celui d’« Oise et Thérain ». Il est divisé en neuf districts (Grandvilliers, Breteuil, Noyon, Beauvais, Clermont, Compiègne, Chaumont, Senlis, Crépy), 76 cantons à l’échelon inférieur pour 739 communes. Le 6 juillet 1790, l’Assemblée nationale désigne Beauvais comme siège de l’évêché de l’Oise. Le 21 février 1791, Jean-Baptiste Massieu, ancien député du clergé de Senlis aux États généraux, est élu évêque constitutionnel du département de l’Oise.
Abritant trois anciennes cathédrales, toutes suffragantes de l’archevêque de Reims, le département est exceptionnel quant à la musique d’Église, qui résonne dans le chœur de ses trois cathédrales d’abord, dans les douze collégiales disséminées sur son territoire ensuite. En l’état actuel de la recherche, on recense près de deux cents musiciens actifs en 1790, exerçant dans environ quatre-vingts établissements, y compris des églises paroissiales, dont les chantres, aussi appelés « clercs », exercent souvent l’activité de maître d’école.
Trois évêchés et une résidence royale
Beauvais, une capitale musicale
Tout au long du XVIIIe siècle, Beauvais conserve un aspect de ville médiévale : enfermée dans ses remparts percés de cinq portes, elle a gardé ses maisons à pans de bois et ses rues tortueuses. Le quartier autour de la cathédrale (paroisse Saint-Pierre ou de la Basse-Œuvre) est celui des chanoines, des notaires, des officiers du bailliage et de l’élection. Les ouvriers de la laine et les artisans sont regroupés dans les paroisses Saint-Martin et Saint-Laurent, au nord. La paroisse Saint-Étienne, au sud de la ville, la plus étendue de toutes, accueille quant à elle tous les corps de métiers. Avec près de vingt établissements religieux répertoriés comme « lieux de musique » en 1790, la ville de Beauvais fait incontestablement figure de capitale musicale du département.
La cathédrale Saint-Pierre, inachevée, domine la ligne d’horizon. Le prestige de son évêque, comte et seigneur de Beauvais, premier des trois comtes pairs ecclésiastiques du royaume, reste considérable à la fin de l’Ancien Régime. Le chapitre cathédral est composé de six dignités et quarante-deux prébendes pleines, avec des revenus d’un montant de 243 329 livres en 1790. Le bas chœur est tout aussi important, avec en théorie trente-six chapelains, quatre hauts vicaires, quatre petits vicaires, sept officiers, douze enfants de chœur, un organiste et une dizaine de gagistes. Il faut distinguer les musiciens ecclésiastiques des laïcs. Le maître de musique (« symphoniarque » dans les registres capitulaires) fait toujours partie des premiers : l’ultime titulaire du poste, Michel Étienne DELAPLACE perçoit 1 100 livres de gages en 1790. Les hauts vicaires, tous prêtres ou diacres, sont normalement au nombre de quatre, mais en 1790 l’une des places demeure vacante : il s’agit des sieurs ROBELOT, DENOYELLE et CAVREL. De quatre voire cinq petits vicaires au milieu du siècle, on est passé à trois au début de la Révolution : les sieurs CARDOT, FLESCHELLE et CAVREL le jeune. Les hauts vicaires émargent à 700 livres de gages par an, auxquels s’ajoutent un casuel et des revenus en nature, si bien qu’ils touchent au total de 1 300 à 1 400 livres. Les petits vicaires sont pourvus des ordres mineurs et leurs gages annuels ne s’élèvent qu’à 500 livres, outre le casuel. Les musiciens, qualifiés de gagistes lors des chapitres généraux, forment un groupe de neuf à onze individus (onze en 1790). Lors de la suppression du chapitre, ce groupe comprend deux serpents et bassons, QUIGNON et BRUYANT, cinq basses-contre (NOËL, VILLEMAR, SAUTY, PORTEMER et BOCQUET), une haute-contre (GRUET), deux chantres dont la tessiture n’est pas connue (MINON et LEVASSEUR) et un « musicien » (LEFEBVRE). Le chapitre leur accorde 600 livres par an mais ils peuvent à l’occasion obtenir des gratifications. Il est tout à fait possible de gravir les échelons au sein du bas chœur, de musicien gagiste à haut vicaire. Le petit vicaire HOUSSARD, mort en 1772, était un ancien gagiste et Joseph ROBELOT, admis comme petit vicaire en 1759, devint haut vicaire en 1778. L’organiste ne fait pas partie de cette petite communauté : il est l’un des hospites (hôtes) du chapitre, au même titre que les « nourris », d’anciens enfants de chœur dont les chanoines financent les études au collège de Beauvais et qui peuvent à l’occasion rendre service comme chantres supplétifs. Le nombre d’enfants de chœur connus en 1790 n’excède pas dix en comptant le dénommé DARCOURT dont la situation est incertaine. Au total, le personnel musical est donc à cette date formé de 29 individus.
La cathédrale Saint-Pierre est un haut lieu de la musique sacrée depuis la fin du Moyen Âge. Au XVIIIe siècle, plusieurs maîtres talentueux y ont exercé leur art. Entre 1734 et 1747, Thomas Claude ROULLEAU, ardent défenseur du plain-chant traditionnel, travaille à la partie musicale de la réécriture du bréviaire du diocèse à la demande de l’évêque et compose des messes et cantiques dont le chapitre fait déposer les partitions à la maîtrise. De 1756 à 1762, le Bourguignon Jean Marie ROUSSEAU laisse une marque profonde sur ses élèves et ses musiciens, dont deux, Jean-Baptiste QUIGNON et Joseph LEGROS (grande vedette de l’Opéra de 1763 à 1783), s’emploieront par la suite à diffuser son œuvre. Il laisse la place au non moins remarquable Pierre Louis Marie POLLIO, jusqu’à ce que celui-ci soit recruté par la collégiale de Soignies [Belgique] en 1767. La cathédrale attire des musiciens de toute origine, en particulier des Parisiens, même si les Picards dominent. Pour plus de la moitié des membres du corps de musique en activité en 1790, le chœur de Saint-Pierre n’est pas le premier poste occupé.
La hiérarchie est stricte à la maîtrise de la cathédrale, appelée communément « école du chant ». Elle tient compte de l’ancienneté des enfants dans le poste et de leur niveau de compétence. Ils sont divisés en deux groupes suivant leur âge : les six grands enfants tiennent les fonctions les plus en vue et ont pour charge d’encadrer les six plus jeunes. La maîtrise, située dans une rue appelée aujourd’hui rue de l’École du chant, dispose d’une salle de classe, d’une cuisine et de plusieurs chambres. Les pensionnaires, logés, nourris et formés en ce lieu, sont placés sous l’autorité du maître de musique, aidé dans sa tâche par un économe qui, en 1790, est également maître de latin des enfants, le sieur Levoir. L’école du chant doit faire réparer ou acquérir le matériel indispensable aux activités pédagogiques : instruments (basses de viole en 1772, par exemple), papier, plumes, encre, etc. L’apprentissage de la musique passe par l’encouragement à la composition. Deux enfants de chœur se sont illustrés par leurs créations, jouées dans le chœur de la cathédrale lors de l’office de la Sainte-Cécile à la fin des années 1780 : les jeunes Médard PRESTAT et Jean Louis LEVASSEUR. À leur sortie, les enfants obtiennent une gratification de 150 livres qui peut servir à financer leur apprentissage.
Beauvais demeurant l’unique siège épiscopal de l’Oise en 1791, l’école du chant survit à la suppression du chapitre, avec des moyens limités et un nombre d’enfants réduit à huit : DELAPLACE doit fréquemment payer de ses propres deniers les sommes nécessaires à leur entretien, et il s’en plaint amèrement. Fin 1793, le culte est interdit, pourtant les jeunes gens n’ont toujours pas été renvoyés chez eux. En janvier 1794, un commissaire du district qui visite l’école constate, à sa « grande surprise », que les enfants sont encore « vêtus de leur ancien accoutrement qui ne pouvoit que rappeler les tems malheureux d’esclavage et de fanatisme où ce ridicule habit leur avoit été donné ». Sur ses plaintes, il est ordonné au maître de faire immédiatement confectionner « huit sans culottes complets et huit bonnets de police rouges », ce qui lui coûte 344 livres. Les enfants n’eurent guère le temps de porter leur tenue révolutionnaire, puisque l’école du chant ferma ses portes le 24 février 1794.
Le maître de musique fait régulièrement appel, avec l’approbation du chapitre, à des musiciens externes lors des grandes solennités, notamment la Saint-Pierre (29 juin). Le 30 juin 1748, les chantres externes conviés par Étienne PRIEZ touchent la somme de 291 livres pour leur prestation. Au mois de mars 1750, la compagnie autorise l’admission dans la cathédrale des violons des troupes étrangères cantonnées en ville pour augmenter la musique, peut-être pour la fête de Pâques. En 1773, François GIROUST, maître de musique de la paroisse des Saints-Innocents à Paris, est invité à Beauvais par son ancien élève DELAPLACE avec plusieurs de ses musiciens pour la fête patronale : il touche 360 livres de rémunération. L’usage de recourir à des musiciens externes se maintient jusqu’à la Révolution : entre 1785 et 1790, les maîtres de violon Charles et Pierre BRANCHE (ce dernier accompagné en 1789 de son fils Pierre Joseph, 12 ans) sont rétribués pour leur participation aux « grandes symphonies » organisées au cours de l’année. Le cousin Antoine BRANCHE et le violoniste Jean-Baptiste Louis Joseph BRETHON DUMOULIN font partie de ces musiciens « étrangers », dont le maître de musique DELAPLACE apprécie le professionnalisme. Tous sont probablement des habitués de la Société de Musique fondée à Beauvais en 1765 sous le patronage du duc de Tresmes, gouverneur de l’Île-de-France. Composée de « citoyens partie exerçans, partie amateurs » et contrôlée par des représentants de la bourgeoisie locale, la Société semble avoir succédé à un « Concert » préexistant. Elle donne des concerts et parfois des opéras chaque dimanche entre la Toussaint et la Pentecôte, le jeudi le reste de l’année. L’horloger Nicolas Feuillet, propriétaire depuis 1774 d’une salle de spectacles rue de l’Écu, emploie aussi des musiciens : outre des comédies et des tragédies, il propose en effet au public des opéras comiques et des ballets-pantomimes. Signalons encore qu’en 1757 le chapitre recrute le violoniste Jean-Baptiste PELLEGRINI pour donner des leçons à trois enfants de chœur dotés d’un fort potentiel. En 1789-1790, l’un des frères BRANCHE, probablement Pierre, touche 48 livres par an pour enseigner le violon au jeune PRESTAT. Les sources n’indiquent pas si le chapitre interdit à ses serviteurs de se produire « en ville » : les réprimandes qui leur sont parfois adressées sont plutôt consécutives à des manquements et comportements déplacés au sein du chœur.
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En dehors du chapitre cathédral, la vie musicale religieuse de Beauvais se structure autour d’établissements de moindre importance. La ville possède cinq collégiales, toutes dotées d’un bas chœur, lequel est généralement composé en tout et pour tout de deux chantres en 1790 : Saint-Michel, Saint-Barthélemy, Notre-Dame-du-Châtel, Saint-Nicolas et Saint-Laurent, qui est également une église paroissiale. La collégiale Saint-Michel (11 chanoines), dont les revenus sont estimés au début de la Révolution à 19 950 livres, possède un orgue tenu par Claude TALON, qui exerce aussi le métier de tapissier. Les deux chantres sont des hommes d’expérience : né en 1724, Nicolas DEBRAY a débuté sa carrière de chanteur en 1744, et Jacques SERCUS a travaillé pendant six ans à Saint-Barthélemy avant d’être recruté à Saint-Michel vers 1767. Ces collégiales ne peuvent réellement être considérées comme des structures d’enseignement au plein sens du terme, même si elles emploient des enfants de chœur : aucun musicien n’exerce les fonctions de maître de musique ou de maître des enfants de chœur. On relève également une demi-douzaine d’églises paroissiales pourvues d’un petit corps de musique comprenant deux chantres et parfois un serpent. Celui de l’église paroissiale Saint-Étienne est finalement plus développé que ceux des collégiales. En 1790, le bas chœur est composé de deux chantres, CHEVALIER et DUFOSSÉ, deux serpents, FERMEPIN et FLAMANT, ce dernier chargé en outre de l’instruction des enfants de chœur, auxquels se greffe l’organiste TALON. Deux enfants de chœur, CARBONNIER et DUFOSSÉ, fils du chantre, complètent l’ensemble.
Un autre signe évident de la vitalité musicale de Beauvais est le nombre d’orgues en activité : neuf en 1790. Deux figures se distinguent particulièrement : Pierre Louis JACQUET, qui tient les orgues de la cathédrale, est commis comme expert par la municipalité de Beauvais en 1796 pour la reconstruction de l’orgue de Saint-Étienne. Claude TALON est l’organiste de Saint-Étienne, Saint-Sauveur et Saint-Michel. Il lui arrive aussi d’endosser le rôle de facteur d’orgues en accordant l’instrument de Saint-Laurent sur lequel il joue encore en 1793. Les trois principales abbayes de Beauvais, Saint-Paul, Saint-Sauveur et Saint-Michel, ont toutes un orgue, manifestement en activité comme en témoignent les contrats d’entretien passés avec des facteurs comme le sieur BAUDOUX. Julie LOUVION, religieuse et organiste de l’abbaye Saint-Paul, est la seule titulaire d’un orgue d’abbaye en 1790 dont nous connaissons le nom à ce jour. Enfin, LEFÈVRE dit « le jeune » est titulaire de l’orgue de l’église paroissiale Saint-Martin. La majorité de ces instruments sont très endommagés après la fermeture des établissements religieux. La reconstruction de l’orgue de Saint-Étienne en 1796, par l’utilisation d’éléments prélevés sur les orgues de Saint-Sauveur et Saint-Paul, est un des signes de la reprise de la musique dans les églises beauvaisiennes dans le cadre du culte décadaire.
Comme en d’autres lieux de l’Oise, on relève à Beauvais plusieurs établissements pour lesquels on a la certitude qu’il y eut une activité musicale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sans pouvoir la prouver pour 1790. Il en est ainsi de l’église paroissiale Sainte-Marie-Madeleine et du couvent des dominicains. Nous n’avons pas les noms des musiciens composant le bas chœur de l’église abbatiale Saint-Quentin. On sait en revanche qu’il est composé en 1790 de cinq enfants de chœur, de deux chantres (le maître d’école et le clerc de Saint-Just pour certaines solennités) et d’un serpent. L’organiste n’est pas mentionné en tant que tel dans les comptes, mais le souffleur d’orgue l’est. Faut-il en déduire que l’organiste est un des religieux ?
Senlis, dans l’orbite de Paris
Avec moins de 5 000 habitants à la veille de la Révolution, Senlis présente encore le visage d’une cité médiévale. Le tracé des principales paroisses est en place depuis le Moyen Âge. Cependant, la ville s’est modernisée au cours du XVIIIe siècle : percement d’un nouvel axe nord-sud, relégation des cimetières à l’extérieur de l’enceinte... L’économie est essentiellement animée par les blanchisseries, qui profitent de la réputation de pureté du cours d’eau local, la Nonette. Senlis se présente comme un petit pôle administratif et religieux, pourvu de 36 lieux de culte, siège de diverses juridictions royales dont un bailliage.
Le chapitre de la cathédrale Notre-Dame de Senlis compte à la veille de sa suppression quatre dignitaires, dix-huit chanoines titulaires, deux chanoines-prêtres non capitulants, deux chanoines sous-diacres semi-prébendés, deux diacres et deux chapelains des obits. Il salarie dix musiciens professionnels : les basses-contre PEAUCELLIER, GARNIER, RONDY et LELONG, la haute-contre HAVARD, la haute-taille HENRY, les serpents-bassons GANTIER et LAVOISIER, l’organiste CHRISTOPHE et le maître de musique BERNARD. Aucun n’est clerc, même si le célibat du maître de musique semble aller de soi. Comme à Beauvais, les chanoines de Senlis accordent une place éminente à la musique : en 1790, ils dépensent 6 372 livres pour les gages et gratifications des musiciens et officiers de l’église, 4 216 livres en frais de la maîtrise et 710 livres pour l’orgue, visité chaque année par un facteur et régulièrement entretenu par le souffleur. Des maîtres de renom ont travaillé à Senlis : au XVIIe siècle François COSSET et Pierre ROBERT (qui devint sous-maître de la Chapelle du roi), au début du règne de Louis XV Joseph VALETTE DE MONTIGNY et Jean-Baptiste François SAUVÉ, dans les années 1770-1780 Nicolas Médard FOY, qui collabora ensuite avec Mozart en tant que directeur de la musique du maréchal de Noailles, et le Bourguignon Claude LENOIR, renvoyé à la suite d’un mystérieux scandale. Sous leur autorité, huit enfants de chœur (cinq identifiés en 1790) apprennent la musique et la composition. Plusieurs basses, violons et un clavecin sont mis à leur disposition à la maîtrise. L’équipe éducative est complétée par un maître de latin et un des musiciens du chapitre chargé de donner aux enfants des leçons de lecture et d’écriture : Denis LESERRE s’acquitte de cette tâche dans les années 1760, Pierre PEAUCELLIER de 1778 à 1785. En 1764-1765, un régent du collège est même rétribué à l’année pour les faire répéter. Si Beauvais a la Saint-Pierre, Senlis donne un éclat tout particulier à la fête de la Dédicace le dimanche suivant le 6 juillet, jour de l’octave des apôtres Pierre et Paul. Ce jour-là, des musiciens de l’extérieur viennent renforcer les effectifs : les chanoines leur versent 129 livres en 1765, 66 livres en 1774. En 1777, ils accordent 24 livres à une basse-contre de Notre-Dame de Paris conviée spécialement pour l’occasion.
Les liens sont en effet étroits entre Senlis et les grandes églises parisiennes. En 1780, l’abbé d’HAUDIMONT, maître de musique de l’église des Saints-Innocents, consulté par le théologal de Senlis sur le choix d’un nouvel organiste, propose le Mayençais Jean-Baptiste Ulrich SCHMITT, qui est reçu en janvier 1781. En septembre de la même année, après la démission du maître Louis Marcel BAYART, le chapitre écrit à François Robert DORIOT, maître de musique de la Sainte-Chapelle, dans l’espoir qu’il lui trouve un successeur. Claude LENOIR, le « jeune homme » qui se présente le 8 octobre, est sans doute un protégé de l’illustre abbé. Après son renvoi en 1784, les commissaires de la compagnie demandent à nouveau à DORIOT et à Jean-Baptiste GUILLEMINOT-DUGUÉ, maître de musique de Notre-Dame, de leur trouver un maître compétent, mais ceux-ci n’ont alors aucun candidat sérieux à leur proposer. Il faut attendre la fin de l’année pour assister à la réception d’un nouveau maître, Nicolas LALLIER, envoyé non de Paris mais de Meaux par Jean Claude Augustin GUIGNET, maître à la cathédrale, que le chapitre avait peu de temps auparavant tenté d’engager. L’année suivante, les chanoines relancent les deux maîtres de la capitale, les priant de prendre sous leur aile le premier enfant de chœur Jean Louis CHRISTOPHE, dont ils entrevoient l’excellent potentiel (il occupera le poste d’organiste à Notre-Dame de Senlis en 1790). DORIOT y consent. La cathédrale de Senlis apparaît donc comme un établissement « sous influence » parisienne, la courte distance entre les deux villes (moins de 50 km) facilitant la mise en place d’un lien de dépendance. Plusieurs chantres passent de l’une à l’autre au cours du siècle, à l’image de Pierre BERTON (père de Pierre Montan BERTON, surintendant de la musique du roi et directeur de l’Opéra), originaire de Paris où il a vraisemblablement été formé, qui fait carrière dans les cathédrales de Senlis et de Beauvais entre 1730 et 1751, avant d’achever son périple musical aux Saints-Innocents.
Le corps de musique senlisien jouit d’une réputation flatteuse en ville et aux alentours. Les puissants le plébiscitent. À l’occasion du baptême de son fils le 3 octobre 1741 en l’église Saint-Étienne, Jean-Baptiste Junquières, lieutenant de la capitainerie des chasses royales à Senlis, fait venir « toute la musique vocale et instrumentale de la cathédrale » pour chanter un motet. Le 20 avril 1756, un Te Deum est organisé au château de Chantilly pour célébrer la naissance du futur prince de Condé. Junquières s’y rend avec sa femme, sa fille et son fils aîné et assiste en robe, à la tête de la capitainerie, « aux vêpres et Te Deum, qui furent chantés par les chantres de la cathédrale de Senlis, pendant lequel les canons, etc., firent décharge », rapporte-t-il dans son journal. Le corps de musique participe à des divertissements plus profanes. Au XVIIIe siècle, à Senlis, l’un des grands événements mondains est la représentation théâtrale organisée chaque année par les chanoines génovéfains de l’abbaye Saint-Vincent, qui tiennent le collège. Junquières, qui a fréquenté l’établissement dans sa jeunesse, se souvient avoir joué dans « des pièces de théâtre accompagnées de chants et de danses ». Il avait toujours « l’honneur d’être le Vestris de la troupe » (Vestris était alors premier danseur de l’Opéra), se souvient-il, et était systématiquement désigné pour complimenter tel éminent personnage présent dans la salle. En février 1747, le Père Roger, prieur de l’abbaye, fait monter une comédie avec danses et symphonie, pour le plus grand déplaisir de l’austère rédacteur des Nouvelles ecclésiastiques qui relève, scandalisé, que « l’orchestre étoit rempli par les musiciens de la cathédrale & par les enfans de chœur en habit d’église ; abus criant, contre lequel le grand Colbert s’est élevé » [Charles Joachim Colbert, évêque de Montpellier]. Le succès fut tel, ajoute-t-il, « qu’elle fut redemandée pour le surlendemain, & représentée de nouveau en présence d’une assemblée beaucoup plus nombreuse que la première fois ». Six ans plus tard, Charles Denis BOUTROY, l’organiste de la cathédrale, compose la musique d’une Pastorale héroïque en trois actes présentée au collège des chanoines de Saint-Vincent lors des fêtes organisées pour le mariage du prince de Condé. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, le chapitre de la cathédrale paraît plus soucieux de faire respecter la barrière entre sacré et profane : le 2 avril 1781, il adresse une réprimande à ses musiciens, qui ont pris la fâcheuse habitude de porter l’habit de chœur dans les promenades publiques et les cabarets. Au mois d’octobre suivant, lorsque le père de l’enfant de chœur LEBLOND demande l’autorisation de faire donner des leçons de danse à son fils à la maîtrise, les chanoines lui opposent un refus formel.
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La ville de Senlis compte encore deux collégiales assez semblables à celles de Beauvais dans leur structure. Le chapitre de Saint-Rieul est constitué de deux dignitaires et de 13 chanoines. En 1790, le culte est soutenu par trois musiciens, GRÉDELUE, à la fois chantre et sacristain, HÉRON, chantre, et HUBERT, serpent et sonneur. L’organiste GUICHARD, dont on ne sait s’il est encore actif en 1790, dépend selon toute vraisemblance de la fabrique paroissiale. La collégiale ou chapelle royale de Saint-Frambourg (un doyen, un chantre et dix chanoines) rétribue deux chantres, LAURENT et DEMICHY, et ne paraît pas équipée d’orgue. Des liens existent entre ces établissements et la cathédrale : en 1790, le musicien de Notre-Dame LAVOISIER touche une livre 16 sols pour deux messes chantées à Saint-Frambourg. La ville est divisée en six paroisses, qui toutes font travailler deux chantres ou clercs : Saint-Aignan, Saint-Étienne, Sainte-Geneviève, Saint-Martin, Saint-Pierre et Saint-Rieul (les mêmes que ceux de la collégiale). La plus active sur le plan musical est Saint-Aignan, puisqu’aux chantres DEMICHY et FAVERY s’ajoutent l’organiste LEROUX et le serpent-sacristain GRANDVALLET. Aucun enseignement musical n’est apparemment dispensé aux enfants de chœur dont l’unique tâche semble se limiter à l’assistance du curé lors des cérémonies. L’abbaye Saint-Vincent salarie un organiste. On connaît le nom du titulaire de la tribune en 1789-1790 : le jeune LÉCHOPIÉ, qui poursuit sa carrière après la Révolution. Le nom de l’organiste du monastère de la Présentation nous échappe à ce jour. Il existe encore à Senlis un prieuré Saint-Maurice qui utilise les services de chantres, mais ceux-ci sont peut-être des employés de l’église paroissiale la plus proche.
Les chapelains-musiciens de Noyon
Petit pôle administratif picard situé dans le ressort de l’intendance de Soissons (bailliage royal, élection, grenier à sel, maîtrise des eaux et forêts, brigade de maréchaussée), Noyon est avant tout une cité ecclésiastique avec son palais épiscopal, son chapitre, son séminaire, ses deux hôpitaux, son collège contrôlé par les chanoines de Saint-Augustin, ses deux abbayes, ses quatre couvents et ses dix églises paroissiales (dont deux hors-les-murs). Sur le plan économique, seuls le commerce des céréales, la fabrication des toiles de chanvre et de lin et le tannage des cuirs contribuent à animer l’activité.
Le chapitre de Notre-Dame, formé de six dignitaires et de cinquante-six chanoines, dispose de revenus confortables, s’élevant à 74 619 livres en 1790. Douze chapelles sur les trente-neuf érigées en la cathédrale « ont été rendues vicariales et attribuées aux seuls vicaires-musiciens » par le pape Clément VI en 1348, précise l’abbé Expilly. Le bas chœur de Noyon est donc structurellement très différent de ses voisins de Senlis, peuplé de gagistes laïques, et Beauvais, de composition mixte avec une dominante laïque marquée. En 1790, les « vicaires de chœur » ou « chapelains-vicaires » – termes désignant les musiciens dans les registres capitulaires – sont au nombre de quinze : quatorze chapelains-vicaires (et non douze car deux chapelles sont divisées en « portions ») et un Franciscain occupant les fonctions de chantre, le Père DRUE. Le seul laïc est l’organiste Nicolas LEGRAND ; toutefois, il a pu arriver dans le passé que le titulaire de l’orgue détienne une chapelle : tel fut le cas de Joseph PICARD, mort en 1742.
La chapelle de Saint-Thomas Martyr est traditionnellement attribuée au maître de musique. En 1790, François Nicolas HOMET exerce la fonction depuis une trentaine d’années, après avoir travaillé dans sa jeunesse à Poitiers, Beaune et Metz. On ignore la tessiture ou l’instrument de prédilection des sieurs PETITPAIN, MONJOYE, MARGOTTET, BRULANT, PRÉVÔT, FLAMENT, DESBAUVES, PRIEZ et Thomas Antoine ROUSSELLE. Tout juste peut-on affirmer que GUILBAUT joue (tant bien que mal d’après les sources) du serpent, que CHOLLET chante la haute-contre et PAMARS la basse-taille. Pierre Éloi ROUSSELLE, sûrement apparenté à Thomas Antoine, sert en tant que sacristain et doit probablement aussi chanter. Les revenus des chapelles vicariales (en céréales et vin, surtout) sont connus grâce aux déclarations faites au district en 1790, mais les musiciens touchent aussi des appointements quotidiens dont les sources n’indiquent que le montant annuel global. Sur la période 1776-1789, le chapitre leur verse 74 204 livres de gages, soit en moyenne 5 300 livres par an. L’employeur tient compte de l’inflation : inférieure à 5 000 livres en 1776 et 1777, la somme dépensée dépasse les 5 000 livres dès 1778 pour culminer à 6 100 livres en 1788. Si elle retombe à 4 874 livres en 1790, c’est qu’un des musiciens a démissionné en août.
Comme à Beauvais et à Senlis, il existe à Noyon des temps forts dans l’année liturgique. Le principal est la fête de la translation des reliques de saint Éloi au début du mois de juillet. Tous les ans, le maître recrute des musiciens externes qui perçoivent une rétribution généreuse. En 1783, il invite le très réputé Jean-Baptiste VARÉ, haute-contre de la collégiale Saint-Furcy de Péronne, qui fait le déplacement avec deux camarades. Ce virtuose revient de 1784 à 1787 et perçoit chaque fois pour sa prestation 24 voire 36 livres. Cette « solennité » de juillet entraîne des dépenses de plus en plus lourdes : 100 livres en 1784, 145 livres l’année suivante. Le 7 juillet 1788, le receveur paye « pour la musique chantée aujourd’hui en la fête de la translation de saint Éloi » 46 livres aux maître de musique, chantres et enfants de chœur de la cathédrale et 210 livres à onze musiciens étrangers, qui touchent chacun de 12 à 24 livres. Les chanoines accordent une grande importance à la qualité du répertoire. Si les compositions de HOMET, dont la production ne semble pas avoir été conservée, donnent satisfaction, il peut arriver que les chanoines répondent favorablement aux propositions d’achat que d’autres musiciens leur adressent. En octobre 1786, le receveur est prié d’acquérir pour l’usage du chœur six messes en musique signées GUIGNET, maître de musique de la cathédrale de Meaux, au prix de 36 livres. On observe à Noyon la même tolérance qu’à Senlis et à Beauvais au sujet des musiciens délaissant momentanément leurs occupations au chœur pour se produire « en ville ». En 1787, l’un d’eux, Jean François CHOLLET, est même proposé à Salieri et à Beaumarchais par l’évêque Grimaldi pour tenir le rôle de l’eunuque Calpigi dans l’opéra Tarare, sans que le chapitre ne s’en offusque. Au terme d’essais peu concluants, CHOLLET obtient tout de même le rôle du coryphée. En 1792, il intégrera les chœurs de l’Opéra de Paris en qualité de haute-contre. L’évêque entretient de bonnes relations avec plusieurs chapelains, ce qui agace parfois les chanoines. En 1772, la méthode de plain-chant du chapelain-vicaire Nicolas OUDOUX, bon musicien également formé à la gravure, est publiée dans l’Hymnaire du diocèse avec l’approbation de Charles de Broglie, comte-évêque de Noyon. Grimaldi, qui succède à ce dernier en 1778, prend le musicien Édouard BLANCHEVILLE à son service comme sous-aumônier et lui accorde le poste de secrétaire de l’évêché. La protection de l’évêque fait des merveilles : les deux hommes finiront par obtenir un canonicat.
Dans les années qui précèdent la Révolution, le recrutement des enfants de chœur de Noyon s’effectue à une échelle assez large en Picardie et jusqu’en Île-de-France. Beaucoup sont nés dans la capitale : sans doute une conséquence des excellentes relations que le chapitre a su maintenir avec son ancien maître de musique GUILLEMINOT-DUGUÉ, parti en 1759 poursuivre sa carrière à Saint-Germain-l’Auxerrois puis à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Parisien lui-même, HOMET a reçu l’essentiel de sa formation à Noyon. En 1788, le chantre en dignité écrit à GUILLEMINOT-DUGUÉ « pour lui demander deux musiciens ». L’année suivante encore, le chapitre le prie de se renseigner sur les compétences d’un jeune musicien et, s’il le trouve « convenable à cette église », de l’envoyer à Noyon pour la prochaine fête de la translation des reliques de saint Éloi.
La maîtrise, en 1790, est installée depuis peu dans une maison canoniale où d’importants travaux de remise en état ont été réalisés. La discipline semble s’être améliorée par rapport au début de la décennie, période marquée par un relâchement auquel les chanoines ont dû mettre bon ordre (indécence au chœur, manque de respect envers les maîtres d’écriture et de latin, escapades). La position de HOMET, l’espace d’un instant, a même semblé compromise (1783). Cependant, les fugues n’ont pas disparu : en septembre 1788, le dénommé VERLAIN s’enfuit en compagnie du petit ROY. Les chanoines acceptent de reprendre le plus jeune, à condition qu’il demande solennellement pardon. L’enseignement de la musique s’effectue l’après-midi entre trois heures et demie et quatre heures et demie. Les élèves ont à leur disposition des instruments de musique (basse, serpent et sans doute d’autres encore) et peuvent, s’ils sont doués, suivre des cours particuliers chez un chapelain-vicaire : en 1781, CHOLLET apprend à jouer du serpent au jeune GRÉBERT. L’enfant le plus remarquable passé par Noyon dans la dernière décennie de l’Ancien Régime est sans conteste Jean-Baptiste Robert DROCOURT, qui occupe le poste de maître de musique à la cathédrale de Poitiers en 1790 : il est gratifié deux fois, notamment en 1784, pour une musique de sa composition. Les dépenses de la maîtrise approchent et parfois dépassent les 5 000 livres à l’année. En 1788, elles s’élèvent à 5 533 livres. La nourriture des enfants est le poste qui pèse le plus : le maître perçoit 1 440 livres par an pour cela de 1776 à 1779, 1 640 de 1780 à 1784, 1 700 en 1785, 1 880 entre 1786 et 1789. Comme dans la plupart des cathédrales, les enfants de chœur sortants reçoivent une récompense en argent et en vêtements.
En 1791, l’église Notre-Dame perd son statut de cathédrale. Toutefois, les administrateurs de la fabrique de la paroisse constitutionnelle parviennent à maintenir un corps de musique impressionnant, représentant un coût annuel de 12 500 livres : six basses-contre, une haute-contre, une taille, deux basses-tailles, deux serpents, un maître des enfants de chœur, dix enfants et un organiste. Ils sont en mesure d’engager de telles dépenses car ils gèrent dorénavant les ressources des dix paroisses de la ville supprimées. L’effectif est presque entièrement renouvelé : les fabriciers recrutent les meilleurs chantres et serpents des paroisses ; seul LEGRAND reste à son poste d’organiste.
La ville n’accueille aucune collégiale. Les deux grandes abbayes noyonnaises paraissent être d’actifs lieux de musique. L’abbaye Saint-Barthélemy, tenue par les génovéfains, offre 60 livres par an à son premier chantre, Pierre OBERT, également clerc de la paroisse Saint-Pierre. Le second chantre, Marcel SÉZILLE, en touche 50. Saint-Éloi, régie par les bénédictins, a recours à une organiste, Marie Louise Françoise LEGRAND, dont le père occupe la tribune de la cathédrale. On compte deux chantres ou clercs par église paroissiale, y compris dans les faubourgs. La fabrique rétribue un organiste dans au moins deux paroisses, Saint-Maurice et Saint-Martin. LEGRAND, dont le poste principal est à la cathédrale, touche 30 livres par an du marguillier de Saint-Maurice. Dans la seconde, où l’orgue est sans doute plus utilisé, les gages du sieur DEMOULIN (qui hérite du poste à la paroisse unique après la signature du Concordat) s’élèvent à 174 livres en 1784.
Compiègne, séjour des rois
Compiègne, dans l’ancien diocèse de Soissons, est du fait de la présence du palais royal la deuxième ville du nouveau département par sa population. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, elle connaît un certain renouveau grâce à des séjours royaux fréquents (Louis XIV y est venu soixante-quinze fois). Louis XV et Louis XVI modifient sensiblement la ville par la rénovation du château et la construction de locaux ministériels. Dans le sillage du monarque, l’armée n’est jamais loin : des entraînements et revues de troupes s’y déroulent régulièrement. Ornée de belles promenades, appréciée pour son air « pur et sain », la cité connaît la prospérité grâce au commerce des grains, du bois et des laines et à une « très belle fabrique de cordages » (Almanach historique… de Compiègne, 1789). Sous le règne de Louis XV, la famille royale y fait étape à maintes reprises. Le 5 juillet 1753, le roi entre en ville en compagnie de ses filles Louise Élisabeth, duchesse de Parme, Adélaïde, Victoire, Sophie et Louise. La reine Marie Leszczyńska arrive le 7. Très pieuses, la reine et ses filles entendent souvent la messe dans les églises de la ville, ce qui leur donne l’occasion d’ouïr les chantres locaux et d’apprécier le jeu des organistes. Le 8, le roi et trois de ses filles assistent au salut en l’église paroissiale Saint-Jacques dont dépend le château. Le même jour, la reine entend la messe, les vêpres et le salut chez les carmélites, tandis que « Mesdames de France » sont reçues au couvent des minimes à l’occasion des vêpres. Le 15, toute la famille royale se rend à l’église Saint-Antoine pour le salut. Avant cela, la reine avait suivi la grande messe à Saint-Jacques et, l’après-midi, elle rejoint l’église des sœurs de la Congrégation Notre-Dame pour vêpres. Le lendemain, elle passe presque toute la journée au couvent des carmélites. Les musiciens du roi suivent la Cour à Compiègne et travaillent sans relâche. Le 11 juillet se déroule un concert chez la reine, au cours duquel on exécute le prologue et le premier acte de l’opéra Pyrame et Thisbé composé par Rebel et Francœur, surintendants de la musique du roi. Les quatre derniers actes sont représentés le 14 et le 18. Le 15, pendant la messe du roi, « la Musique de Sa Majesté exécute le psaume In exitu Israel de Aegypto, nouveau motet de la composition de M. de Mondonville, maître de musique de la Chapelle, en quartier », qui suscite « l’applaudissement » de toute la Cour. Le Dauphin et les filles du roi, en mélomanes avertis, ont même suivi les répétitions de ce motet, précise le Mercure de France. Louis XVI, de son côté, n’aimera jamais Compiègne. Délaissée par la Cour à partir de 1774, la ville sombre peu à peu dans la torpeur, mais le culte divin continue d’y être célébré en musique.
En 1790, les églises paroissiales Saint-Jacques et du Crucifix, cette dernière sise dans l’abbaye Saint-Corneille, entretiennent toutes deux un bas chœur composé de deux chantres, d’un ou deux serpents et d’enfants de chœur. L’église Saint-Jacques emploie en outre un organiste : Charles Bonaventure RACINE exerce des années 1750 à la Révolution. L’abbaye de Royallieu, à la périphérie de la ville, est aussi un foyer de musique. Son abbatiale est dotée d’un orgue, tenu par Reine Angélique PRAT. Les religieuses jouent du clavecin et pour ce faire achètent régulièrement des cordes pour l’instrument. Elles bénéficient également des services d’un maître de musique. De même, l’abbaye Saint-Corneille, construite en plein centre-ville, est un foyer actif de musique, avec au moins un serpentiste et un organiste au moment de la Révolution. Comme pour les autres abbayes, des religieux sont sans doute musiciens sans apparaître comme tels dans les archives. Enfin, l’église paroissiale Saint-Antoine fait partie de ces lieux de musique dont on subodore l’activité en 1790, mais pour lesquels on ne retrouve pas de musicien formellement identifié. La présence d’un orgue est attestée par un inventaire dressé en 1793. En 1784, on trouve les dernières traces de deux chantres, d’un organiste et d’un serpent.
La musique d’Église dans les petites villes de l’Oise
Dans la partie ouest du département : Gerberoy, sous la tutelle de l’évêque de Beauvais
Aux confins de la Normandie et de la Picardie, la « ville » (ainsi le chanoine Jean Pillet la qualifie-t-il en 1679) de Gerberoy, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Beauvais, a connu un renouveau exceptionnel au début du XXe siècle, lorsque le peintre Henry Le Sidaner lui donna l’aspect d’une immense roseraie. Avant de connaître cette embellie, sa situation géographique en limite du duché de Normandie a longtemps fait de Gerberoy une place stratégique, soumise à la dévastation des guerres, du Moyen Âge au XVIIe siècle. En 1790, on y dénombre 265 habitants. Différents pouvoirs s’y concentrent : en 1730, 14 chefs de feu sur 70 sont des chanoines et 8 des gens de justice. Ils dominent une population composée majoritairement de gens d’armes, d’artisans du textile et de cultivateurs. L’évêque de Beauvais, qui dispose à Gerberoy d’une résidence d’été et fait de fréquentes visites, attache beaucoup d’importance à la défense de ses droits et à la perception des taxes qui lui sont dues – d’où l’établissement d’un vidamé – et alors que rien ne prédisposait spécialement la petite cité à connaître un développement significatif, y compris sur le plan artistique, la présence de l’autorité épiscopale fit de Gerberoy un lieu où une vie culturelle, notamment musicale, a pu s’épanouir.
La collégiale Saint-Pierre « se peut vanter d’être des mieux desservies entre toutes celles du diocèse, après la cathédrale, tant à cause du chant, que de la modestie & gravité avec laquelle on y fait le divin service », affirme Pillet. Le chapitre, dont cet auteur date la fondation du XIe siècle, était composé à ses débuts d’un doyen, d’un trésorier et de onze prébendiers. Une prébende sacerdotale instituée par le chapitre lui fut plus tard adjointe « pour dire avec l’autre alternativement les Messes du Chœur & chanter les Heures Canoniales, le Diacre, le Soudiacre & quatre autres chapelains ». Le maître d’école de Gerberoy prend en charge les garçons du bourg et les enfants de chœur de la collégiale. Il est pourvu à l’époque moderne d’une prébende dite préceptorale, à laquelle nomment conjointement l’évêque, le doyen, les chanoines et les habitants. C’est à Gerberoy que naquit l’illustre Eustache DU CAURROY, maître de musique de la chapelle de Charles IX, Henri III et Henri IV.
La musique religieuse tient une place significative à la collégiale, toutefois dépourvue d’orgue : la présence de chantres et d’enfants de chœur, le déroulement régulier de cérémonies extraordinaires agrémentent la vie locale. Le 27 mai 1639, Louis XIII fait son entrée à Gerberoy :
« Sa dite majesté s’étant disposée pour venir à l’église collégiale, le chapitre la fut querir processionellement, & à l’entrée du grand portail la reçût en la manière accoûtumée. Durant la messe qui fut dite basse par un aumônier, nos chantres furent obligez suivant la volonté du roy de chanter l’Exaudiat, en faux bourdon, le roy chantant sa partie avec eux, quoy qu’il eut avec soy sa musique, & que ses chantres fussent même logéz dans la ville ».
Pillet aime à rappeler que des chanteurs formés localement ont été employés à la cathédrale de Beauvais : « Les sieurs de Bricqueville, de Largilière & Souilleau qui furent grands vicaires de la même cathédrale dans le siècle dernier, étoient de notre ville de Gerberoy, & s’étoient instruits au chant dans notre église ».
Au-delà des logiques familiales dans la transmission de leur place (de père en fils, de grand-père en petit-fils...), les chantres entretiennent entre eux une sociabilité soutenue dont témoignent les registres de la paroisse Saint-Jean. En novembre 1787, tous les chantres de la collégiale sont mentionnés dans l’acte d’inhumation de l’un d’entre eux, Jacques VUIOTTE, mis en terre en présence des trois autres, PENEL, DE FONTAINE et LEROUX. Le plus souvent, les chantres n’ont pas été éduqués sur place mais, issus de villages avoisinants, ont été recrutés par concours à l’âge adulte. On relève également la présence de chantres de passage ou qui poursuivent leur carrière ailleurs : le même LEROUX, qui a passé quelques années à Gerberoy et part ensuite pour Paris, ou Jean François Polycarpe LEVASSEUR, originaire d’une paroisse voisine, qui devient ensuite musicien à Beauvais. À la fin de l’Ancien Régime, le chapitre est composé d’un doyen, de douze chanoines et de quatre chapelains. Les chantres sont les sieurs LEROUX, FONTAINE, PENEL qui sait jouer du serpent et RÉTRÉ, également sacristain. Le premier enfant de chœur est Charles PILLET. Ses camarades Firmin PENEL, Étienne Claude FONTAINE et Sulpice LEROUX, sont tous fils de chantre.
Dans la moitié orientale du département
Crépy-en-Valois et Clermont : des caractéristiques communes
Les villes de Crépy-en-Valois et de Clermont présentent un visage assez similaire. Chacune compte un peu plus de 2 000 habitants en 1790. Clermont bénéficie de sa position de carrefour sur la route reliant Amiens à Paris ; siège de bailliage et d’élection sous l’Ancien Régime, elle devient chef-lieu de district. « Il se fait à Clermont un commerce considérable de bled, ce qui est cause qu’il y a dans cette ville un assez bon nombre de marchands & de personnes aisées », écrit l’abbé Expilly. À l’instar de Clermont, Crépy-en-Valois, « fort marchande », est dotée d’un tribunal royal. Elle change d’aspect au cours du siècle, comme en témoigne la démolition des remparts médiévaux à l’emplacement desquels des promenades voient le jour. Les deux villes sont bâties autour d’une collégiale qui constitue le principal foyer local de musique religieuse à la fin du XVIIIe siècle. La structure du bas chœur est elle aussi comparable. La collégiale Notre-Dame de Clermont accueille deux chantres, un serpent et quatre enfants de chœur. Il n’y a pas de maître de musique clairement identifié : le chantre Adrien COLLET tient peut-être ce rôle. Le bas chœur de la collégiale Saint-Thomas de Crépy-en-Valois est composé de la même manière, mais emploie en plus un organiste, Louis Alexis LEGUAY, nommé en 1787 après avoir fréquenté plusieurs établissements de l’Oise. Un autre orgue est en activité en 1790, celui de l’abbaye Saint-Arnoult, tenu depuis 1755 par Jean Simon CHRISTOPHE, père de l’enfant de chœur prometteur rencontré plus haut à Senlis. À Clermont, c’est en l’église paroissiale Saint-Samson que Nicolas François DURAND touche l’orgue.
« Les bourgeois de Chantilly ont dansé à la fontaine de Sylvie »
Également situées sur la route reliant Amiens à Paris, Creil et Chantilly sont deux petites villes de moins de 1 000 habitants en 1789. Elles ont le même seigneur : le prince de Condé. Sur la rive gauche de l’Oise, la cité de Creil, ancienne résidence royale, n’est guère active sur le plan économique, même si un marché hebdomadaire s’y tient encore. Sa collégiale Saint-Évremond (six chanoines) n’emploie qu’un chantre en 1790, Nicolas BOURGEOIS. Chantilly, quant à elle, s’est développée dans la seconde moitié du XVIIe siècle grâce aux bienfaits des Condé qui y possèdent un château, rénové et augmenté à l’instigation du duc de Bourbon, qui fut le principal ministre de Louis XV de 1723 à 1726. L’église de la ville, fondée en 1692 sous le titre de Notre-Dame, n’a pas le statut de collégiale. Elle emploie au minimum deux chantres en 1790, le maître d’école Pierre THOMAS et François PETIT. Sur les six enfants de chœur chargés d’assister le curé et les vicaires, seul le jeune LEDUC a laissé une trace dans les archives révolutionnaires. L’église a de « bons et beaux orgues », écrit un officier seigneurial en 1724, mais on ignore qui en est titulaire en 1790.
Au château de Chantilly, la musique est reine. Du début du règne de Louis XV à la Révolution, les jardins « de toute beauté » (Expilly) qui servent d’écrin à l’édifice conçu par les architectes Hardouin-Mansart et Aubert sont le cadre de fêtes somptueuses, qui s’achèvent régulièrement par des agapes dans les Grandes Écuries transformées en salle de réception et par des tirs de feux d’artifice. En ces occasions, les musiciens personnels du prince de Condé sont sollicités. À partir de 1763 et pendant près de vingt ans, il salarie six musiciens qui le suivent presque partout. De 1776 à 1780, il s’attache même les services d’un intendant de musique, Johann Paul Aegidius Martin dit MARTINI. La population de Chantilly, qui jouit d’importants privilèges fiscaux, apporte bien volontiers son concours. Pour recevoir avec éclat la duchesse de Bourbon en juillet 1728, la compagnie bourgeoise au complet est réunie avec hautbois et trompettes. Vingt-quatre jeunes filles de la ville tout de blanc vêtues, parées de guirlandes de fleurs naturelles, forment l’un des comités d’accueil : pendant que la première entonne un couplet sur l’air de Vous qui vous moquez de nos ris, les autres dansent au son d’une musette. Le sixième groupe est constitué des filles et des garçons de l’école, un bouquet à la main, conduits par leur maître et par une vedette de la scène lyrique, le sieur Paquereau, qui interprète un air de circonstance. Les récits de fêtes du lieutenant des chasses Jacques Toudouze montrent que beaucoup d’habitants jouent d’un instrument (vielle, musette, violon). Ils savent aussi fort bien danser : en 1766, pour le trentième anniversaire du prince, « les bourgeois de Chantilly ont dansé à la fontaine de Sylvie pendant le souper », rapporte-t-il. Il faut dire qu’un maître de danse est installé dans la ville, dotée d’une salle de bals, ce qui n’est pas banal pour une localité de cette taille en 1779 : il s’agit du sieur Lecœur.
Musique et plain-chant dans les villages de l’Oise
L’orgue à la campagne
Le son de l’orgue n’est pas réservé aux villes. Plusieurs abbatiales implantées en milieu rural sont équipées d’un tel instrument. C’est le cas pour Chaalis, Ourscamp et Froidmont, trois établissements cisterciens d’hommes situés à proximité ou à l’intérieur d’une zone forestière. L’orgue de l’abbaye de Chaalis, au cœur de la forêt d’Ermenonville, a pour titulaire en 1790 Louis Nicolas SARRON, issu d’une famille d’organistes, qui se recycle sous l’Empire comme garde forestier. Montain CRONIER, à Ourscamp, exerce ses fonctions de 1778 à la Révolution et devient ensuite huissier. Les organistes en place lors de la suppression des communautés religieuses à Froidmont et à Ressons (ordre des Prémontrés) ne sont pas connus, mais l’instrument paraît encore utilisé. Les sources n’indiquent pas s’il existe un orgue en l’abbaye de Breteuil, qui verse 48 livres à ses deux serpents, Constantin GODDE et Cyr MOREL.
Pour les femmes, les Clarisses du Moncel, à Pontpoint, accueillent en leur sein deux moniales qualifiées d’organistes dans les sources, Perpétue DELAGRANGE et Joséphine MARSE ; toutefois la première a peut-être cessé ou ralenti son activité avant 1790. Dans le ressort du diocèse de Rouen, les cisterciennes de Gomerfontaine, à un peu moins de deux kilomètres au sud-est du village de Trie-la-Ville, se sont attaché les services d’une jeune orpheline habile à l’orgue, Marie Madeleine Élisabeth LOTTIN. La présence d’un organiste est attestée dans deux bourgs voisins de Compiègne : Estrées-Saint-Denis et Verberie. Dans le premier, Pierre DUTILLOY, un humble manouvrier, est sans doute bien heureux de pouvoir compléter ses revenus en touchant l’orgue paroissial les dimanches et jours de fête. L’organiste de la paroisse Saint-Pierre de Verberie, au sud de Compiègne, François Jean-Baptiste SARRON, frère de Louis Nicolas (l’abbaye de Chaalis est toute proche), gagne principalement sa vie grâce à la profession de perruquier. Les marguilliers du lieu accordent beaucoup d’importance à la célébration en musique du culte, puisqu’ils entretiennent aussi un serpent, qui répond au nom de PERSONNE en 1793.
Le chantre, une figure familière des campagnes de Picardie
Les chantres de village sont probablement fort nombreux dans l’Oise et la liste présentée ici ne prétend nullement à l’exhaustivité. Le terme ne se rencontre toutefois pas très souvent dans les registres paroissiaux, qui mentionnent habituellement des « clercs », « clercs laïcs » et « maîtres d’école ». Si l’on se réfère à la situation à Noyon et à Senlis, la plupart d’entre eux exercent aussi la fonction de chantre, mais cela n’est pas systématique, comme le prouve le cas de Mello évoqué ci-dessous. Ces clercs n’ont donc été pris en compte dans la recension que lorsqu’il était certain qu’ils avaient aussi pour fonction de chanter le plain-chant.
Mello (autrefois « Merlou »), dans le diocèse de Beauvais, à cinq kilomètres à l’ouest de Creil, est un bourg d’environ 500 habitants dans lequel une petite collégiale établie depuis le XIIe siècle, desservie par quatre chanoines en 1771, fait aussi office d’église paroissiale. Depuis 1786, le chantre André GRENIER sert le chapitre avec zèle et honnêteté, indique une attestation de 1790. Il se distingue du maître d’école et clerc laïc de la paroisse, poste occupé par Laurent Hennegrave. GRENIER perçoit 120 livres par an. Trois enfants de chœur recrutés localement concourent à la célébration du culte et touchent chacun 10 livres à l’année.
Les fabriques paroissiales de gros villages tels Breteuil, Chambly, Chaumont-en-Vexin, Pontpoint, Précy-sur-Oise… ont recours aux services de chantres, qui ne reçoivent que des gages modestes, pour autant qu’on puisse le savoir. Même les individus employés également comme maîtres d’école vivent à la lisière de la pauvreté : Philippe François SENNELIER, chantre, maître d’école et clerc laïc de Saint-Gervais de Pontpoint, se voit contraint de demander un secours à la Convention en 1794, tant sa situation est devenue critique. Sa démarche lui permet d’obtenir 150 francs. Certains de ces enseignants ont une connaissance de la musique qui va bien au-delà du plain-chant et s’emploient à transmettre leur savoir : dans les années 1770, Pierre Louis Nicolas DELAHAYE, maître d’école, clerc et chantre de la paroisse de Silly-en-Multien (aujourd’hui Silly-le-Long), apprend au jeune Pierre François PLÉE à jouer du serpent, ce qui permet ensuite à ce dernier de trouver un emploi de musicien à La Charité-sur-Loire. Entre 1771 et 1792, DELAHAYE tient un journal qui offre un éclairage exceptionnel sur le quotidien de ces pédagogues de l’ombre.
Les investigations sur les musiciens des principales églises urbaines mettent parfois au jour l’existence de dynasties de chantres ruraux, oscillant entre implantation durable dans les paroisses du plat-pays et intégration dans des corps de musique prestigieux. Les cousins DEMICHY sont chantres à Senlis en 1790, Jean-Baptiste à la collégiale Saint-Frambourg, Louis Sulpice à l’église paroissiale Saint-Étienne. Le père de Louis Sulpice, Joseph DEMICHY est chantre, clerc et maître d’école dans le village de Courteuil à quelques kilomètres de Senlis jusqu’à sa mort en 1776. Son fils cadet, Joseph Antoine, lui succède alors dans son poste. À Mouchy-le-Châtel, ce sont les ISORÉ qui dominent le bas chœur de la collégiale Notre-Dame. L’aventure commence avec trois frères, deux prénommés François et le troisième Charles, qui ont peut-être reçu une formation d’enfant de chœur à la collégiale Notre-Dame de Mouchy-le-Châtel. Le premier François ISORÉ exerce comme clerc à Saint-Félix au sud de Beauvais puis en qualité de maître des enfants de chœur à la collégiale de Luzarches (Val-d’Oise). Le second François est chantre de l’église paroissiale Saint-Martin de Senlis. Charles ISORÉ devient chantre des deux institutions religieuses de Mouchy : la collégiale Notre-Dame et la paroisse Saint-Étienne. En 1758, Jean François ISORÉ, fils de François, chantre à Senlis, et neveu de Charles, chantre à Mouchy, est reçu comme enfant de chœur à la collégiale de Mouchy. En 1768, Jean François accède à la fonction de second chantre. En 1786, son fils Jean Christophe Germain ISORÉ est reçu enfant de chœur dans la même collégiale.
Bilan des investigations
L’enquête MUSÉFREM permet d’esquisser un portrait du musicien d’Église de l’Oise en 1790. Il s’agit d’un homme, âgé en moyenne d’une quarantaine d’années, en poste depuis environ quinze ans. Des disparités sont constatées selon l’instrument pratiqué ou encore le type d’établissement. Le groupe des organistes, composé d’une vingtaine d’individus, présente la plus grande amplitude, avec des musiciens âgés de dix-neuf à soixante-dix ans. C’est dans cette catégorie que l’on recense les six femmes du corpus, toutes exerçant dans des abbayes. Le serpent est surtout présent en milieu urbain. Près d’une vingtaine de serpents sont actifs en 1790, dont dix dans les trois cathédrales. Leur âge ainsi que leur ancienneté en poste correspondent aux moyennes globales constatées. Les chantres dominent largement les effectifs – près de quatre-vingt-dix individus – âgés de dix-huit à quatre-vingt-quatre ans, pour une moyenne de quarante-six ans. Leur ancienneté sur leur poste varie tout autant, de quelques mois à soixante-treize ans. S’ils sont majoritairement urbains, c’est de peu puisque près de la moitié exercent dans une église paroissiale rurale.
On recense une soixantaine d’enfants de chœur en formation dans les établissements de l’Oise quand débute la Révolution. Employés par des établissements généralement importants, ils sont très majoritairement urbains et, pour les trois quarts d’entre eux, exercent dans le chœur des cathédrales et des collégiales. Les enfants de chœur constituent la catégorie pour laquelle les sources sont les moins disertes. Il n’est en effet pas rare que l’on ne connaisse pas le prénom de l’enfant, ce qui interdit toute recherche supplémentaire sur l’origine et le devenir de celui-ci. Toutefois, on constate que près du tiers des enfants identifiés sont fils ou neveux de musiciens ou de chantres déjà en poste.
Le territoire et ses établissements sont également un espace de passage tout au long du XVIIIe siècle. C’est notamment le cas pour l’ensemble des maîtres de musique de la cathédrale de Beauvais. Plus généralement, on constate que la moitié des musiciens actifs en 1790 dans une cathédrale ou dans une collégiale en sont à leur deuxième poste au moins. Cette proportion descend au quart pour les paroisses. Des musiciens formés dans les maîtrises picardes, ou ayant fait leurs premières armes dans l’une ou l’autre des grandes églises du futur département de l’Oise, se retrouvent ensuite dans de très nombreuses autres églises, irriguant la musique liturgique dans toute la moitié nord du royaume.
François CAILLOU - TEMOS, Le Mans Université
Thomas D’HOUR - CHEC, Université Clermont-Auvergne
Isabelle LANGLOIS - CHEC, Université Clermont-Auvergne
(avril 2019)
Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports et du soutien de :
Sylvie Granger, Isabelle Langlois et Christophe Maillard pour les dépouillements et la mise en chantier de nombreuses notices biographiques,
Youri Carbonnier, Bernard Dompnier, Danielle et Gérard Langlois, Pierre Mesplé et Françoise Noblat.
Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne)
>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.
L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.
Les lieux de musique en 1790 dans l'Oise
Les lieux de musique documentés pour 1790 dans le département sont présentés par catégories d’établissements : cathédrale, collégiales, abbayes, monastères et couvents, autres établissements (par exemple d’enseignement, de charité…), paroisses (ces dernières selon l’ordre alphabétique de la localité au sein de chaque diocèse).
Diocèse d'Amiens
- Églises paroissiales
Diocèse de Beauvais
- Cathédrale
- Collégiales
- Beauvais, Collégiale Notre-Dame-du-Châtel
- Beauvais, Collégiale Saint-Barthélemy
- Beauvais, Collégiale Saint-Laurent
- Beauvais, Collégiale Saint-Michel
- Beauvais, Collégiale Saint-Nicolas
- Clermont, Collégiale Notre-Dame
- Creil, Collégiale Saint-Évremond
- Gerberoy, Collégiale Saint-Pierre
- Mello, Collégiale Notre-Dame
- Mouchy-le-Châtel, Collégiale Notre-Dame
- Abbayes, monastères et couvents / autres lieux
- Achy, Abbaye cistercienne de Beaupré (hommes)
- Beauvais, Abbaye mauriste Saint-Lucien (hommes)
- Beauvais, Abbaye bénédictine de Saint-Paul-les-Beauvais (femmes)
- Beauvais, Abbaye génovéfaine Saint-Quentin (hommes)
- Beauvais, Couvent des dominicains (hommes)
- Beauvais, Hôtel-Dieu
- Breteuil, Abbaye mauriste Notre-Dame (hommes)
- Clermont, Monastère des ursulines (femmes)
- Hermes, Abbaye cistercienne de Froidmont (hommes)
- Plessis-de-Roye, Prieuré augustin de Valfleury ou Eaucourt
- Pontpoint, Abbaye Saint-Jean-Baptiste des Clarisses du Moncel (femmes)
- Églises paroissiales
- Auchy-la-montagne, Église paroissiale Saint-Éloi
- Auneuil, Église paroissiale Notre-Dame
- Beauvais, Église paroissiale Saint-André
- Beauvais, Église paroissiale Sainte-Marguerite
- Beauvais, Église paroissiale Sainte-Marie Madeleine
- Beauvais, Église paroissiale Saint-Étienne
- Beauvais, Église paroissiale Saint-Jean
- Beauvais, Église paroissiale Saint-Laurent
- Beauvais, Église paroissiale Saint-Martin
- Beauvais, Église paroissiale Saint-Quentin
- Beauvais, Église paroissiale Saint-Sauveur
- Beauvais, Église paroissiale Saint-Thomas
- Boran-sur-Oise, Église paroissiale Saint-Vaast
- Breteuil, Église paroissiale Saint-Jean-Baptiste
- Clermont, Église paroissiale Saint-Samson
- Estrées-Saint-Denis, Église paroissiale Saint-Denis
- Gury, Église paroissiale Saint-Denis
- Hardivillers, Église paroissiale Saint-Pierre et Saint-Paul
- Morvillers, Église paroissiale Saint-Wandrille
- Pontpoint, Église paroissiale Saint-Gervais
- Villotran, Église paroissiale Notre-Dame
Diocèse de Meaux
- Églises paroissiales
Diocèse de Noyon
- Cathédrale
- Abbayes, monastères, couvents
- Églises paroissiales
Diocèse de Rouen
- Abbayes, monastères, couvents
Diocèse de Senlis
- Cathédrale
- Collégiales
- Abbayes, monastères, couvents / autres lieux
- Crépy-en-Valois, Prieuré clunisien Saint-Arnoul (hommes)
- Fontaine-Chaalis, Abbaye cistercienne Notre-Dame de Chaalis (hommes)
- Senlis, Abbaye génovéfaine Saint-Vincent (hommes)
- Senlis, Monastère de la Présentation Notre-Dame (femmes)
- Senlis, Hôtel-Dieu
- Senlis, Prieuré génovéfain Saint-Maurice (hommes)
- Églises paroissiales
- Chambly, Église paroissiale Saint-Martin
- Chantilly, Église paroissiale Notre-Dame
- Courteuil, Église paroissiale Saint-Gervais et Saint-Protais
- Crépy-en-Valois, Église paroissiale Saint-Denis
- Crépy-en-Valois, Église paroissiale Saint-Thomas
- Précy-sur-Oise, Église paroissiale Saint-Pierre et Saint-Paul
- Senlis, Église paroissiale Saint-Aignan
- Senlis, Église paroissiale Sainte-Geneviève
- Senlis, Église paroissiale Saint-Étienne
- Senlis, Église paroissiale Saint-Martin
- Senlis, Église paroissiale Saint-Pierre
- Senlis, Église paroissiale Saint-Rieul
- Villers-Saint-Frambourg, Église paroissiale Saint-Médard
Diocèse de Soissons
- Abbayes, monastères, couvents
- Églises paroissiales
Pour en savoir plus : indications bibliographiques
Sources imprimées
- Jacques BERNET (éd.), Le journal d’un maître d’école d’Île-de-France (1771-1792). Silly-en-Multien [Silly-le-Long] de l’Ancien Régime à la Révolution, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2000.
- Jacques CAMBRY, Description du département de l’Oise, 2 vol., Paris, P. Didot aîné, 1803.
- Louis-Paul COLLIETTE, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, civile et militaire de la province de Vermandois, t. 3, Cambrai, chez Samuel Berthoud, 1772 (sur les chapellenies musicales de Noyon).
- Jean Joseph EXPILLY (abbé), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, 6 vol., Paris, Desaint et Saillant, 1762-1770.
- Pièces rares relatives à l’histoire de Compiègne, publiées par la Société historique de Compiègne. II. Almanach historique de 1789, Compiègne, imprimerie H. Lefebvre, 1891.
- Jean PILLET, Histoire du château et de la ville de Gerberoy, de siècle en siècle, Rouen, Eustache Viret, 1679.
- Une famille senlisienne. Les Junquières, Manuscrit du Musée Condé publié par le Comité archéologique de Senlis, Senlis, Impr. Vignon Fils, 1915.
Bibliographie
- François LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999 (Beauvais, p. 86-89 ; Noyon, p. 237-238 ; Senlis p. 277).
Présentation générale
- L’Oise a 200 ans. La naissance et les premiers pas des départements. Actes du colloque des Archives départementales de l’Oise présenté au Conseil général de l’Oise du 25 juin au 30 octobre 1990, Beauvais, Archives départementales de l’Oise, 1990 ; notamment Jacques Dupâquier et Renée Le Mée, « La formation des départements, un défi à la démographie ».
- ASSECARM, Orgues de Picardie. Oise, Amiens, Moulet, 1989.
- Henri BEAUMONT, Le département de l’Oise pendant la Révolution (1790-1795), nouv. éd. révisée et complétée par Christian Gut, Paris, Publisud, 1993.
- Jacques BERNET, « Les rapports villes / campagnes sous la Révolution à travers le miroir des sociétés politiques en Champagne et en Picardie (1790-1799) », Pour la Révolution française. Recueil d’études réunies en hommage à Claude Mazauric, par Christine Le Bozec et Éric Wauters, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 1998, p. 329-338.
- Xavier BISARO, « Le chant des écoliers de Silly-en-Multien à la fin de l’Ancien Régime : une initiation villageoise », Cahiers d’ethnomusicologie, 31, 2018, p. 39-54.
- Camilla CAVICCHI, Marie-Alexis COLIN, Philippe VENDRIX (dir.), La musique en Picardie du XIVe au XVIIe siècle, Brepols, 2012.
- André DELETTRE, Histoire du diocèse de Beauvais, depuis son établissement..., Beauvais, Desjardins, 1842.
- Jean GANIAGE, Beauvais au XVIIIe siècle, Population et cadre urbain, Paris, CNRS éditions, 1999.
- Pierre GOUBERT, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à l’histoire sociale de la France du XVIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1960.
- Robert LEMAIRE, Paroisses et communes de France. Oise, Paris, EHESS, 1976.
- Robert LEMAIRE, Histoire du département de l’Oise et des pays qui l’ont constitué des origines à nos jours, tome V. La Révolution dans le département (août 1787-octobre 1795), Beauvais, Imprimerie Commerciale de l’Oise, 1990.
- Victor MAGNIEN, « Aperçu biographique sur les célébrités musicales du département de l’Oise, et sur leurs compatriotes, qui, par leurs talents, ont rendu des services à l’Art et aux Artistes », Bulletin de l’Athénée du Beauvaisis, 1843-1845, Beauvais, Moisand, 1846, p. 338-350.
Monographies, études locales
- Marcel AUBERT, Monographie de la cathédrale de Senlis, Senlis, Eugène Dufresne, 1910.
- Jacques BERNA, « Les grandes orgues de la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais », L’orgue. Cahiers et mémoires, n° 25, 1981/I.
- Jacques BERNET, « Qu’est-t-il advenu des orgues de Compiègne sous la Révolution française ? », Annales historiques compiégnoises, n° 12 spécial patrimoine (II), « Les orgues de Compiègne & sa région », octobre-décembre 1980, p. 81-90.
- Philippe BONNET-LABORDERIE, Cathédrale Saint-Pierre, Beauvais : histoire et architecture, La Mie-au-Roy, G.E.M.O.B., 1978.
- Geneviève BOQUET, Senlis à l’époque révolutionnaire, 1789-1799, Autoédition, 1989.
- Gaston BRAILLON, Le clergé du Noyonnais pendant la Révolution, Senlis, 1987.
- F. BRIÈRE, « Principaux extraits du manuscrit Lucas concernant certains faits notables arrivés à Noyon de 1790 à 1814 et relatant la Mission de 1824 », Comité archéologique et historique de Noyon. Comptes-rendus et mémoires lus aux séances, t. 11, 1895, p. 245-323.
- E. CHARVET, « Recherches sur les anciens théâtres de Beauvais », Mémoires de la Société académique d’Archéologie, Sciences et Arts du département de l’Oise, t. XI, première partie, 1880, p. 449-597.
- Alphonse DANTIER, Description monumentale et historique de Notre-Dame de Noyon, Paris, Derache, 1845.
- Gustave DESJARDINS, Histoire de la cathédrale de Beauvais, Beauvais, V. Pineau, 1865.
- Maurice DOMMANGET, « La déchristianisation à Beauvais. Le mariage des prêtres », Annales révolutionnaires, t. 10, n° 2, mars-avril 1918, p. 198-230.
- Alfred DRIARD, « Senlis sous l’Ancien Régime. Fêtes publiques », Comptes rendus et mémoires du Comité archéologique de Senlis, t. IV, 1900-1901, p. 1-149.
- Marc DURAND, « Senlis », Revue archéologique de Picardie, n° spécial 16, 1999, p. 179-185.
- Jean GOUMARD, Noyon dans la tourmente révolutionnaire, Noyon, Société archéologique, historique et scientifique de Noyon, 1989.
- Louis GRAVES, Précis statistique sur le canton de Songeons, arrondissement de Beauvais (Oise), extrait de l’Annuaire de 1836, p. 59-71.
- Léon GRUART, Le diocèse de Senlis et son clergé pendant la Révolution, Senlis, Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis, 1979.
- Victor LEBLOND, La cathédrale de Beauvais, Paris, Henri Laurens, 1926.
- Gustave MACON, La ville de Chantilly, tome III. L’administration et la vie au XVIIIe siècle, Senlis, E. Vignon, 1911.
- Léon MAZIÈRES, « Noyon de 1789 à 1795 », Comité archéologique et historique de Noyon. Comptes rendus & mémoires lus aux séances, t. 15, 1899.
- Martine PETITJEAN, « Compiègne », Revue archéologique de Picardie, n° spécial 16, 1999, p. 157-165.
- Guillaume RIÈS, « Crépy-en-Valois », Revue archéologique de Picardie, n° spécial 16, 1999, p. 167-170.
- Hélène SIMON, Cahiers de doléances en 1789, bailliage de Beauvais. Transcription et présentation, Archives départementales de l’Oise, Beauvais, 1998.
Bibliographie élaborée par François CAILLOU et Thomas d’HOUR (mars 2019).