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Côtes d’Armor

Musique et musiciens d’Église dans le département des CÔTES D’ARMOR (ex-Côtes-du-Nord) autour de 1790

Sommaire

Liste des musiciens des Côtes d’Armor

Url pérenne : http://philidor.cmbv.fr/musefrem/cotes-d-armor

     Dans l’histoire de la musique religieuse, le territoire des actuelles Côtes d’Armor est relié à la famille d’organistes Collin (qu'a éclairée la thèse de Jocelyne Ourvois, Une famille de musiciens bretons au XIXe et au début du XXe siècle : les Collin, sous la direction de Marie-Claire Mussat, 2002). Or, le patriarche de cette dynastie naît en 1790. C'est-à-dire précisément au moment où l’enquête Muséfrem permet de faire le point. Ainsi, quelle est la situation musicale lorsque voit le jour le père du célèbre briochin Charles-René Collin, futur organiste de la cathédrale Saint-Étienne de Saint-Brieuc ? On découvre dans la région de nombreux musiciens peu ou mal connus, et entre autres deux familles qui se consacrent à l’orgue aux alentours de 1790 : les Courtin et les Cadiou.

Le cadre de l’étude : Les Côtes d’Armor

La désignation actuelle du département (Côtes d’Armor) est assez récente : elle date seulement du 27 février 1990. Le département, lors de sa constitution, portait la dénomination de Côtes-du-Nord. Ces deux formulations évoquent la localisation géographique du territoire : la côte nord de l’Armorique.

L’ancienne province de Bretagne (qui comptait neuf évêchés) donne naissance en 1790 à cinq départements, dont quatre forment aujourd'hui la région Bretagne. Dès le 26 février 1790, les députés entérinent la nouvelle physionomie de cette province. Le découpage départemental s’est donc réalisé dans un climat apaisé grâce à un assentiment relativement unanime.
Le tracé des limites des Côtes-du-Nord conserve partiellement les réalités du XVIIIe siècle : le département nouveau englobe la quasi-totalité du diocèse de Saint-Brieuc et une grande partie de celui de Tréguier à l’ouest. Toutefois, même si la majeure partie du territoire provient de ces deux diocèses, un certain nombre de paroisses appartenaient à quatre autres :

   112 paroisses et 14 trèves de l'ancien diocèse de Saint-Brieuc
   90 paroisses et 27 trèves de l'ancien diocèse de Tréguier
   29 paroisses et 36 trèves de l'ancien diocèse de Quimper
   49 paroisses et 5 trèves de l'ancien diocèse de Saint-Malo
   37 paroisses et 6 trèves de l'ancien diocèse de Dol
   3 paroisses et une trève de l'ancien diocèse de Vannes

1-Le département des Côtes d’Armor

Le département des Côtes d’Armor et ses 9 districts créés en 1790 (carte tirée de "La République Française en 84 départements", 1793)

En Bretagne, une trève est une division territoriale de base, pourvue d’une chapelle, dépendant d’une paroisse à laquelle elle est rattachée. L’existence d’une trève permet aux habitants d’une localité éloignée du centre et de son église paroissiale d’accéder plus rapidement à un lieu de culte et à son officiant pour les messes dominicales et les sacrements. Ainsi, les déplacements des paroissiens étaient limités, surtout lors de la présentation des nouveaux nés

Le rang de chef-lieu du département est revenu tout naturellement à Saint-Brieuc qui cumule les avantages par rapport à Tréguier : influence plus importante sous l’Ancien Régime en raison d’un territoire plus étendu, plus peuplé et surtout d’une situation centrale dans les nouvelles Côtes-du-Nord. Les habitants de Dol ou de Saint-Malo auraient eu trop de kilomètres à parcourir pour atteindre Tréguier ; un chef-lieu se doit d’être aussi central que possible. Et surtout, il ne faut pas surestimer le poids de l’ancien siège épiscopal trégorrois. La ville de Tréguier n’est rien face à d’autres villes comme Dinan, Guingamp, Lannion, Loudéac ou encore Saint-Brieuc, nettement plus peuplées. La Constituante relègue Tréguier à un rang moindre parmi les petites villes sans réel pouvoir décisionnel. Pour l’ancienne capitale de diocèse c’est un véritable déclassement.

Par ailleurs, l’ancienne province était constituée de deux entités, la Basse et la Haute Bretagne, séparées par une frontière à la fois culturelle et linguistique : le pays bretonnant à l’ouest et le pays gallo à l’est. Or, cette frontière qui traverse le département nouvellement créé met à mal la soi-disant unité du littoral du Nord qu’est censé représenter le département des Côtes-du-Nord. L'usage du breton est toujours très actif, même si l'exact tracé de la ligne de partage breton / français est aujourd'hui sujet à discussions. Le français est la langue des élites, des Lumières, que les enfants de chœur de la psallette étudient durant une dizaine d’années, en même temps que le latin. Maîtriser le français leur permet de continuer des études à la sortie de la maîtrise, grâce à la pension du chanoine Le Sage en ce qui concerne Tréguier. De la sorte, l’accès à des emplois dans l’administration, la justice ou l’enseignement leur sera facilité, en complément ou en remplacement de leur métier de musicien d’Église : durant la décennie révolutionnaire, Romain THOMAS devient employé du département, Jean-Marie BEAUCHEMIN se reconvertit en officier municipal et imprimeur, etc. Joseph COURTIN, organiste et greffier royal de Lannion devient greffier de la justice de paix sous la Constituante, puis huissier, écrivain et enfin instituteur. Ce dernier fournit donc à lui seul un exemple significatif des types de professions exercées par les musiciens autour de 1790 et dans les années qui suivent.

Sur les plans économiques comme démographiques, le territoire avait été prospère, riche, dynamique, jusque dans les années 1670, où un déclin s’était amorcé. En effet, le littoral nord de la Bretagne s’est trouvé au cœur des multiples conflits franco-britanniques qui ont eu pour conséquence son affaiblissement. L’accent a alors été mis sur la défense de ce territoire devenu, de fait, « province frontière ». Bien qu’ils restent des ports secondaires, Tréguier et surtout Saint-Brieuc, ainsi que leur arrière pays, continuent à fournir des hommes autant pour la pêche à Terre-Neuve que pour la défense maritime.

L’ensemble du département est un territoire essentiellement rural où la pluriactivité est de mise afin de faire face autant à la saisonnalité des activités agricoles qu’aux mauvaises récoltes. Les habitants, selon leur situation géographique, associent plusieurs activités pour rentabiliser les temps hivernaux, après les récoltes, et compléter ainsi leurs revenus. Deux grandes solutions ont la faveur de ces Bretons de la côte nord. La population pratique la pêche saisonnière du maquereau, de la sardine, du congre et du merlu qui, avec la pêche à pied, trouve un débouché dans la consommation locale ainsi que dans celle des villes voisines situées à l’intérieur des terres. À la pêche saisonnière s’ajoute la pêche au grand large pour les marins qui laissent derrière eux leurs familles pour de longs mois (départ en février, retour en octobre) passés au large de Terre-Neuve (morue) ou en Islande au départ de Paimpol. Pendant ce temps, ce sont les femmes qui cultivent le lopin de terre attaché à la maison et régulièrement travaillent à la tâche dans des fermes. Le travail agricole partout prédomine.

Le seul artisanat actif est lui aussi lié à la terre : le travail du textile à partir du chanvre et surtout du lin. On les cultive sur des lopins et on travaille leurs fibres quand les récoltes d’été ont été effectuées. C’est une activité secondaire mais lucrative pour ces paysans relativement pauvres. Quintin, où se trouve une collégiale, vit ainsi en partie de l’activité linicole, au point qu’en 1712, 600 métiers à tisser étaient dénombrés dans cette paroisse. Une expression locale dit même « qui n’a pas de lin, n’a pas de pain ». Habituellement, ce sont les femmes qui filent et les hommes qui tissent. Les toiles sont ensuite vendues sur les marchés aux négociants et aux marchands de Morlaix et Saint-Malo.

Saint-Brieuc : siège épiscopal puis préfectoral

Située dans le nord des Côtes-d'Armor dont elle est le chef-lieu, la ville de Saint-Brieuc compte 45 936 habitants en 2012, alors qu’au recensement de 1793 elle ne dénombrait que 7 735 habitants. La commune a donc en deux siècles vécu une véritable explosion démographique.

La ville n'a pendant longtemps eu qu’une fonction locale ou régionale en tant que chef-lieu d’une subdélégation et de l’amirauté, à la fin de l’Ancien Régime. Sa désignation comme chef-lieu des Côtes-du-Nord en 1790 lui permet d'asseoir sa suprématie face à ses concurrentes, Quintin et surtout Lamballe (capitale du pays de Penthièvre du XIe au XVIIIe siècle).

L’église cathédrale et ses orgues
2-Saint-Brieuc, la cathédrale Saint-Étienne (cliché Éric Denet, 2015)

Saint-Brieuc, la cathédrale Saint-Etienne (cliché Eric Denet, 2015).

À la tête d’un diocèse qui, sous l'Ancien Régime, faisait partie de la province ecclésiastique de Tours, Saint-Brieuc est pourvue d’un chapitre assez modeste par ses revenus, qui n’atteignaient que 18 965 livres selon le Pouillé de 1760. Bien que faible, cette somme se situe dans l’ordre de grandeur moyen des revenus des chapitres cathédraux bretons qui est de 17 600 livres (mais il faut souligner que cette moyenne ne comporte pas les données de Saint-Malo et de Nantes absentes du Pouillé de 1760). Ce chapitre comprenait vingt prébendes dont seize attribuées à des chanoines. Il est assisté pour les offices par un bas chœur qui compte six chapelains et huit musiciens (France ecclésiastique, 1790).
La cathédrale Saint-Étienne est l’édifice central de la ville. Pendant la Révolution, le culte est interrompu de 1794 à 1799 et l'édifice sert à différents usages : culte de la Raison et de l'Être suprême, salle des fêtes civiques, remise...

Les orgues de la cathédrale datent de 1540. Des vestiges en subsistent aujourd’hui dans l’église de La Roche-Derrien, située à une cinquantaine de km. L’instrument de cette église a en effet été construit par Aristide Cavaillé-Coll en 1847-1848, en utilisant des éléments (sommiers et tuyaux) qu’il avait pu récupérer de l’orgue de la cathédrale de Saint-Brieuc, jugé vétuste, avant d’y installer son propre instrument, les deux chantiers ayant été presque concomitants.

Portrait du chœur de musique briochin

À la veille de la Révolution, on trouve à la tête de la musique de la cathédrale de Saint-Brieuc le maître de musique Jean-François DERRIEN, marié et père de famille. Il occupe cet emploi depuis le 29 juillet 1782 et a été reçu à vie au poste d’administrateur de la psallette le 21 août de la même année. Il avait intégré cet établissement 30 ans auparavant en tant qu’enfant de chœur (1760-1770) puis y était resté en tant que choriste et serpent. Sous son autorité, le corps de musique est constitué de 12 musiciens tant laïcs que clercs.

L’organiste Jean Marie BEAUCHEMIN est lui aussi un laïc. Originaire de la ville, il a été reçu à vie en 1772. En 1790, il déclare donc 18 ans de service mais ne semble pas issu de la psallette. Lorsque J.-F. Derrien est devenu maître de musique, il a dû être remplacé au poste de serpent par Romain THOMAS, un jeune homme de vingt ans qui était jusqu’à cette date choriste de la cathédrale Saint-Étienne et qui est « reçu en qualité de serpent aux appointements de 300 livres » en 1783. Il a reçu sa formation à la psallette de Saint-Brieuc, ville dont il est, lui aussi, originaire. Ainsi, à la suppression du chapitre, ce musicien de 27 ans compte déjà 18 années de service dans le même établissement.

  • Ce qui est notable à la cathédrale briochine est une certaine jeunesse de son personnel musical, dont la moyenne d’âge est de 34 ans et demi en 1790. Le plus âgé de ceux pour lesquels nous disposons d’une information précise est aussi le seul clerc dont on connaisse l’âge, Brieuc RIGOURDEL, 52 ans. Pour les laïcs dont l’âge est connu, la moyenne s’établit alors à 32 ans et 5 mois. La plupart d’entre eux ont été recrutés en tant que jeunes adultes, mais leur service atteint déjà une durée moyenne de 11 ans et 7 mois d’après les données disponibles, ce qui semble indiquer qu’ils n’étaient pas dans l’intention de partir vicarier, hypothèse renforcée par le fait qu’ils proviennent pour la plupart du diocèse.
  • Un seul de ces musiciens laïcs n’est pas né dans le diocèse, Jean-Louis VADET, qui vient de Coutances, ville distante d’environ 200 km. En regard de certains musiciens qui, ailleurs, parcourent la France en tous sens, même cette distance demeure relativement modeste. Quant aux cinq autres musiciens mariés et pères de famille, ils ont tous une origine diocésaine, puisque le plus éloigné est né à Canihuel à quelque quarante km de la ville. Leurs familles sont donc installées dans la région, ce qui peut les conforter dans l’idée de ne pas souhaiter quitter leur poste. Dans le cas des deux personnages essentiels du corps de musique, le maître de musique et l’organiste, leur engagement à vie semble être un gage de leur désir de faire carrière dans l’établissement.
  • Les carrières des clercs sont en revanche beaucoup plus difficiles à cerner car les renseignements à leur sujet sont peu nombreux. Et les trois seules origines connues ne permettent pas de conclure à une homogénéité des parcours : l’un vient de Trinchebray, à environ 200 km (Jean-Baptiste HUREL), mais les deux autres sont natifs de Saint-Brieuc (Yves Jean ROBERT et Brieuc RIGOURDEL).

Tréguier : un siège épiscopal dans une ville de second rang

3-Tréguier

Tréguier, la cathédrale Saint-Tugdual vue du cloître (cliché Éric Denet, 2015) 

La ville de Tréguier se situe sur les hauteurs, à une douzaine de kilomètres de la Manche. Sa population était de 3 064 habitants lors du recensement de 1793 mais elle n’est plus que de 2 559 personnes en 2012. La perte du siège de l’évêché aurait-elle annoncé le déclin démographique de cette petite ville ?

Le Trégor a été une terre particulièrement riche sur le plan musical (musique traditionnelle, contes) comme en témoignent les collectes faites dans le dernier quart du XIXe et au début du XXe siècle (Luzel, Quellien, Le Braz, Duhamel…). À la différence du chapitre de la cathédrale de Saint-Brieuc, dont les archives sont très lacunaires, celles de Tréguier sont abondantes.
Le chapitre de la cathédrale Saint-Tugdual se compose de cinq dignitaires et de onze chanoines prébendés assistés de six vicaires et d’un «chœur de musique» ; le maître de psallette a six enfants de chœur sous son autorité (France ecclésiastique, 1790). La ville de Tréguier abrite par ailleurs une subdélégation, une maréchaussée, une communauté de ville ayant droit de députer aux états.

Une famille de musiciens : les Boullay

La grande figure musicale du XVIIIe siècle à Tréguier est Pierre François BOULLAY, entré à la cathédrale en 1735 en tant que haute-contre. Au sein de cet établissement auquel il a voué sa vie, il a occupé successivement divers postes, devenant organiste (1750) et maître de musique (1752). Il a transmis sa passion, son savoir-faire et, par la suite, ses postes à son fils qui suit les traces de ce père prodige.

Depuis sa naissance, en 1746, Pierre Charles BOULLAY n’a vécu que dans l’univers de la cathédrale. Lorsqu’il a 4 ans il entend son père toucher l’orgue. À 6 ans il le voit obtenir le poste de maître de musique puis celui d’économe de la psallette. Ainsi, lorsque Pierre-Charles devient enfant de chœur à la cathédrale, c’est son père qui est officiellement son instructeur jusqu’à l’âge de 15 ans. Aussi, si l’on suppose que Pierre-Charles BOULAY est entré à la psallette à l’âge de 7 ans, comme cela est courant, il a en 1790 au moins 29 ans de service, voire 37 si l’on compte ses années d’enfant de chœur, alors qu’il n’est âgé que de 44 ans. Sans la suppression des chapitres, il aurait atteint une longévité exceptionnelle, qui en aurait fait un « Louis BOUTEILLER trégorois ». Ce dernier avait été maître de musique de la cathédrale du Mans durant 55 ans (de 1670 à 1725) ; entré à la psallette à l’âge de 7 ans, il avait au total passé près de 70 ans au service de la cathédrale.

Pierre Charles BOULLAY est à la tête de sept musiciens en 1790. Le corps de musique comprend, outre le maître de musique et organiste, deux serpents, François-Ignace LE GORREC et son fils François Isaac LE GORREC, trois "musiciens", François LE CORRE, Guy LE GUILLOU (celui-ci chantant la haute-contre) et Yves LE QUÉMENT, ainsi que le "premier chantre", Yves LE GOFF et le "second chantre", Guillaume LE CUN. Le seul clerc du groupe, Yves LE GOFF, est également le seul dont les origines géographiques ne sont pas connues. Sinon, les six autres proviennent de l'actuel territoire des Côtes d’Armor dans un rayon maximal de 55 km. Et trois sont de Tréguier même. Cela explique peut-être leur stabilité à la cathédrale Saint-Tugdual. Le plus âgé de tous est le clerc Yves LE GOFF, sur lequel les informations sont les moins abondantes. À 75 ans, il est considéré comme "infirme" au moment de la rédaction des suppliques. Le plus jeune, âgé de 33 ans, est François LE CORRE, musicien en service depuis déjà 25 ans si l’on compte ses années d’enfant de chœur. La moyenne d’âge est de 46 ans ½, ce qui donne, à première vue, l’impression d’un chœur relativement âgé. Mais c’est sans compter l’amplitude qui est de 42 ans entre les deux âges extrêmes. Il n’y a donc pas à Tréguier que des musiciens en fin de carrière - six ont moins de 45 ans dont trois sont trentenaires – et la relève est assurée. Par ailleurs, les trois plus jeunes sont d’anciens enfants de chœur sortis depuis déjà une vingtaine d’années ce qui signifie que les musiciens sont satisfaits de leur emploi et satisfont à leur tour leurs employeurs. Et en cas de besoin, il est plus pertinent aux yeux du chapitre de miser sur la promotion des grands enfants de chœur que d’espérer « une perle rare » venue d’ailleurs. De la sorte, il n’y a pas de mauvaise surprise, les chanoines et le maître de musique connaissant la valeur du musicien engagé.

Si G. Minois évoquait l’instabilité des musiciens s’installant dans la ville jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, cette situation s’est nettement modifiée. En effet, si l’on prend en compte les années passées à la maîtrise par les musiciens adultes nous obtenons une moyenne de 33 ans et 6 mois de service à la cathédrale, ce qui est considérable. Sur les musiciens adultes, 5 proviennent de la psallette de Tréguier. Ce n’est donc plus l’instabilité qui domine dans le corps de musique. On peut penser que ces musiciens du cru, dans leur ensemble, n’ont pas l’envie ou l’ambition de quitter cette terre qui les a vu naître et d’espérer un poste plus prestigieux et lucratif en vicariant.

Pourtant, les musiciens de Tréguier n’ont pas des revenus très élevés : la moyenne, hors maître de musique et organiste, est de 416 livres en 1790. La cathédrale trégoroise se situe dans une petite moyenne, bien en dessous des cathédrales rennaise (654 livres), mancelle (700 livres) et angevine (800 livres). La cathédrale perd son statut en 1794 et ses orgues sont détruites par les soldats du bataillon des volontaires d'Étampes. Il faudra attendre 1831 pour qu’un nouvel orgue soit installé à son emplacement actuel. Ce dernier n’est autre que l’ancien orgue de l’abbaye de Bégard, située à une vingtaine de kilomètres. À cette date, l’église avait été rendue au culte depuis le 29 novembre 1801 mais elle avait perdu son statut de cathédrale et était rattachée au diocèse de Saint Brieuc.

La vie musicale dans le reste du département : la mise au jour de quelques organistes…

Le territoire de l’actuel département des Côtes d’Armor apparaît peu densément pourvu en musiciens d’Église. Même pour des paroisses pour lesquelles des organistes sont mentionnés dans les périodes précédentes, comme à Duault, Pluzunet, Rostrenen, Guingamp ou Dinan, les sources qui confirmeraient le maintien de ces emplois à la fin de l’Ancien Régime font défaut aux archives départementales. Aussi l’on ne peut que supposer la présence d’organistes en 1790 là où l’existence d’orgues est attestée, sans en avoir encore la certitude.

Sur l’ensemble de ce territoire, l’enquête Muséfrem n’a fait émerger que quelques musiciens en dehors des deux cathédrales.

Plusieurs collégiales existaient pourtant sur le territoire. Ainsi le chanoine Le Sage écrit-il que les collégiales étaient « au nombre de quatre dans le diocèse » de Saint-Brieuc, et il dresse avec ironie le tableau de leur « opulence ». Seule celle de Saint-Guillaume à Saint-Brieuc était un peu étoffée, avec vingt chanoines, mais leurs revenus étaient modestes et ils chantaient chaque jour eux-mêmes « mâtines et laudes suivies d'une grand-messe [et] à deux heures vêpres et complies ». Toujours selon Le Sage, « les chanoines de Quintin étaient au nombre de sept » et « ils chantaient l'office entier ». Sur les quatre chanoines et le doyen de la collégiale de Matignon, le mémorialiste avoue son ignorance : « L'on y faisait un service journalier quelconque ; j'ignore en quoi il consistait. » Enfin, au sujet des quatre malheureux chanoines de la collégiale de Lamballe, sa plume se moque : « Quelques prêtres s'en disaient encore chanoines sans que personne n'y crût. Pour se targuer de cette prétention, ils ne pouvaient en effet alléguer que des vêpres chantées chaque premier samedi du mois et rétribuées d'une somme annuelle de 30 ou 40 livres. »

Les collégiales n’ont livré jusqu'alors qu’un seul organiste : Jean LE MAOU qui en 1790 exerce à la fois à la collégiale et chez les Augustins de Lamballe.

En dehors des organistes, le seul musicien retrouvé est le serpent Pierre REGNAULT, qui avait intégré la cathédrale Saint-Étienne de Saint-Brieuc en février 1783, aux émoluments exceptionnels de 600 livres. Mais en septembre de la même année, il est « licencié du régiment de la couronne » qu’il avait sans doute intégré ensuite en tant que serpent. Il exercera ensuite les mêmes fonctions à la collégiale Saint-Guillaume de Saint-Brieuc de 1787 à 1790 tout en étant mentionné comme « maître de musique à Saint-Brieuc » en juillet 1789, ce qui peut signifier qu’il donnait des leçons de musique à des écoliers en ville, à moins qu’il n’ait été maître de musique de la collégiale.

Pierre REGNAULT succède au maître de musique Jean-François DERRIEN à la cathédrale Saint-Étienne quand ce dernier accède au poste de greffier de la justice de paix vers 1792. Il occupera cet emploi jusqu’à sa mort en 1832. Par ailleurs, il a sûrement transmis son savoir à son fils René-Toussaint qui le rejoindra à la cathédrale en tant que musicien, à une date qui nous est encore inconnue.

Concernant l’univers monastique, le chanoine Le Sage évoque dans ses mémoires le nom de l’organiste de l’abbaye prémontrée de Beauport à Paimpol, sur la côte armoricaine, qui serait dans les années 1780, Louis LA CHESNAYE-GLEYO. À ce dernier succède un certain CADIOU "entré à Beauport le 21 septembre 1789", probablement Gabriel CADIOU fils. S’ajoute le nom de l’organiste de l’abbaye de Bégard qui nous est parvenu avec certitude : Pierre COURTIN, déjà connu à travers les archives de Lannion et Brélévenez. Il touchait l’orgue de l’abbaye depuis les années 1774-1776.

Quelques organistes de paroisses ont surgi au détour des sources, mais trop peu au vu du nombre d’églises ayant pourtant des orgues. À Plestin, Jean François DELISLE est organiste et notaire puis, durant la période révolutionnaire, « secrétaire greffier » (il est attesté comme tel le 28 avril 1792). Il sera remplacé à sa mort, en 1804, par Joseph-Antoine COURTIN. Les suppliques obtenues au travers des archives confirment la présence de François LE MEHEUST comme organiste de l’église paroissiale de Moncontour en 1790. Il est originaire de Lamballe où exerce Jean LE MAOU au moment de sa supplique et où Jean MEHEUST, père de François, touchait les orgues de la même collégiale au moins en 1720 et auparavant Julien MEHEUST, sieur du Verger en 1680.
Avec Pierre COURTIN qui avait suivi les traces de son père Jean COURTIN, nous assistons à la naissance d’une dynastie d’organistes comptant au moins quatre générations. Le fils de Pierre, Joseph-Antoine, sera remplacé successivement par Pierre Jean COURTIN et François Marie COURTIN, ses propres fils. Cette succession de père en fils n’est pas la seule particularité de cette famille puisque la seule femme organiste avérée jusqu’alors sur l’ensemble du territoire est Marie Jacquette COURTIN, petite-fille, fille, sœur, tante d’organistes et épouse de l’organiste Joseph Marie Simon BONVILLE. Le couple touche les orgues de Brélévenez, bourgade actuellement intégrée à la ville de Lannion, à la suite du père, durant les années 1780. En effet, le père, Pierre COURTIN, a transmis progressivement ses postes d’organistes à ses deux enfants et à son gendre, qui le suppléent avant de lui succéder.

L’autre famille intéressante est la dynastie Cadiou, présente sur le même territoire que les Courtin. Les deux familles 's’échangent' les établissements. Le patriarche, Guillaume CADIOU, a débuté sa carrière musicale à Brélévenez en 1742 à la suite de Jean COURTIN et il décède en 1793 au poste d’organiste de l’église de Saint-Gilles-Pligeaux, située à 56 km au sud. Plusieurs enfants et petits-enfants de Guillaume CADIOU deviendront musiciens : son fils Guillaume CADIOU a été « musicien », selon son acte de mariage, puis finit sa carrière en tant qu’« organiste » de la cathédrale de Saint-Brieuc, Augustin CADIOU est l’organiste de Brélévenez juste avant que Pierre COURTIN ne reprenne les orgues de son défunt père et Gilles CADIOU succédera ensuite à son père en duo avec son propre fils Gilles.

Le destin de ces deux dynasties d’organistes sur un même territoire reflète la sociabilité des musiciens de campagne et la transmission familiale du savoir-faire et des postes.

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Ainsi, l’enquête MUSÉFREM a fait émerger un petit nombre de musiciens actifs en 1790, de l’ordre d’une trentaine exerçant dans onze lieux différents.

L’activité de musique sacrée retrouvée se concentre pour l’essentiel dans les deux lieux principaux que sont les cathédrales du territoire : Saint-Brieuc et Tréguier, avec respectivement douze et sept musiciens. Même si ce nombre de musiciens reste assez modeste, il semble que tous aient été identifiés. Bien que leurs suppliques à l’administration révolutionnaire soient assez laconiques, il a été possible de retracer la plupart des parcours de ces musiciens sous la forme de notices biographiques. La seule difficulté persistante concerne les clercs briochins sur lesquels les sources sont dans l’ensemble lacunaires.

En dehors des deux villes sièges d’évêché, les effectifs musicaux retrouvés sont maigres. Si l’absence de toute découverte dans la fraction du département qui relevait antérieurement du diocèse de Vannes n’est pas surprenante, eu égard à la très petite superficie concernée, il est en revanche plus étonnant de n’avoir mis au jour aucun lieu de musique dans la zone beaucoup plus vaste héritée de l’ancien diocèse de Saint-Malo. Le territoire étudié comporte également des collégiales comme celle de Quintin, de Notre-Dame de Matignon ou encore celle de Notre-Dame de Rostrenen, pour lesquelles aucun nom de musiciens ne nous est parvenu. Le manque ou la qualité moindre des sources concernant les abbayes et les églises paroissiales nous laisse en attente de nouvelles découvertes. En effet, l’église paroissiale Saint-Sauveur de Dinan (actuelle basilique) a accueilli quelques organistes durant l’Ancien Régime, mais à une période trop antérieure à la Révolution pour avoir été traitée dans le cadre de l’enquête Muséfrem. Les grands absents sont, finalement, les chantres des églises paroissiales. Doit-on en conclure que le littoral du nord de la province de Bretagne n’était pourvu de musiciens que dans les cathédrales ainsi que de quelques rares organistes paroissiaux ? Il reste à vérifier si la plupart des paroisses rurales du département en 1790 étaient vraiment dépourvues de chantres en titre. Pour cela il faudrait réaliser des dépouillements systématiques et exhaustifs des registres paroissiaux à la recherche de quelques nouveaux organistes et surtout des chantres. Or, la rareté des mentions de professions dans les registres et la pluriactivité très répandue ne facilitent pas le travail des chercheurs ès Côtes d’Armor de manière générale. Ainsi, ce petit monde musical est-il encore trop largement méconnu.

Il reste forcément des musiciens, organistes et chantres en dormance dans les archives, prêts à être réveillés par les prochains dépouillements des registres des paroisses les plus importantes, notamment celles qui possédaient des orgues à cette période prérévolutionnaire. Toute contribution à ces recherches denses sera la bienvenue. Merci !

Marie TARON
(Master Recherche Histoire, Université du Maine), mars 2016.
Le travail sur les musiciens de ce département a bénéficié des apports de, notamment :
Xavier Bisaro, Bernard Dompnier, Sylvie Granger, Hervé Le Goff, Marie-Claire Mussat …
Un remerciement tout particulier à François Caillou, Michel Meunier et Éric Denet.
Et à Isabelle Langlois pour la carte.

Mise en page et en ligne : Sylvie Lonchampt et Agnès Delalondre (CMBV)
Cartographie : Isabelle Langlois (CHEC, Université Clermont-Auvergne)

Mise à jour : 6 février 2020

>>> Si vous disposez de documents ou d’informations permettant de compléter la connaissance des musiciens anciens de ce département, vous pouvez signaler tout élément intéressant ICI. Nous vous en remercions à l’avance.

L’amélioration permanente de cette base de données bénéficiera à tous.

 

Les lieux de musique en 1790 dans les Côtes d’Armor

Carte des lieux de musique en 1790 dans les Côtes d’Armor

Les lieux de musique d'Église documentés en 1790 dans le département des Côtes d’Armor

Diocèse de Saint-Brieuc

Diocèse de Tréguier

Diocèse de QUIMPER

  • Paroisses
    • SAINT-GILLES-PLIGEAUX, église paroissiale Saint-Gilles

Pour en savoir plus : indications bibliographiques

  • François LESURE, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klinksieck, 1999, 367 pages [sur Saint-Brieuc : p. 268-269]
  • ARGOAT ARMOR PLENUM ORGANUM (collectif), Orgues en Côtes d'Armor, éditions À l'ombre des mots, 2018, 204 pages.
  • Xavier BISARO, « Une liturgie ordinaire en des temps extraordinaires : des chantres bretons sous la Révolution », Revue de Musicologie, 93/2, 2007, p. 317 - 335.
  • Xavier BISARO, Chanter toujours, Plain-chant et religion villageoise dans la France moderne (XVIe-XIXe siècle), PUR, 2010, 246 pages.
  • Fañch BROUDIC, À la recherche de la frontière. La limite linguistique entre Haute et Basse-Bretagne aux XIXe et XXe siècles, Brest, Ar Skol Vrezoneg, 1997, 179 pages.
  • Olivier CHARLES, Chanoines de Bretagne, carrières et cultures d’une élite cléricale au siècle des Lumières, PUR, 2004, 456 pages.
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  • Jean QUENIART, « De modestes institutions : les psallettes de collégiales dans le diocèse de Rennes au XVIIIe siècle », Musique en Bretagne, Images et pratiques, Hommage à Marie- Claire Mussat, Rennes, PUR, 2003, p. 43-56.

Bibliographie élaborée par Marie Taron
(octobre 2015)
Mise à jour : Sylvie Granger (juillet 2018)

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